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DIAL 3082

EL SALVADOR - Hommage aux martyrs de la UCA

Rafael Correa Delgado

dimanche 1er novembre 2009, mis en ligne par Dial

Il y a bientôt 20 ans, le 19 novembre 1989, étaient assassinés par un peloton du bataillon Atlacatl de l’armée salvadorienne plusieurs prêtres jésuites occupant différentes fonctions importantes dans l’Université centroaméricaine (UCA), fondée en 1965 par la Compagnie de Jésus, ainsi que deux femmes, Elba Julia Ramos, travaillant dans la résidence de l’Université, et sa fille de 15 ans, Celina. Ignacio Ellacuría avait été nommé recteur de l’université en 1979. Ignacio Martín-Baró était vice-recteur académique, Segundo Montes, directeur de l’Institut des droits humains, Juan Ramón Moreno était directeur de la Bibliothèque de théologie et Amando López, professeur de philosophie. Un autre jésuite qui se trouvait dans la résidence, Joaquín López y López fut assassiné aussi. Seul Jon Sobrino [1] , alors absent du pays, échappa à la mort. En parallèle, un autre peloton, plus nombreux, était chargé de simuler un affrontement, incendiant un immeuble, mitraillant des voitures garées et peignant des mots d’ordre impliquant les guérilleros du Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN) [2]. Le FMLN avait en effet déclenché le 12 novembre une grande offensive lui permettant de s’emparer de plusieurs secteurs de la capitale, San Salvador. Dial publie dans ce numéro de novembre, le discours prononcé par l’actuel président équatorien, Rafael Correa Delgado, dans les murs de l’Université, le 1er juin 2009.


San Salvador, 1er juin 2009.

Chères camarades, chers camarades,

La mémoire, dans notre Amérique, est subversive. Chacun de nos peuples lutte contre l’impunité, contre l’oubli. Ici, sur le campus de l’Université centroaméricaine (UCA), chaque mois de novembre, on allume des lampions qui éclairent de leurs feux d’autres lampions, de main en main, de mot en mot, pour symboliser l’exemple lumineux, responsable, donné par les martyrs du 19 novembre 1989.

Notre profession de vie, notre chant d’amour, la célébration du souvenir, c’est la lutte permanente pour changer les conditions de vie de nos populations.

Ce pourquoi Ignacio Ellacuría, Ignacio Martín Baró, Segundo Montes, Juan Ramón Moreno, Amando López, Joaquín López, Elba et Celina Ramos ont été assassinés. Ils se consacraient à descendre les Christs de leurs croix de tout leur cœur, propageant la dignité, s’engageant de toute leur âme en faveur des pauvres, de ceux qui étaient dans le besoin.

Quel intérêt y aurait-il à citer les noms de ceux qui ont tué quelques curés « communistes », le monde entier sait quelle faction a tiré et d’où venaient les encouragements au crime contre ces martyrs accusés d’être des terroristes, des assassins, parce qu’ils se reconnaissaient dans la théologie de la Libération, dans l’option préférentielle pour les pauvres, adoptée à Puebla [3], dans l’encyclique Populorum Progressio, en tant que doctrine progressiste de l’Église.

Si cela était le cas, alors il faudrait nous tuer tous, nous qui croyons en la parole du Christ. Il est vrai qu’ils s’y essayent, eux les puissants, sans succès depuis le temps du christianisme primitif, depuis le temps des catacombes de Rome. Les sots, ils s’y sont essayés périodiquement, et chaque fois qu’ils essayent de tuer l’espérance ils ne réussissent qu’à la faire grandir de plus en plus.

« Ellacuría est un guérillero. Qu’on lui tranche la tête. » « Il faut qu’Ellacuría meure sous les crachats. » Voici quelques-unes des expressions que rapporte l’histoire, diffusées sur la radio quelques jours avant le massacre. Semblables phrases doivent, sans aucun doute, avoir été prononcées au temps de Ponce Pilate…

Nous, nous célébrons le souvenir, nous rendons hommage à la vie, de là notre position inébranlable contre l’impunité, contre l’oubli. Ceux qui ont semé la mort dans nos campagnes et nos villes, ceux qui ont torturé et fait disparaître tant de milliers d’hommes et de femmes, ceux qui ont tué Monseigneur Arnulfo Romero [4], ceux qui ont assassiné les martyrs de la UCA, doivent rendre des compte de leur infamie, ils doivent être jugés et doivent payer pour leurs crimes contre l’humanité.

