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DIAL 3278

HONDURAS - « Défendre les droits humains est aujourd’hui un crime » : entretien avec la dirigeante indienne Bertha Cáceres

Orsetta Bellani

vendredi 18 avril 2014, par Dial

DIAL se fait souvent l’écho des luttes menées par les populations affectées contre différents types de projets extractivistes, grands barrages, projets miniers ou d’extraction pétrolière. Les deux premiers textes de ce numéro se font l’écho cette-fois-ci des stratégies utilisées par les grandes compagnies pour désamorcer ou, à défaut, pour faire plier les mobilisations, souvent avec le soutien des institutions des États. Le premier texte, publié par Noticias Aliadas le 21 février 2014, présente une des stratégies adoptées par les entreprises brésiliennes Vale [1] et Belo Monte : l’espionnage. Le second texte, ci-dessous, qui a de même été publié par Noticias Aliadas (19 décembre 2013) présente un second type de stratégie, déjà évoqué dans de précédents numéros [2] : la criminalisation des mobilisations sociales.


Au Honduras, où 80% des crimes restent impunis, les mouvements sociaux sont criminalisés et poursuivis devant les tribunaux. Dans le cadre de la lutte du peuple lenca contre l’usine hydroélectrique Agua Zarca [3], parce qu’il estime qu’elle privatise les rivières, l’eau, des territoires et l’énergie, trois membres du Conseil citoyen des organisations populaires et indiennes du Honduras (COPINH) ont été accusés de délits graves. Il s’agit de Tomás Gomez, Aureliano Molina et Bertha Cáceres, coordinatrice générale de l’organisation. Orsetta Bellani, correspondante de Noticias Aliadas, a interviewé Cáceres la veille des élections présidentielles du 24 novembre dernier, à l’issue desquelles a finalement gagné le candidat de droite Juan Orlando Hernández.

Quels sont les chefs d’accusation retenus contre vous et comment se déroule le processus judiciaire ?

Les poursuites judiciaires ne sont qu’une des formes que prend la persécution politique menée contre le COPINH et c’est une stratégie mise en place au niveau présidentiel. Nous sommes conscients de ce que notre lutte, qui est pacifique mais énergique, se heurte à des pouvoirs aussi grands qu’influents. Sur l’un des deux chefs d’accusation à mon égard — port illégal d’armes mettant en danger la sécurité intérieure de l’État du Honduras — le Procureur et le Ministère public m’ont offert une audience de conciliation. Ils m’ont proposé de clore les poursuites et en échange j’indemniserais l’État et lui demanderais pardon, en reconnaissant que l’arme m’appartenait, ce que, bien entendu, je ne vais pas faire ; je n’ai commis aucun délit et je n’ai aucune raison de me prêter à ce type de conciliation. [Dans le cadre de cette affaire, elle a été arrêtée le 24 mai et par manque de preuves suffisantes elle est sortie de prison 21 jours plus tard avec des mesures substitutives à la prison].

Ensuite, sous la pression de la défense, des mouvements sociaux, de la Commission interaméricaine des droits humains, d’Amnesty International et des milliers de témoignages de solidarité qui ont dénoncé cette injustice dans le monde entier, on m’a proposé de payer à l’État les frais qu’il avait engagés dans ce procès, en tant que victime de mes actes. J’ai également refusé cela. À l’heure actuelle ce qu’il y a de plus probable c’est que lors de la prochaine audience le jugement se poursuive en dehors de toute considération de conciliation.

