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DIAL 2349

GUATEMALA - Le cas Gerardi : toujours sans réponse. L’enquête sur l’assassinat de Mgr Juan Gerardi est jalonnée de scandales, d’exils et de menaces

Paul Jeffrey

mardi 1er février 2000, mis en ligne par Dial

Au cours de sa campagne électorale, le nouveau président du Guatemala, Alfonso Portillo, qui appartient au même parti que l’ancien dictateur Ríos Montt (lequel vient de se voir confier la présidence du Congrès), s’est engagé à faire la clarté sur l’assassinat de Mgr Juan Gerardi (cf. DIAL D 2219 et 2259), qui eut lieu le 26 avril 1998, soit deux jours après qu’il eût présenté publiquement le rapport Guatemala : jamais plus sur les violations des droits humains qui sévirent pendant la guerre. L’avenir dira ce que vaut cette promesse du candidat devenu président. L’enquête sur cet assassinat s’est déroulée jusqu’à présent d’une manière telle que la justice a été systématiquement entravée. Des membres des forces de sécurité restent l’objet de tous les soupçons. Article de Paul Jeffrey, paru dans Noticias Aliadas, 29 novembre 1999.


Trois ans après la fin de la guerre entre Guatémaltèques, la question de savoir qui a tué l’un des grands pacificateurs du pays, l’évêque catholique Juan Gerardi, reste sans réponse, ce qui laisse planer un doute : le pays a-t-il réellement dépassé son passé de violence ?

Gerardi fut brutalement assassiné le 16 avril 1998, peu après avoir publié un rapport montrant avec précision les responsables de la violence pendant les 36 années de guerre civile au Guatemala, qui s’est achevée par les accords de paix signés en décembre 1996 entre le gouvernement et la guérilla de gauche.

Guatemala : jamais plus, le rapport de 1400 pages patronné par l’Église catholique, établit que les militaires sont responsables de la majorité des 150 000 morts et des 50 000 disparus.

Le chemin pour résoudre l’assassinat de l’évêque a été tortueux, ressemblant par moment davantage à une série TV qu’à l’enquête sur une mort. La liste des personnes concernées est en train de diminuer, car plusieurs d’entre elles ont abandonné le pays ces derniers mois.

Le chauffeur de taxi Diego Méndez a fui au Canada en février, après avoir témoigné qu’il a vu un véhicule militaire devant la maison de Gerardi la nuit du crime. Presque un mois plus tard, le deuxième juge en charge de l’affaire, Henry Monroy, a suivi le chemin de l’exil de Méndez au Canada, après avoir reçu des menaces de mort. Le premier juge avait renoncé fin janvier, accusé de partialité.

En août, un autre témoin, Jorge Aguilar, a quitté le pays après avoir raconté les allées et venues du personnel et des véhicules dans la caserne générale de l’état-major présidentiel (EMP) la nuit du crime. Cette caserne de l’EMP se trouve à trois pâtés de maisons de la maison paroissiale où l’évêque a été assassiné.

Aguilar a témoigné pendant huit heures le 14 août, il a décrit comment le crime fut planifié par le major Francisco Escobar, le capitaine Byron Lima et un autre officier seulement identifié comme « Dubois ». Aguilar a déclaré que des spécialistes de la garde présidentielle ont « nettoyé » les environs de la maison paroissiale pour s’assurer qu’aucun policier ou importun n’interrompent leurs activités.

Aguilar a dit que l’assassin, dont le nom n’a pas été rendu public, a quitté la caserne générale de l’EMP dans un véhicule, accompagné par Lima et quelques hommes masqués. Aguilar a affirmé que le responsable fut plus tard licencié, mais il a été récemment embauché comme instructeur d’arts martiaux. Il a dit aussi avoir vu une Toyota Corolla de couleur blanche, avec des plaques propres à l’EMP, dans la caserne principale de celui-ci, la même voiture que Méndez a remarqué sur la scène du crime.

Deux jours après avoir témoigné, Aguilar, son épouse et ses cinq enfants furent escortés par des fonctionnaires de l’ONU et quittèrent le pays pour se réfugier au Canada.

Le témoignage d’Aguilar semble avoir redonné vie à une enquête moribonde. Le procureur général, Calvin Galindo, est revenu le 27 août des États-Unis en promettant que l’affaire serait résolue en deux semaines. Galindo apportait avec lui les résultats des examens d’ADN réalisés par le FBI (Federal Bureau of Investigation) sur le sang trouvé sur le lieu du crime.

Les examens ont comparé ces échantillons de sang avec d’autres prélevés en mai sur 17 suspects possibles, dont 12 militaires.

