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DIAL 2493

COLOMBIE - La coca en Amazonie - De l’usage traditionnel de la feuille de coca au narcotrafic des belligérants et des mafieux

Mgr Fabio de Jesús Morales

samedi 1er septembre 2001, mis en ligne par Dial

Après avoir situé la question de la coca dans la tradition des peuples indigènes, l’article rappelle la situation actuelle dans le Putumayo, région de Colombie où sont actuellement pratiquées des fumigations massives pour détruire la coca. Le remède s’avère pire que le mal et l’auteur n’hésite pas à parler d’ « attentat impérialiste », de « guerre chimique contre les pauvres ». Il expose les bases d’une solution économique humaine et durable. L’auteur, Mgr Fabio de Jesús Morales, est évêque de Mocoa-Sibundoy, Putumayo. Article paru dans Utopías, mars 2001.


Les communautés indigènes connurent la coca comme une « feuille à mâcher ». Il en a été ainsi depuis plus de 7 000 ans. On trouve encore pas moins de trois millions de « mâcheurs » péruviens et boliviens. Les espèces de coca connues jusqu’à présent dans le monde sont au nombre de 283, et en Colombie on en compte 32, mais seulement deux des espèces étudiées contiennent une quantité élevée d’alcaloïde. Une fois semée la graine de coca, il faut attendre deux ans pour avoir la première récolte qui peut bien rendre 2 tonnes à l’hectare. La seconde récolte de feuille s’effectue entre deux ou trois mois après. C’est dire que, chaque année, on peut avoir quatre récoltes.

Mais la culture de coca exige maintenant beaucoup de fongicides chers, et la récolte elle-même, à travers ce que l’on appelle les « déboisements clandestins », est coûteuse. L’ensemencement d’un hectare de coca coûte environ deux millions de pesos, et le produit annuel varie beaucoup, mais sans jamais dépasser les huit millions. Pour le petit cultivateur, qui vend seulement la pâte de base, le bénéfice est maigre. Les bons dividendes sont pour ceux qui la transforment et pour les narcotrafiquants. Selon le professeur Hidobro Muñoz, titulaire d’une chaire à l’Université nationale et spécialiste de botanique, la feuille de coca, même si cela paraît incroyable, pourrait être utilisée dans l’industrie de nombreuses manières, bien différentes de celles employées par les narcotrafiquants. Le même professeur soutient que la variété de coca cultivée en Colombie est celle de moindre rendement et c’est pourquoi bon nombre de mafieux vont s’approvisionner au Pérou.

Avilissement de la coca

Les aborigènes cultivaient la coca, mais ne la commercialisaient pas. C’est l’actuelle société de consommation, surtout celle du Nord, appelée premier monde, avec sa grande production de produits chimiques, qui a avili la coca au point de transformer une « feuille à mâcher » en une véritable « feuille de mort » interdite, classée « culture illicite » comme le pavot ou le coquelicot. Pour le professeur Muñoz, qui s’appuie sur la tradition des indigènes, la feuille elle-même sans ajouts chimiques ne constituerait jamais un problème pour l’humanité. D’où la grande contradiction et la double morale des Nord-Américains, qui prétendent en finir avec les plantations de coca, sans pratiquement rien faire dans le même temps pour contrôler la production de produits chimiques appelés précurseurs.