Eux, toujours les mêmes, ceux qui, dans chacun de nos pays, sont les représentants des groupes qui, jusqu’à ce jour, ont fait étalage de tous les pouvoirs, les seigneurs des ombres, ont apporté la mort au lieu du pain, ont opposé les balles aux livres, aux hommes libres. Leur mépris pour la liberté vraie les conduit à gaspiller des flots d’encre pour nous injurier, pour mentir. Ils n’ont jamais été capables d’apprendre à aimer la Patrie, leurs frères, les paysans, ni leur histoire, leur temps, leur contrée, ce qu’ils étaient et ce d’où ils venaient, alors que l’amour se répandait par les montagnes à travers la jeunesse qui chante la vie à gorge déployée.

19 ans après le massacre, faire la lumière sur ces crimes est un impératif inéludable. La construction d’une société nouvelle dans laquelle la peur n’ait pas de place et l’injustice appartienne à un passé abject, passe par la lutte contre l’impunité. Si les assassins peuvent se promener dans la rue, nous ne pourrons pas avancer beaucoup pour la justice et la dignité de l’Amérique Latine.

L’élection de Mauricio Funes est pour El Salvador un appel à l’espérance, jamais perdue, jamais assassinée… « Je rends grâce à la disgrâce et à la main qui tient le poignard parce qu’elle m’a si mal tué que j’ai continué à chanter… » entonne la voix de l’espérance, de long en large, à travers notre Amérique.

Nous entrons dans des temps de dignité, des temps nouveaux, nous saluons avec émotion le peuple d’El Salvador en cette nouvelle étape de construction de la démocratie. Nous étreignons avec force le camarade président Mauricio Funes, en mémoire de Francisco Morazán, Farabundo Martí, Roque Dalton, de toutes les femmes et de tous les hommes qui, par leur effort, rendent possible un nouveau El Salvador qui occupera la place digne qui lui revient dans le concert des peuples libres de la Grande Patrie.

L’assassinat des prêtres jésuites, d’Elba et de Celina et, par-dessus tout, leurs vies, leurs professions d’amour, sont partie intégrante du chemin vers la victoire, vers la construction de la paix dans la justice, c’est pourquoi il n’est pas possible qu’ils sombrent dans l’oubli.

Jon Sobrino, le seul à avoir échappé au massacre dit qu’on les a tués « parce qu’ils étaient la conscience critique dans une société de péché et parce qu’ils étaient la conscience créative d’une société future différente. »

Nous, qui sommes frères, nous joignons nos mains, de toutes les couleurs, au nom de la solidarité continentale, pour honorer le rêve de nos hommes illustres, de Farabundo Martí, Eloy Alfaro, Monseigneur Arnulfo Romero, Monseigneur Leonidas Proaño, Simón Bolívar, Francisco Morazán, unificateurs, profondément humanistes, êtres de lumière, à l’âme grande et pleins d’amour pour l’immense Patrie américaine, notre Patrie.

Pour arriver jusqu’ici, physiquement, nous avons emprunté le même chemin que les assassins mais nous, nous sommes venus avec la vie, la tendresse et l’espérance.

Nous sommes pour la vie, camarades. Notre Nord, c’est le Sud ! Le futur est à nous, frères salvadoriens !

Jusqu’à la Victoire, toujours !


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3082.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.

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[1Voir DIAL 3053 - « EL SALVADOR - Lettre à Ignacio Ellacuria ».

[2La guerre civile (1980-1992) prend fin avec les « Accords de paix » de Chapultepec, conclus le 16 janvier 1992 entre le FMLN et le gouvernement du président Alfredo Cristiani, de l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA).

[3Lors de la IIIe Conférence générale du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), qui s’est en 1979 à Puebla, au Mexique.

[4Monseigneur Romero est assassiné en 1980.

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