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DIAL 3037

MEXIQUE - Réflexion théologique sur la crise alimentaire

Association théologique œcuménique mexicaine

jeudi 1er janvier 2009, mis en ligne par Dial

L’Association théologique œcuménique mexicaine (ATEM) a jugé nécessaire d’intervenir face au drame de la crise alimentaire qui sévit dans ce pays et dans le monde. Il est intéressant de prendre connaissance de la façon dont ces théologiens, soucieux de prendre leurs responsabilités au cœur des réalités humaines, font entendre leurs voix. Dans la version originale, le texte ici présenté est précédé d’une première partie portant sur la voracité du système du marché, suivie d’une autre présentant les données de base de la crise alimentaire face à l’abondance des aliments. Forts de ces constats et analyses, les auteurs portent ensuite un regard théologique sur la situation actuelle. Texte publié par Adital le 3 novembre 2008.


[…]

III.- Un regard théologique

Toute cette situation est contraire au projet du Royaume de Dieu, annoncé et rendu présent par Jésus, qui n’admet pas ces scandaleuses inégalités. La logique du partage contredit la logique de l’accumulation des richesses.

1.- Restituer ce qui a été injustement accumulé

L’accumulation et la spéculation sont les deux piliers sur lesquels repose l’actuel système de marché. On est arrivé à une telle situation que la vie de millions de personnes atteint le seuil critique. L’annonce et la mise en pratique du Royaume appellent à regarder le monde de manière différente. Ce regard est celui que Zachée (Lc 19, 1-10) adopte après avoir connu Jésus. Un regard qui ne reste pas dans l’expectative, mais qui impose d’agir. À partir de ce moment, il s’engage à donner la moitié de ses richesses pour restituer jusqu’à quatre fois ce qu’il avait injustement perçu en appauvrissant les autres.

Ce processus de conversion l’amène à comprendre que son métier de collecteur d’impôts est une pratique de l’Empire romain qui attente à sa propre vie et à celle de son peuple. De là, il s’explique le mécontentement des gens et le mépris qu’ils ressentent envers sa personne. La réponse radicale de Zachée part du fait qu’il se reconnaît comme une personne et qu’il fait l’expérience de la miséricorde quand Jésus l’appelle par son nom et lui dit « descends tout de suite car aujourd’hui je dois loger chez toi ».

Le mouvement que Jésus demande à Zachée est d’abandonner les pratiques auxquelles son pouvoir l’a habitué ; qu’il descende de là où il est monté en mettant à profit son savoir-faire pour passer par-dessus les personnes ; qu’il se place aux côtés des gens auxquels il appartient. Zachée fait ainsi partie d’un Royaume qui se reflète dans des actions de liberté – il accepte –, de justice – il restitue –, et de vérité – il abandonne la corruption.

Contrastant avec la réponse de Zachée, le jeune propriétaire terrien (Mt 19, 16-22) qui est en recherche comme Zachée, s’approche de Jésus et lui demande : que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? Jésus lui répond : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu possèdes et distribue-le aux pauvres, puis viens et suis-moi » ; pourtant le jeune homme riche s’en va tristement, il n’est pas disposé à changer les logiques qui lui font posséder la richesse.

2.- Partager

Dans le passage du pain et des poissons (Mc 6, 30-42), face au problème de la faim, apparaissent clairement deux logiques de solution : celle des disciples, qui, préoccupés par la faim des gens, pensent à acheter du pain, mais cela ne leur paraît pas possible parce qu’ils n’ont pas l’argent suffisant. Pour cette raison, ils proposent de renvoyer la foule dans ses foyers, pour que les gens résolvent eux-mêmes leur problème. Et il y a la logique de Jésus qui est de partager. D’abord il confie aux disciples la responsabilité de chercher la solution au problème de la faim, et après il leur montre la voie du partage, qui résout le problème et même bien au-delà, puisqu’il n’y a pas que le strict nécessaire, il y a des restes.

La logique des organismes internationaux qui favorisent l’intérêt des puissants – lesquels ont créé la crise par leur appétit immodéré de lucre – est celle des disciples : l’argent pour acheter des vivres pour les peuples qui souffrent de la famine. Pour autant, cette logique ne résout pas le problème, et n’est pas davantage en accord avec la logique du Christ. La solution n’est pas d’acheter et ensuite de donner les miettes aux pauvres, mais de partager dans la justice et la fraternité. C’est cela que nous devrions faire. Le chemin des puissants devrait être celui de Zachée (Lc. 19, 1-10) qui, au moment où il s’est senti touché par la présence de Jésus, partage ses biens entre les pauvres et ceux qu’il avait lésés, ce qui a signifié abandonner le chemin de l’exploitation humaine.