« Avec les résultats que j’ai apportés des États-Unis, nous sommes parvenus à des conclusions qui appuient la thèse politique [du crime] », a déclaré alors Galindo. Selon des sources ecclésiastiques, Galindo était sur le point de lancer des mandats d’arrêt contre Lima et Escobar.

Mais au lieu d’ouvrir à nouveau l’affaire, Galindo lui-même est venu s’ajouter à la liste des exilés, en quittant le pays avec sa famille le 7 octobre. Le procureur a déclaré qu’il avait ignoré les avertissements personnels autant qu’il a pu, mais quand il y a eu des menaces contre ses enfants, il a décidé d’abandonner le pays.

Il s’est plaint également en privé du manque d’appui à son enquête de la part des fonctionnaires du ministère public, où il travaillait.

« Galindo avait mis le doigt sur des points importants dans ses enquêtes, mais il a touché des gens qui se croient intouchables », selon l’analyste politique Miguel Angel Albizures. « Les fonctionnaires gouvernementaux sont pieds et poings liés devant les assassins intouchables qui peuvent faire ce qu’ils veulent, et le gouvernement est incapable de les atteindre », dit avec fureur Mgr Mario Ríos Montt, évêque auxiliaire de la ville de Guatemala, qui a pris la place de Gerardi comme directeur du Bureau des droits humains de l’archevêché.

Le 13 octobre, le père Mario Orantes est devenu l’exilé le plus récent en partant quelque part aux États-Unis. Le prêtre, qui vivait avec Gerardi et qui est resté sept mois en prison, inculpé par le premier procureur de l’affaire, reste mis en examen. Son avocat a déclaré qu’il avait quitté le pays car il était menacé de mort, mais aucun fonctionnaire ecclésiastique ou des droits humains n’était au courant de ces menaces.

Le berger allemand de Orantes, Balú, qui fut arrêté en même temps que le prêtre parce que le premier procureur croyait qu’il avait participé à l’attaque contre Gerardi, est mort de causes naturelles le 29 septembre.

Quand le ministère public a nommé Leopoldo Zeizzig comme nouveau procureur en octobre, l’Église catholique demanda au gouvernement de donner à celui-ci l’appui nécessaire pour poursuivre l’enquête.

« Si un autre abandonne, ce sera le comble pour le pays » a déclaré Mgr Víctor Hugo Martínez, archevêque de Quezaltenango, président de la Conférence épiscopale du Guatemala.

Zeizzig, qui a travaillé cinq mois comme assistant de Galindo, semble avoir pris au sérieux son nouveau rôle. Le 5 novembre, il a pris la déclaration d’un nouveau témoin, Oscar Chex López, agent de renseignement militaire, qui a décrit comment il avait mis sur écoute les téléphones de Gerardi et de trois autres évêques guatémaltèques - Álvaro Ramazzini, Julio Cabrera et Rodolfo Quezada - ainsi que celui de Rigoberta Menchú, prix Nobel de la Paix, et de leaders politiques de l’opposition.

Le témoignage de Chex a fourni davantage de preuves contre les militaires, mais ni Zeizzig ni la juge Flor de María García n’ont émis de mandat d’arrêt. García a programmé une nouvelle révision des archives de la caserne générale de l’EMP en décembre et a déclaré qu’elle attendait des résultats supplémentaires des examens d’ADN aux États-Unis.

« Il y a toutes les preuves pour déterminer qui sont les coupables, mais il n’y a pas de volonté politique de la part de ce gouvernement. Ce qui est lamentable, c’est que si on n’élucide pas l’affaire maintenant, l’année prochaine ce sera plus difficile », tel est le commentaire d’Eddy Armas, secrétaire de l’Assemblée de la société civile.

Alfonso Portillo, favori pour le second tour des élections du 26 décembre, a promis de résoudre le meurtre de Gerardi, sinon il démissionnera.

Cependant, on estime que Portillo a une carte dans sa manche. Selon un militaire de haut rang, qui a parlé sous couvert d’anonymat, Portillo dira que le crime « ne fut pas stratégique », mais qu’il fait suite à une aventure homosexuelle impliquant Orantes et des membres de l’EMP.

Selon l’officier, Portillo rendra responsable d’une grande partie du scandale le ministre de la défense Marco Tulio Espinoza, officier de l’armée de l’air, dont l’engagement avec le président Alvaro Arzú a heurté les militaires des autres armes. Ces officiers, liés au général Efraín Ríos Montt, semblent avoir donné à Portillo la preuve nécessaire pour résoudre l’affaire, et en même temps pour destituer Espinoza.

Quoi qu’il en soit, disent les observateurs, le feuilleton TV va continuer.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2349.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, novembre 1999.
 
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