Le Putumayo est un des lieux les plus riches de la biodiversité de la planète. La variété du relief et du climat fait qu’il n’y existe pas moins de 40 000 espèces naturelles. Pourtant, ses caractéristiques de zone frontière amazonienne avec un équilibre écologique très fragile, traditionnellement abandonnée de l’État avec des processus de colonisation amples et variés, ont transformé le territoire du Putumayo en espaces propices aux implantations de coca, dans les années 80, en toute impunité. Un facteur également déterminant a été la proximité d’autres pays producteurs de coca, le Pérou et la Bolivie. Les gens ont vu dans la coca une solution facile au traditionnel abandon étatique. C’est ainsi que le vide de l’État a été comblé par divers groupes en marge de la légalité (FARC, ELN, EPL) [mouvements de guérilla] qui, en alliance néfaste avec les mafieux, ont en surabondance teint de sang l’exubérante végétation du Putumayo, et ont provoqué la concentration de terres et le déplacement massif de paysans et d’indigènes. À la suite des groupes subversifs, est arrivé aussi le militarisme, pas toujours exempt de violences et d’abus brutaux, lesquels ont été aggravés par la présence plus récente de forces paramilitaires qui ont pour prétexte d’expulser la narcoguérilla, mais au fond tout aussi assoiffées du butin de la coca.

Cultures illicites : symptôme de maux historiques

Les habitants âgés du Putumayo regrettent les temps anciens où la région était un paradis où l’on vivait dans l’abondance de nourriture et dans la paix générale. Mais malheureusement, dans les deux dernières décennies, s’est imposée l’économie de la coca qui a généré une véritable sous-culture de la coca. Et tout cela favorisé par une présence et une légitimité étatiques précaires accompagnées d’un taux élevé d’impunité et de corruption administrative, avec en permanence une résolution privée et violente des conflits. L’économie de la coca a entraîné une énorme détérioration écologique par la destruction de plus de 50 000 hectares de forêt amazonienne, par la contamination des eaux et par l’usage abondant de produits chimiques tant dans les plantations elles-mêmes que dans l’élaboration de la substance psycho-active.

De ce qui précède, il ressort clairement que les plantations de coca dans le Putumayo, loin de constituer la cause de ses problèmes de tous ordres, sont plutôt un symptôme et une expression de ses vides et de ses maux historiques. Par conséquent, la solution au problème des cultures illicites ne peut être envisagée dans la perspective de remplacer la juteuse rente de la coca, - il n’y aura probablement aucune production capable de rivaliser avec elle -, mais en fixant un horizon plus vaste : la construction d’un développement solidaire et durable.

Il existe sûrement au Putumayo de très nombreuses familles qui vivent sans dépendre de la culture de la coca. Mais c’est un fait indéniable que, dans le pays, l’économie de la coca a pénétré la politique elle-même et toutes les sphères de l’administration publique, sans épargner les forces mêmes de l’ordre public. L’argent mal acquis est investi dans les campagnes politiques elles-mêmes et c’est à lui que de nombreux serviteurs de l’État doivent leur élection. Dans le pays, la coca est devenue un facteur invétéré de corruption et de violence à tous les niveaux, jusqu’à se transformer en un « problème culturel » : si, auparavant, on dissimulait les plantations, maintenant il n’y plus ni honte, ni crainte. Chez beaucoup de gens, a disparu la conscience des graves préjudices entraînés par la coca. Il reste la tâche de former cette conscience en s’appuyant sur la conviction que la qualité de vie n’est pas dans l’argent, mais dans la paix, l’identité, l’estime de soi, le sens de l’appartenance, l’éducation, les services de base et l’engagement pour l’avenir.

Lutte antidrogues ici et là-bas

Au moment de parler de solutions au très grave problème de la drogue, on ne peut pas attiser la guerre en simplifiant de façon naïve un problème qui est extrêmement complexe. Le problème, ce ne sont pas uniquement les cultivateurs, en général de simples paysans très pauvres, assistés par des bandes de narcoguérilleros. Autour de l’économie de la coca gravitent bien d’autres économies parallèles ; citons, entre autres et surtout, les trafiquants d’ingrédients importés pour la culture elle-même et l’élaboration, les marchands d’armes, les policiers antinarcotiques, et une nuée d’intermédiaires acheteurs de pâte de base, en plus des raffineurs et des barons du trafic international, dont les chefs sont généralement des gringos [étrangers nord-américains], etc...

