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DIAL 3046 - Dossier « Regards sur Haïti »

HAÏTI - 2008 : Stagnation dans la médiocrité

Marc-Arthur Fils-Aimé

dimanche 1er mars 2009, mis en ligne par Dial, Marc-Arthur Fils-Aimé

Dans ce dossier « Regards sur Haïti », nous publions deux textes rédigés par des Haïtiens qui dressent le bilan, l’un, ci-dessous, de l’année 2008, l’autre des 3 premières années du mandat de René Préval. Marc-Arthur Fils-Aimé est directeur général de l’Institut culturel Karl Lévêque (ICKL). Wooldy Edson Louidor est directeur de programme à la Société d’animation et de communication sociale (SAKS).


29 janvier 2008.

L’année 2008 s’est révélée morose pour Haïti. Les tractations politiques, la cherté de la vie, l’insécurité et les catastrophes naturelles ont assombri et endeuillé la vie citoyenne de plus d’un. Quelque soit l’angle sous lequel on aborde la conjoncture de ces douze derniers mois, on revient sur l’un ou l’autre si ce n’est sur l’ensemble de ces paramètres. Il faut préciser tout d’abord que ces derniers se rejoignent largement et s’imbriquent l’un dans l’autre en dépit de leur nature apparemment différente. Les eaux en furie, les prix des marchandises de première nécessité, le banditisme se sont déchaînés dans les limites que l’irresponsabilité du pouvoir leur a offertes.

Haïti se meurt sous le poids d’une classe politique égocentrique polycéphale qui ne trébuche, voire qui ne recule devant rien pour combler ses propres besoins même au détriment du peuple ou de la souveraineté nationale. Le pays stagne dans la médiocrité. Le mode de fonctionnement des différentes instances étatiques, la qualité honteuse de la gestion administrative et la présence récurrente des forces occupantes étrangères sur notre sol en témoignent.

Cette brève introduction suffit pour résumer de façon lapidaire la conjoncture de l’année récemment achevée.

Une année dominée par des turbulences politiques et naturelles

L’année 2007, en effet, s’était terminée avec une vague d’enlèvements inédite dans le pays. La montée de l’insécurité était devenue tellement préoccupante qu’elle s’était emparée de tous les esprits et avait éclipsé toute autre sorte d’analyses et de prises de position ouvertes. Les problèmes connexes, pourtant de caractère essentiel et structurel comme l’intensification de la misère qui érode progressivement l’assise financière et sociale des fractions moyenne et inférieure de la petite bourgeoisie, la dépendance débridée envers ladite communauté internationale et l’occupation du pays par des forces étrangères, ont été classés en deuxième position, même par certaines forces progressistes, dans la trame des grandes contradictions qui tissent les relations entre toutes les classes sociales de notre société.

L’année 2008 s’est affichée en une nette continuité de la précédente avec toujours en zigzag l’insécurité comme toile de fond, les évènements d’avril comme point de repère analytique et la corruption comme phénomène transversal qui entretient la jonction entre les différentes instances publiques et privées de la nation. De quelle stabilité le pays pourrait-il jouir avec tous ces problèmes à moins que l’on assimile la stabilité comme on le fait pour la démocratie à la tenue d’élections parrainées financièrement par la communauté internationale et surveillées militairement par les forces de l’occupation, en l’occurrence, la Mission des Nations unies pour la stabilité d’Haïti, la MINUSTAH ? Quel est le rôle véritable de cette dernière ? Dans la pratique, ce rôle n’est ni dans la stabilité d’un pays qui ne se trouve en aucune situation de guerre civile, ni dans le renforcement social. Tout porte à croire que le renouvellement de son mandat le 15 octobre dernier ne changera en rien les raisons et les causes qui caractérisent le capitalisme rachitique et dépendant qui domine la formation sociale haïtienne.

« Mais que la mission ait été renouvelée dans le même format à dominante militaire, cela ne finit pas d’étonner tout le monde. Et même de soulever chez certains de l’indignation. Cela après que le président Préval eut déclaré dans son allocution devant la XIIe Conférence des Amériques, le 3 octobre dernier, à Miami, avoir autorisé le renouvellement du mandat de la Mission en insistant sur la nécessité de la doter d’une branche technique composée d’ingénieurs militaires et d’engins de travaux publics en lieu et place d’une partie des blindés.