Dans la deuxième affaire c’est l’entreprise qui nous accuse de dommages répétitifs, pression et usurpation, en septembre on a prononcé une peine de prison préventive à mon égard et fixé la prochaine audience préliminaire au 11 février 2014. [Dans cette affaire un ordre de détention menace Cáceres et elle a déclarée faire l’objet d’un procès politique]. En outre, cette année une réforme a été votée qui prévoit qu’une personne ayant bénéficié de mesures substitutives à la prison — comme ça a été le cas dans le cadre de la première affaire pour laquelle on m’a appliqué une peine d’interdiction de sortir du pays avec obligation de me présenter tous les 15 jours au tribunal — ne peut pas en bénéficier une seconde fois dans le cadre d’une autre affaire. Lorsque j’ai été accusée d’être en possession d’une arme en mai 2013, cette loi n’était pas en vigueur, mais on l’a prévue avec effet rétroactif et c’est illégal. Il n’existe, au Honduras, aucune loi avec effet rétroactif.

Ces accusations ont lieu dans le contexte de l’opposition du COPINH au projet hydroélectrique Agua Zarca sur le territoire de la communauté de Río Blanco, dans le département d’Intibucá. Pourquoi la lutte de cette communauté est-elle si importante pour l’État du Honduras ?

Il y a des années, les communautés du COPINH ont entamé une lutte pour la défense de leur territoire et du fleuve Gualcarque, qui est un fleuve sacré pour le peuple lenca. En avril 2013, nous sommes parvenus à expulser Sinohydro/Desa qui est la plus grande entreprise de construction de barrages au monde, notre lutte est synonyme d’exercice de notre autonomie et de contrôle territorial. L’entreprise a obtenu la concession de manière illégale en 2010 et du fait de ses liens avec l’armée elle a exercé une forte pression sur les communautés non seulement en les harcelant mais aussi en offrant des pots-de-vin et en essayant de manipuler la population. Cela indique que les multinationales n’ont pas besoin d’intermédiaires politiques mais qu’elles vont directement réprimer les communautés. Qui dit projet minier ou hydroélectrique dit plan de militarisation.

La lutte de Río Blanco est un mauvais exemple pour le grand capital parce qu’elle a démontré qu’il est possible de faire reculer un projet de domination et de privatisation, elle démontre qu’il est possible d’expulser une multinationale envahisseuse et ceci fait partie de la lutte légitime du peuple lenca.

Les poursuites contre vous semblent s’inscrire dans un climat de criminalisation des mobilisations sociales qui touche tout le pays.

L’État a mis sur pied des structures répressives dont le financement est assuré y compris par la Banque interaméricaine de développement, sous couvert du Plan de sécurité régionale pour l’Amérique centrale. C’est très préoccupant pour les femmes et les hommes engagés dans les luttes sociales car la répression va s’intensifier. Défendre les droits humains est aujourd’hui un crime. Le Congrès et les secteurs oligarchiques sont à l’origine de la création de la Police militaire, qui agit comme une structure paramilitaire dirigée contre les mouvements sociaux. Les appareils policiers et de renseignement ne sont pas les seuls à agir, des corps non officiels et des agences privées de sécurité interviennent aussi et ne sont rien d’autre qu’un autre corps d’armée qui protège les intérêts du grand patronat. Ces structures fonctionnent manière conjointe avec la police et l’armée, dont elles doublent le nombre. Pendant la semaine des élections la présence policière et militaire s’est accrue y compris en faisant appel à des réservistes. Ce climat ne favorise pas la tenue d’élections démocratiques.

Aux élections présidentielles de demain la candidate du parti Libre (Liberté et refondation) est Xiomara Castro, épouse de Manuel Zelaya. Elle s’est mobilisée contre le coup d’État de 2009, elle promet une voie hondurienne vers le socialisme au XXIe siècle et elle veut rompre avec un bipartisme vieux de cent ans. Quelle est ton opinion sur Castro ?

Le peuple hondurien a soif de changements profonds, un processus de prise de conscience et de formation a eu lieu, surtout dans les rues, où nous avons appris plus que nulle part ailleurs. Je crois qu’il serait important que Libre gagne, au Honduras, il est nécessaire qu’une autre force politique partisane soit au gouvernement, il ne ferait pas de changements profonds mais il représenterait un gouvernement différent de ce que nous avons eu avec l’ultra-droite fasciste.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3278.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 19 décembre 2013.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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