Le Royaume de Dieu se fait présent dans les petits signes que posent les pauvres (Mt 11,4-6). De la pauvreté partagée jaillit la vie digne dans le style de Jésus, qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (2 Cor.8, 9)

3.- Notre pain de chaque jour

Dans la prière du Notre Père, le Seigneur nous apprend à demander le strict nécessaire (Lc11.3/Mt.6, 11). Le pain a un sens communautaire, le croyant n’est pas propriétaire du pain, lequel est donné pour être partagé. Le pain fait partie de la création, il a donc une fonction sociale.

Donne-nous aujourd’hui : Dieu se manifeste au présent, dans la réalité quotidienne, dans le don du pain nécessaire. Avoir le nécessaire pour vivre dignement, c’est ce que nous demandons au Seigneur ; ceci nous amène à ne pas être trop préoccupés par la nourriture et le vêtement au point de devenir capables de l’arracher des mains du pauvre, pour assurer notre avenir.

À ce sujet, nous pouvons citer Enrique Dussel, qui, parlant de la conscience de l’injustice qu’avait Bartolomé de Las Casas, dit : « Quand arriva Diego Velázquez à la ville d’Espiritu Santo, comme “il n’y avait dans toute l’île ni clerc ni frère”, il demanda à Bartolomé de célébrer l’eucharistie et de leur prêcher l’évangile. C’est pourquoi Bartolomé se décida “à quitter sa maison qu’il avait sur le fleuve Arimao” et “commença à méditer en lui-même sur quelques autorités de la Sainte Écriture”. Il est important le texte biblique qui servit de point d’appui à la conversion prophétique du grand lutteur du XVIème siècle : “L’autorité principale et première fut l’Ecclésiastique, chapitre 34 : ‘Les sacrifices de biens injustement acquis sont impurs, les offrandes des impies ne sont pas acceptées. Le Très Haut n’accepte pas les offrandes des impies ni ne leur pardonne le péché malgré leurs nombreux sacrifices. C’est sacrifier le fils en présence du père que de voler les pauvres pour offrir un sacrifice. Le pain est la vie du pauvre, celui qui le lui dérobe est homicide. Il tue son prochain celui qui lui prend son salaire, celui qui ne paie pas un juste salaire répand le sang du prochain’ ” ». Dussel continue : « Bartolomé, dis-je, commença à considérer la misère et la servitude que subissaient ces gens (les Indiens). Appliquant l’un (le texte biblique) à l’autre (la réalité économique caribéenne), il jugea en lui-même – convaincu que ce rapprochement énonçait la même vérité – qu’était injuste et tyrannique tout ce qui se commettait en Inde au sujet des Indiens. »

Bartolomé ne put célébrer sa messe, son culte eucharistique. D’abord il libéra ses Indiens (« il décida de tous les laisser libres ») et il commença son action prophétique, d’abord à Cuba, après à Saint-Domingue, puis en Espagne et après dans tous les royaumes des Indes, « laissant tous ses auditeurs étonnés et même effrayés de ce qu’il leur avait dit ».

Des hommes d’un même groupe, autour du même prêtre, peuvent offrir des pains semblables. Pourtant, l’un rendra son culte à l’idole et, en mangeant le pain, « il mangera sa propre perdition », tandis qu’un autre communiera à la vie de l’Agneau immolé. Quel est le critère qui permet de discerner la droiture de celui qui fait l’offrande ?

La conclusion est claire. Dieu ne peut recevoir le pain volé au pauvre, le pain de l’injustice, aussi bien personnelle que structurelle.

Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. La sixième bénédiction du livre juif est la remise des dettes. Existe-t-il une relation entre la demande du pain et la demande du pardon ? Le péché défait le tissu communautaire ; le péché n’a pas de qualité morale. Le désordre moral est le symptôme ou la manifestation de la séparation d’avec Dieu, de la perte de relation avec lui. C’est pourquoi le croyant a autant besoin du pardon que du pain. Le pardon est au centre de la prédication et de la prière de Jésus, le pardon consiste à rétablir la condition de l’individu, parce que c’est un acte créateur de vie et de la communauté, le pardon réconcilie avec Dieu, avec les frères et sœurs.

Ne nous laisse pas succomber à la tentation mais délivre nous du mal ; le mal est une puissance destructrice qui détruit la vie, et l’être humain est totalement responsable du mal qui s’abat sur le monde.

La tentation du pouvoir nous a conduits à créer l’inégalité qui provoque un système économique où il y a l’exploiteur et l’exploité, où le JE a supplanté le NOUS. Le commerce injuste n’est rien d’autre que le résultat du mal que nous avons autorisé et fomenté, qui engendre les méchants, ces personnes qui oublient Dieu, le Dieu juste, dispensateur du quotidien ; en utilisant cette puissance destructrice qu’est le mal, elles ne se préoccupent que de leur propre bien ; elles ne sont pas capables de percevoir la présence de Dieu sur les visages de ceux et celles qui attendent le pain de chaque jour.

Pour tous ceux et celles qui succombent à l’idéologie du consumérisme, croyant que l’être humain acquiert le pouvoir en fonction des biens accumulés, il est nécessaire de demander pardon pour rétablir la paix en eux-mêmes, avec Dieu, et avec leurs prochains. Cela nous donnera la liberté de restaurer notre relation communautaire, le désir de partager le pain, chaque jour et en permanence.