Cette déclaration publique, reprise dans les médias non seulement en Haïti mais à l’étranger, dont le Miami Herald auquel le chef de l’État accorda une interview exclusive, tout cela a été donc pour rien. Le Conseil de Sécurité n’en a fait aucun cas. » [1]

La commission pour réfléchir sur la problématique de la sécurité solennellement annoncée par l’actuel chef de l’État avec des intellectuels comme les professeurs Roger Petit-Frère, Suze Mathieu, sous la direction du professeur Patrick Elie suffit-elle pour créer cette atmosphère tant attendue ? Cette commission n’est pas dotée d’une mission différente de la dernière présidée par le Dr Hans Muller Thomas pour résoudre les problèmes chroniques à l’Hôpital général, le plus grand centre hospitalier du pays. Ces deux cas emblématiques participent du syndrome des commissions existantes. Le président Boniface Alexandre et le président Préval se sont épris de cette douce pédagogie pour renvoyer aux calendes grecques des décisions importantes. Nous pouvons citer M. Patrick Elie, dans une conférence prononcée à l’Institut culturel Karl Levêque (ICKL), le vendredi 4 juillet dernier :

« La problématique de l’insécurité marche de pair avec celle de l’armée. Nous devons posséder une armée. C’est la thèse de plus d’un. C’est pour ramasser toutes ces discussions que le président Préval a décidé de créer une commission pour réfléchir sur la façon de renforcer la sécurité du pays. Jusqu’à aujourd’hui, j’ignore s’il s’agissait d’un bluff du président Préval. Puisqu’il y a tant de gens qui le harcelaient sur cette question, il leur a lâché un os, il a créé une commission. Ou bien, est-ce de façon sérieuse que nous voulons poser le problème de l’insécurité dans ce pays ? » [2]

La turbulence politique empreinte de mobilisations populaires et de tractations politiques

En effet, la quasi-indifférence des dirigeants et des dirigeantes obnubilé-e-s par le respect des dictats des bailleurs de fonds internationaux, a soulevé une fois encore la colère des masses populaires. Au début du mois d’avril, elles ont gagné les rues dans différentes régions du pays pour exprimer leur désaccord avec la politique dominante. Contrairement aux explications sommaires des tenants du néolibéralisme largement diffusées ici et là, la foule à travers les messages qu’elle véhiculait, soit de vive voix, soit avec ses pancartes, ne se contentait pas de réclamer du riz et d’autres céréales. Loin d’une nébuleuse émeute de la faim, les manifestantes et les manifestants charriaient dans leur discours des messages politiques clairs. Ils profitaient de cette occasion pour sommer le départ des forces occupantes. Ils dénonçaient et condamnaient la pratique de l’ensemble de la classe politique traditionnelle composée dans l’optique de la division bourgeoise du travail sociopolitique, d’une branche qui dirige directement et d’une autre qui se prélasse dans les avenues du pouvoir au nom d’une prétendue opposition au gouvernement.

Pour tromper cette majorité grandissante et calmer son ardeur, le Sénat a fait sauter le fusible le plus à sa portée, en l’occurrence le premier ministre Jacques Edouard Alexis. C’était le samedi 12 avril. Dans sa chute, il a emporté avec lui presque tous ses ministres, excepté quelques rares proches du président. Cette révocation qui a provoqué un vide nominal du pouvoir pendant presque cinq mois a été tout simplement intempestive puisque l’équipe remplaçante n’a pas présenté la moindre alternative dans ses démarches.

Pour pallier cette déficience institutionnelle, le président Préval eut à présenter successivement aux deux Chambres législatives trois propositions de nomination d’un premier ministre. La chambre des députés a renvoyé, malgré la bénédiction du Sénat, en premier lieu M. Eric Pierre, sous le fallacieux prétexte que ses pièces d’identité n’identifient pas le même personnage avec parfois un Éric comme prénom et d’autres fois ce même Éric comme nom. Pourtant ces élus du peuple connaissent bien les péripéties que subissent les actes d’état civil dans le pays dont sûrement un grand nombre d’entre eux portent aussi les stigmates. M. Robert Manuel a été écarté une fois encore par la même chambre parce qu’il n’est pas propriétaire d’un bien immeuble et détenteur d’une carte électorale alors qu’au moment où l’on émettait ces cartes, il ne vivait pas dans le pays pour des raisons politiques. Il revenait à Mme Michèle Pierre-Louis de se trouver sous les feux de la rampe du Sénat.