Bien sûr, la lutte antidrogues doit être menée avec décision et courage. Les drogues hallucinogènes sont, pour l’humanité, un fléau qui ne connaît pas de frontières. Elles engendrent la mort, aussi bien celle de la nature que celle de personnes. Elles sont un mal éthique et moral pour lequel la Colombie est regardée comme victimaire alors qu’elle est avant tout la plus grande victime de ce funeste commerce.

Mais, en même temps, il faut prendre en compte qu’il s’agit d’un « problème social » fort complexe, dont la racine ne peut être réduite à la seule culture de la feuille, comme on l’a déjà dit. Il faudrait tout autant contrôler les produits chimiques, qui sont l’élément indispensable pour la culture et l’élaboration de la feuille, et dont la provenance est surtout nord-américaine. En outre, il est indispensable de combattre avec la même vigueur, ou une plus grande encore, la consommation car, sans demande de produit, pas de production. La loi du marché est infaillible. Et voilà la plus grande faille dans cette guerre déclarée au narcotrafic : combattre l’offre sans poursuivre la demande. Autrement dit, la guerre antidrogues se livre hors du grand pays du Nord, en imposant à la Colombie les morts et le désastre écologique...

Il apparaît clairement alors que la seule fumigation aérienne des plantations n’est pas la solution. C’est ainsi que le voit l’épiscopat, dans de récents communiqués, et au Putumayo on le proclame, depuis le gouverneur jusqu’au plus humble citoyen. Justement ce que l’on appelle le Plan Colombie est rejeté en raison du poids prédominant des militaires au service de la fumigation aérienne pratiquée sans discrimination. Le rejet de l’aspersion aérienne est dû, entre autres, aux raisons suivantes :

1. C’est une méthode violente, et la violence n’engendre que plus de violence. Tant que les cultures illicites ne sortiront pas de la tête et du cœur des cultivateurs, elles ne prendront jamais fin. On n’obtiendra ce résultat que si l’État se rend présent dans les zones affectées par le problème de la coca avec des alternatives réelles et efficaces de production en accord avec la fragilité de l’équilibre écologique en Amazonie, donc accompagnées d’assistance technique, de crédits à portée du petit paysan et de commercialisation assurées, etc... Et, bien entendu, sans oublier les bases éthico-culturelles capables de consolider les communautés. En outre, ces alternatives de production doivent être accompagnées du développement des services de base pour la région : voies de communication, santé, éducation, électrification, aqueducs, etc... C’est ainsi qu’on viendra à bout des cultures illicites sans le grave impact écologique de la fumigation, par la persuasion personnelle, avec des critères humains et chrétiens de respect de la vie, de la dignité des personnes et des droits humains.

2. C’est une méthode antiécologique, qui contamine les eaux, affecte enfants, vieillards, troupeaux, et brûle de façon indiscriminée pâturages, végétation en général et cultures vivrières. En un mot, le remède est pire que le mal. C’est tout à fait un attentat impérialiste. Une véritable guerre chimique contre le monde des pauvres. Les tout-puissants ne voient pas la poutre dans leur œil. Quel contrôle exercent-ils sur les produits chimiques et la consommation dans la guerre antidrogues qu’avec leur double morale ils soutiennent infatigablement ?

3. C’est une méthode non seulement coûteuse, mais aussi inefficace et vouée à l’échec. Après plusieurs années de fumigation, dans des zones comme Guaviare et Sierra Nevada de Santa Marta, il y a maintenant plus de plantations qu’avant. Le fumigation ne fait que déplacer les plantations vers la forêt qui, en définitive, supporte le plus lourd fardeau dans le phénomène de la coca, que ce soit par la culture ou sa fumigation et dont l’impact écologique est désastreux, sans que cela impressionne le moins du monde le ministère de l’environnement, tellement soucieux en d’autres circonstances, d’arrêter des travaux de véritable utilité commune.

4. En conclusion : la seule fumigation aérienne, sans prendre en compte les personnes impliquées dans les cultures illicites ni les autres éléments du problème, ne viendra jamais à bout de la coca.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2493.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Utopías, mars 2001.
 
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