4.- Le pain est à tous

Dans la conception de la personne humaine et de la société, nous devons partir du principe de la dignité humaine. L’homme et la femme ont une dignité qui fait d’eux le centre de la société et le principe de droits qui ne doivent pas être violés. Ils ont été créés par Dieu à son image et à sa ressemblance (Gen.1, 26) et de plus, ils ont été rachetés par le Christ qui a donné sa vie pour que tous nous soyons fils et filles de Dieu. Cette dignité humaine doit être respectée par tous, spécialement par les institutions sociales et politiques dont la mission principale est de contribuer au développement intégral de la personne.

Ce principe a été altéré dans le système de l’économie de marché, parce que l’on y considère les marchandises comme plus importantes que les personnes. On ne les considère plus tant comme des sujets de droits que comme des clients à qui on vend des objets qui rapportent du bénéfice aux producteurs, comme des consommateurs captifs, et si quelqu’un n’a pas la capacité de produire et consommer, il est de trop, il ne présente aucun intérêt dans cette société de consommation. Dans le monde néolibéral, les pauvres sont exclus, ils sont de trop, invisibles. Peu importe leurs besoins, car ce qui importe c’est l’accumulation du capital.

C’est pourquoi il faut rappeler avec insistance ce principe de dignité pour pouvoir vivre dans une société pacifique, car de lui découlent d’autres principes qui régissent la vie de la communauté humaine, tel la destination universelle des biens. Dieu a tout créé pour le bien de tous, pas uniquement pour celui de quelques uns. L’être humain ne peut se passer des biens car ils constituent la condition de base de l’existence humaine. Ces biens sont absolument indispensables pour pouvoir répondre aux nécessités fondamentales : se nourrir, croître, communiquer, mûrir et atteindre d’autres finalités qui sont propres à la personne humaine.

La propriété privée n’est pas un droit absolu mais limité par la destination universelle des biens. La juste distribution de la richesse est la condition indispensable au développement des peuples et des personnes.

La solidarité est le principe qui doit régir les institutions sociales. La préoccupation du bien de tous est fondamentale en société. La solidarité implique la promotion et la défense de la dignité humaine et que tous disposent du nécessaire pour leur développement intégral. Pour les chrétiens, la solidarité est l’expression de l’amour, l’attitude fondamentale du disciple, homme et femme : « J’ai eu faim et tu m’as donné à manger, j’ai eu soif et tu m’as donné à boire… » (Mt 25, 35). Jésus prend le Samaritain pour exemple de ce qu’il faut faire avec le prochain, lui qui s’est montré solidaire de celui qui était tombé aux mains des voleurs ; au docteur de la loi il dit : « Va et fais de même » (Lc. 10,37). Nous sommes tous appelés à reconnaître la dette que nous avons envers tous les autres dans la société et à nous soucier, en regardant vers l’avenir, de créer les conditions qui permettront à tous de vivre avec dignité et de jouir des biens de la création.

L’économie de marché est un système sans éthique. Il n’a pas de vision humanitaire des personnes, pour lui n’existent que ceux qui ont la possibilité de produire et consommer, tout cela en fonction du lucre. C’est un système qui saccage les deux sources de richesse dans le monde : la nature et la personne humaine.

Conclusion

Face à cette crise alimentaire qui se manifeste avec une logique tellement inhumaine, la solution ne peut venir des pays puissants ou des institutions Internationales puisque ce sont eux qui la causent ; ils ne peuvent, par conséquent, puisqu’ils créent le problème, avoir la volonté de le résoudre…Tout au plus peuvent-ils créer certaines conditions permettant certaines conditions de vie. La solution vient des pauvres eux-mêmes, qui, par leurs petites actions, s’entraident avec la sagesse des peuples pour trouver des chemins de solidarité et de partage.

On ne peut continuer avec ce système qui épuise les deux sources de la vie : la personne humaine et la nature. Il faut en réinventer un nouveau où le centre de l’attention ne soit pas le capital et où le lucre et la concurrence ne soient pas les seuls types de relations dans les secteurs de la production et du commerce. L’actuelle crise financière a elle-même démontré à quel point les normes du marché sont erronées. C’est le système néolibéral lui-même qui s’est chargé de commencer le démantèlement de quelque chose que l’on croyait infaillible et qui devait marquer le terme de l’Histoire.

On doit essayer ces actions solidaires, au plan local, mais avec une perspective globale. Des actions telles qu’on y mette en pratique les valeurs d’une nouvelle société. Le pire est de rester spectateurs passifs de la mort de millions de pauvres dans le monde. La foi en Christ nous interpelle et nous pousse à l’engagement en faveur de la justice et de la vie digne.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3037.

 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.

 Source (espagnol) : Adital, 3 novembre 2008.

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