Les premières critiques fusaient de plusieurs secteurs. On tendait à faire accroire que le comportement sexuel de Mme Pierre-Louis déterminerait sa compétence à bien conduire la machine publique. L’État républicain avait perdu son caractère laïc pour devenir un État religieux proche du fondamentalisme. On a entendu la sénatrice Mme Supplice Beauzile qui s’obstinait à ne pas ratifier Mme Pierre-Louis pour ne pas être en porte-à-faux avec sa foi chrétienne.

La nécessité du moment demandait à ces fidèles chrétiens de se rappeler et de réveiller leur foi chrétienne qui, dans d’autres circonstances scandaleuses comme la vente de leur conscience politique ou leur participation directe ou collatérale à des actes de vandalisme, de trafics de stupéfiants ou de détournement de mineures allant jusqu’à la pédophilie, reste en état de sommeil. Seulement en état de sommeil pour émerger cette débile conscience aux moments opportuns comme c’est le cas dans cette circonstance.

Les raisons évoquées à chacune de ces trois occasions cachent d’autres intérêts beaucoup plus fondamentaux comme les contradictions internes – donc secondaires par rapport aux revendications opposant les classes dominées aux classes dominantes – qui minent l’ensemble de la classe politique traditionnelle et « les brasseurs d’affaires du bord-de-mer » pour répéter Marcel Gilbert. L’emprisonnement d’un Brandt dans le pays est une expression éloquente de ces contradictions. On peut citer, parmi ces intérêts, quelques-uns parmi les plus évidents : l’obsession du pouvoir et la corruption qui dans la réalité ne se dissocient pas.

L’obsession du pouvoir

On connaît bien la volonté politique de plus d’un dans l’hémicycle qui n’aimerait pas qu’un gouvernement nommé par Préval réussisse. Un tel succès accroîtrait la capacité de ce dernier à gagner par son poulain interposé les prochaines élections jusqu’à la plus haute magistrature de l’État et diminuerait par contre la chance des autres prétendants qui ne sont pas de son sérail à accéder à un poste électoral. Dans les deux sens, bien des noms sont cités. Cet engouement pour le pouvoir public ou pour un poste gouvernemental explique clairement l’âpreté de la lutte où tous les coups sont permis, même les plus pernicieux ou les plus bas. La continuité de l’État et le bien-être de la population ne sont nullement inscrits dans le calendrier de la plupart de ces obsédés politiques, versés toujours à la protection de leurs intérêts immédiats.

La corruption

Les députés et les sénateurs, qui reprochaient à Mme Pierre-Louis ses affinités sexuelles, l’ont acceptée après certaines négociations. Certains membres de l’appareil législatif exigeaient d’elle des ministères pour leur parti politique qui pourtant aux yeux de tout le monde s’effrite petit à petit mais de manière constante. D’autres clamaient et réclamaient carrément une garantie leur permettant de bénéficier des projets soit disant au nom de leur communauté.

Le caractère transversal de la corruption apparaît ici avec force. En effet, des députés et des sénateurs ont dénoncé maintes fois l’absence répétée de leurs collègues à leurs postes. À de nombreuses reprises, le quorum n’a pu être atteint pour des raisons personnelles, en dehors du respect des normes réglementant le corps auquel ils appartiennent. Il y en a aussi qui ont carrément besoin de cette atmosphère conjoncturelle trouble pour mener leurs activités de contrebande, de trafic de drogue ou d’autres marchandises illicites. Leur présence dans des échelons élevés de l’État ou du gouvernement leur sert, de préférence, d’alibi pour diriger leurs activités immorales de toutes sortes.

Le fonctionnement de l’administration publique avec une Cour supérieure des comptes qui n’a pas encore divorcé d’avec la pratique obscure de son fondateur, le cupide dictateur François Duvalier, ne saurait ébranler aucun pouvoir dans ses habitudes de détourner les fonds de l’État ou autres. Seulement l’honnêteté des uns et celle des autres peuvent les retenir à ne pas nager dans la concussion. L’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ayant à sa tête le professeur Amos Durosier, fondée par le gouvernement d’interrègne Alexandre- Latortue, ne pèse pas lourd dans la balance pour coincer les corrompus et les corrupteurs.

L’interrègne interrompu par les cyclones

Parallèlement à cette turbulence politique, quatre cyclones dont l’un s’est révélé plus brutal que l’autre, ont ravagé une grande portion de notre flore, de notre faune et de nos infrastructures routières. Ces catastrophes naturelles sont survenues pendant que la Chambre haute, du fait de la fragilité du quorum due à la mort d’un sénateur, à la destitution d’un autre pour cause de double nationalité et à la fin du mandat d’un tiers de ce grand corps, marchandait son vote. L’ampleur de ces catastrophes a facilité l’acceptation de la nouvelle première ministre dans l’espace d’un interstice. Les centaines de pertes en vies humaines ainsi qu’une quantité impressionnante de maisons détruites ont diminué la prétention de ses contestataires. La fureur du vent et des eaux, qui a été plus forte ailleurs comme en République dominicaine et à Cuba où elle a causé beaucoup moins de dégâts matériels et a laissé derrière elle moins de blessés et de morts, a porté les attentions vers l’humanitaire. Malheureusement, les services de secours souffraient d’un large déficit de coordination. Chacun des grands acteurs, l’État et les ONG internationales, se démêlait de son côté dans un profond cafouillis sans vraiment toucher les plus nécessiteux se trouvant dans les zones les plus reculées. En général, les intervenants s’arrêtaient aux alentours des milieux accessibles au mépris de la grande majorité des sinistrés coincés aux flancs des mornes [3]. Le détournement par ci par là, du peu reçu pour l’ensemble des besoins que le cas exigeait, a aggravé le sort des laissés-pour-compte.

Les conséquences de ces intempéries résultent de toute la politique anti populaire notamment anti-paysanne qui a toujours obligé d’abord les paysans pauvres à occuper les mornes et à exploiter des endroits inaptes à l’agriculture, et aujourd’hui, à créer tous azimuts par le fait d’une migration désordonnée, des bidonvilles dans toutes les principales villes du pays. Ce n’est pas par hasard que les masses populaires sont doublement victimes des intempéries et de la gestion des affaires courantes du nouveau gouvernement dont les effets se font toujours attendre.

L’effondrement du collège La promesse évangélique, le 7 novembre, qui a causé la mort de près de 90 personnes parmi lesquelles des élèves, des membres du corps enseignant et des marchands ambulants, n’a pas connu un meilleur suivi. D’autres bâtiments qui se sont écroulés après, sont en réparation à la même place. L’État socialement moribond a adopté très peu de mesures préventives pour limiter et protéger les zones à risque. Les saisons cycloniques qui couvrent généralement la période du début de juin à la fin de novembre deviennent de plus en plus sauvages et agressives, à cause de la rapacité débridée de la globalisation capitaliste, trouveront en Haïti cette année encore un environnement déjà favorable pour cracher leurs malheurs. Les autorités n’ont pris jusqu’à ce moment aucune mesure protectrice parmi les plus élémentaires pour limiter les dégâts.

La grande occasion manquée

Malheureusement, la Première ministre qui bénéficiait d’une certaine présence dans le milieu populaire par ses discours et ses pratiques, a su accorder son violon avec des politiciens du pouvoir législatif pour accéder à un poste ou à un pouvoir sur lequel elle n’a pas de grande prise réelle. Comme preuve, elle a présenté comme axe central de sa politique générale le Document stratégique national pour la réduction de la pauvreté (DNSCRP). Ce document est un prêt-à- porter défini par les institutions de Bretton Woods [4] pour tous les pays appauvris avec certaines modifications propres à chacun d’eux.

Le peuple qui a rejeté par ses prises de positions ouvertes pendant plus d’une semaine l’orientation néolibérale du pouvoir et la nature par ses débordements avaient aplani le terrain au nouveau gouvernement pour appliquer une autre politique et amorcer la voie du changement définitif. Quelle occasion manquée !

La conjoncture avait offert à son gouvernement qui est sorti de la poche du président presque en son entier, certaines occasions pour assurer son autorité et offrir une certaine alternative aux masses populaires. Malheureusement, il ne s’est pas démarqué des pratiques traditionnelles. Comme un sapeur pompier, il s’est attribué comme tâche de panser les dommages au lieu de préparer un plan visant à orienter adéquatement la politique alimentaire et industrielle du pays. Pour sortir ce dernier des ornières de la pauvreté presque absolue qui guette des couches sociales de plus en plus étendues de la population, il faut arriver à inverser la place qu’occupe l’aide des bailleurs étrangers. D’essentielle, elle doit devenir un appoint au budget national. Cela requiert évidemment toute une nouvelle conception de la production et de la consommation des biens nationaux, donc, une autre éthique de la croissance et du développement.

Le gouvernement de Mme Pierre-Louis s’est plié spontanément à la politique néolibérale chère au président Préval, à ses principaux conseillers et à la gloutonnerie des partis politiques traditionnels qui n’ont pas caché leur volonté d’obtenir des postes ministériels et d’autres avantages sociaux et économiques. L’on n’ignore pas ce que cela veut dire chez nous le fait de présider des ministères qui sont autant de petits États à l’intérieur de l’État national sans trop grande cohérence entre eux. Ce que Mme Lassègue, l’actuelle ministre à la condition féminine, et membre du précédent cabinet, a dénoncé quoique tardivement.

La nouvelle équipe gouvernementale n’a présenté nulle perspective pour s’attaquer aux éléments structurels qui atrophient la plus petite velléité de se lancer dans la production nationale si elle voulait vraiment arracher le pays à cette dépendance qui devient de plus en plus intolérable. Dans la déclaration de sa politique générale, Mme Pierre- Louis a écrit :

« La situation actuelle de l’économie haïtienne est le résultat de deux facteurs externes importants liés à une crise mondiale sur laquelle nous n’avons pas de prise directe :
 a. La hausse de prix des produits de première nécessité et des prix du pétrole sur le marché international.
 b. La récession aux États-Unis et dans les pays européens avec ses conséquences sur le volume des transferts de la diaspora vers Haïti, le taux de change de la gourde et les revenus des familles.

Comme nous n’avons nulle responsabilité interne, la solution ne saurait dépendre de nous si l’on se fiait au message du chef du nouvel exécutif. On comprend pourquoi cette équipe encourage par exemple la logique de l’agro- carburant à base de « jatropha » sans évaluer ni les précédentes déconvenues que le pays en général et la paysannerie en particulier ont vécues avec le sisal et l’hévéa durant les années 30 et 40 ni les conséquences déjà néfastes de cette approche en Argentine par exemple. Peut-on s’attendre après les différents discours prononcés à la moindre circonstance au développement d’une politique alimentaire originale et responsable, qui répondrait aux exigences nationales ? Ou à une réforme agraire qui tiendrait compte de notre réalité au lieu de cette politique agricole axée sur des engrais importés et inaccessibles au plus grand nombre des planteurs ? La politique alimentaire et la politique agricole ne signifient pas la même chose et ne visent pas les mêmes objectifs. Le point de départ ou de décollage réel ne viendra que lorsque la différence entre les deux visions sera clairement tracée et l’adoption de la première (la politique alimentaire) clairement garantie avec des mesures appropriées pour l’appliquer. Que faire avec cette flotte de tracteurs et d’engins lourds achetée par le président et en grande partie donnée par le Venezuela quand la bonne terre demeure encore aujourd’hui la propriété de quelques latifundiaires qui habitent en ville ? On dirait que le satisfecit des institutions de Bretton Woods semble un objectif à atteindre par les tenants des appareils étatiques en s’alignant avec acharnement sur la mondialisation capitaliste malgré son essoufflement et les échecs partout patents de l’ajustement structurel qui a infecté aussi notre diplomatie.

En effet, l’image d’Haïti a emboîté le pas à la désertification de nos sols qui à la moindre averse, se débarrassent de leurs couches arables pour les déverser dans les rivières et dans la mer. Haïti est vue par certains courants du monde entier comme un État en faillite et ingouvernable sans que ses dirigeants n’entreprennent aucune contre-campagne pour démentir une telle assertion. On dirait que cet acharnement blessant notre dignité de grand peuple libérateur sert d’alibi pour que toutes nos réalisations passent par un tiroir étranger. Le sénateur Jean Hector Anacacis a récemment boudé une réunion organisée par les commissions des deux Chambres les 9 et 10 décembre dernier du fait qu’elles ont cherché l’aide financière internationale pour discuter dans un hôtel de la capitale des affaires souveraines nationales. Qui aurait cru que la diplomatie haïtienne se serait laissée dominée par l’idéal néolibéral qui accorde plus de place à la recherche de fonds auprès des bailleurs internationaux qu’à la sauvegarde de la réputation d’Haïti et à la protection de ses ressortissants vivant sur une terre étrangère ? L’UNICEF, cet organe des Nations unies dédié à la protection de l’enfance, a publié et primé à la fin de cette année 2008, sous le prétexte d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation des enfants haïtiens, la photo d’une fillette de Cité Soleil, ce vaste bidonville de Port-au-Prince, en train de chercher de la nourriture en compagnie de deux cochons sur une pile de fatras dans une mare entretenue par la pluie. Notre chancellerie n’a pas adressé la moindre protestation auprès de la personne ou de cet organisme pourtant très prestigieux qui s’est inscrit dans la logique d’humilier Haïti, cette puissance rebelle endormie. D’humbles compatriotes subissent en République dominicaine quotidiennement toutes sortes d’injustices, sont massacrés, déportés dans des conditions humiliantes en dehors du respect des normes internationales en la matière. Plutôt que de condamner ces actes, nos responsables chantent au mépris de toutes les protestations du Groupe d’appui aux réfugiés et aux rapatriés (GARR), de forces progressistes dominicaines et mondiales parmi tant d’autres, l’excellence des rapports entre les deux républiques de l’Île.

La ligne politique actuelle et une plus grande exclusion des masses

La politique de M. Préval et de son gouvernement contribue à une plus grande exclusion des masses populaires et à leur enfoncement dans une misère qui devient davantage poisseuse à chaque jour qui se lève en dépit d’une meilleure perception des taxes et des impôts par la Direction générale des impôts et la douane. Cette performance est rendue possible grâce à l’augmentation de nouvelles impositions payées surtout par les classes sociales les moins riches, car les différentes fractions de la bourgeoisie détiennent des secrets séculaires pour contourner leurs devoirs envers l’État qui ne possède plus de budget national. Près de 70% de ses revenus dépendent de l’étranger pendant que parallèlement et paradoxalement ses responsables financiers payent annuellement une dette non due de plus de 60 millions de dollars. Un audit financier, comme cela a eu lieu récemment en Équateur avec le président Rafael Correa, s’avère indispensable pour démontrer l’origine odieuse de la dette, les affectations qu’on en a faites et surtout pour pouvoir s’en affranchir dignement à la place des fausses alertes d’annulation propagées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

Le camp progressiste et ses perspectives.

Le camp progressiste se trouve dans l’obligation de se rassembler pour canaliser dans une direction révolutionnaire les rébellions spontanées des masses et isoler définitivement les politiciens traditionnels et les opportunistes de tout acabit. La nécessité de dénoncer et de combattre l’hypocrisie des militants conjoncturels du temps de leur jeunesse se fait de plus en plus pressante. Il faut annuler définitivement le populisme, cette zone grise qui combine des paroles prometteuses creuses en faveur des masses populaires et des pratiques de droite, car leur seule boussole en réalité est la mondialisation capitaliste.

L’unité que nous prônons ne signifie pas une simple addition des uns et des autres. Elle doit résulter d’un travail profond permettant l’érection d’un corps politique éclairé idéologiquement et solidement associé aux organisations se réclamant d’orientation populaire non d’après une simple indication et localisation géographiques, mais surtout d’après leurs attachements à des revendications alternatives par rapport aux tenants du statu quo. Les partis politiques traditionnels sont de plus en plus dépréciés même aux yeux de leurs alliés. Par leur comportement dans les chambres haute et basse par exemple, leurs membres en se regroupant sans aucune discipline envers leur structure organisationnelle dans des blocs indépendants comme la Concertation des parlementaires progressistes (CPP) ont envoyé au peuple un message clair. La nature a horreur du vide. Agissons vite et bien.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3046.
 Texte envoyé par l’auteur.

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[1Haïti en marche, édition du 29 octobre au 4 novembre 2008, vol. XXII, n. 40.

[2La conférence a été prononcée en créole. Nous donnons ici la traduction de la déclaration originale : « Kesyon ensekirite a mache ak yon zafè lame. Fòk nou gen yon lame : se tèz yon latriye moun. Se pou anbrase tout kalite pawòl sa yo prezidan René Préval te deside mete yon komisyon pou reflechi sou ki jan nou kapab ranfòse sekirite peyi a. Jouk jounen jodi a, mwen pa konnen si prezidan Preval te fè li pou blofe. Kòm te genyen plizyè moun k ap nwi li, li voye yon zo ba yo,li kreye yon komsyon. Ou byen èske se seryezman nou vle poze pwoblèm sekirite peyi sa a ? ».

[3Montagnes – note DIAL.

[4Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale – note DIAL.

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