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DIAL 3622

VENEZUELA - Les choses s’arrangent : Rebond économique et rapprochement avec Washington

Ociel Alí López

jeudi 30 juin 2022, mis en ligne par Dial

Cet article d’Ociel Aí López, paru le 6 mai 2022 dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha fait le point sur l’évolution de la situation économique vénézuélienne après des années de forte crise.


Les chiffres macroéconomiques du pays caribéen sont méconnaissables. La crise déclenchée par la guerre en Ukraine rappelle qu’il a un potentiel pétrolier et le rapproche lentement de la Maison blanche.

Au Venezuela tout change. Les villes s’animent à nouveau par une reprise d’activité commerciale évidente. De nouvelles « initiatives » irriguent le tissu social. Une kyrielle de grands concerts d’artistes internationaux s’annonce. Quelques compagnies aériennes internationales reprennent leurs vols, suspendus depuis l’« expérience Guaido » en 2019. Des influenceurs visitent le pays et observent une réalité très différente de celle de la crise humanitaire. Les revenus moyens des Vénézuéliens se sont améliorés grâce aux revenus non pétroliers, comme les envois d’argent de l’extérieur, le démarrage de nouveaux secteurs d’affaires, comme l’or, les cryptomonnaies et certains secteurs commerciaux.

Le taux mensuel d’inflation du Venezuela en mars était de 1,4 %, le plus bas de la décennie, très loin de l’hyperinflation qui caractérisait le pays jusqu’à récemment. Dans son dernier rapport, du début d’avril, la banque Crédit suisse fait une projection de croissance allant jusqu’à 20 % du PIB vénézuélien pour 2022, un des taux de croissance « les plus élevés du monde pour cette année », comme on peut le lire dans le document, après avoir corrigé une projection antérieure qui situait cette hausse à 4,5 %. Le Fonds monétaire international, bien que moins optimiste, considère que cette année, après huit ans de baisse (avec une chute atteignant jusqu’à 87% du PIB entre 2013 et 2021), l’économie vénézuélienne connaîtra finalement une croissance d’au moins 1,5 %.

Fin avril, la Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe (CEPAL) a confirmé que les prévisions de la croissance vénézuélienne sont à la hausse et que ce ne sera pas une timide hausse d’activité, comme le pensaient initialement ses analystes. L’organisme multilatéral a publié un rapport prenant en compte l’impact de la guerre en Ukraine dans la région et place le Venezuela dans le top 3 des pays avec la plus forte croissance du PIB en 2022, avec 5 % prévu pour cette période, tandis que la croissance moyenne de l’Amérique latine et de la Caraïbe sera de 1,8%, et de 1,5% pour les économies d’Amérique du Sud. C’est-à-dire que, selon la CEPAL, le Venezuela aura une croissance triple de la croissance moyenne en Amérique du Sud. En Amérique latine le Venezuela sera dépassé seulement par le Panamá (6,3%) et la République dominicaine (5,3%).

Selon ces trois organismes et d’autres estimations internationales, un rebond se confirme donc par rapport à la longue chute de presque une décennie du PIB vénézuélien dont la chute annuelle, durant plusieurs années, avait atteint des nombres à deux chiffres.

Une nouvelle réalité ?

Les médias internationaux, du Washington Post aux médias de l’exil vénézuélien, essaient de métaboliser ce moment nouveau, en posant la question : « Tout s’arrange au Venezuela ? ». Ce qui est en jeu est l’image du pays dans le monde, qui changerait de celle d’un pays en cours d’implosion, d’un « Venezuela foutu » à celle d’un pays avec un potentiel pétrolier enviable, qui serait parvenu à traverser sa crise la plus noire et serait en train de se réadapter à sa « nouvelle réalité ».

Cette nouvelle réalité est aussi politique depuis que le protagoniste médiatique de 2019 et 2022, Juan Guaidó, n’est plus désormais un acteur important de la dynamique politique et géopolitique du pays.

Pourtant les sanctions internationales contre le Venezuela se maintiennent sans changement depuis l’époque de Donald Trump, en dépit de la réunion en mars entre le président Nicolás Maduro et Juan González, représentant de la Maison-Blanche pour les Amériques, qui a déclaré que les États-Unis « sont disposés à alléger la pression ». La rumeur d’une nouvelle réunion probable entre les deux gouvernements ne s’est pas encore traduite par une annonce concrète.

Le 14 avril, un groupe d’économistes connus et de chefs d’entreprise proches de l’opposition ont demandé, par un courrier adressé au Président Joe Biden, la levée des sanctions : « Même si les sanctions économiques ne sont pas la cause de l’urgence humanitaire au Venezuela, elles ont aggravé fortement les conditions de vie des Vénézuéliens moyens ». Au nombre des signataires se trouvent deux ex-présidents de l’organisation patronale Fedecámaras, Ricardo Cusanno et Jorge Botti, en plus d’économistes qui ont milité ouvertement en faveur de l’opposition et contre le gouvernement de Maduro, comme Rafael Quiroz et José Guerra (ancien député et conseiller durant les campagnes électorales d’Henrique Capriles).

Une levée des sanctions aurait un impact direct sur la capacité de production pétrolière du pays, gravement affaiblie durant la dernière décennie et que les restrictions internationales empêchent d’améliorer : le Venezuela est parvenu à atteindre un niveau historique de production pétrolière, avec une moyenne de 3 millions de barils par jour, mais en 2020, après la faillite de Pétroles du Venezuela SA (PDVSA), il a battu le record d’à peine 350 000 barils par jour, effondrement dont, peu à peu, il est sorti l’an dernier. La guerre en Ukraine et la crise énergétique mondiale qu’elle a déclenchée ont fait prévoir, au début, un nouveau boom de l’extraction. Néanmoins l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) a affirmé en avril que ce pays caribéen avait diminué de 7,6% sa production de pétrole de février à mars, mois durant lequel il a produit 728 000 barils par jour, alors qu’à la fin de 2021 la production avoisinait le million.

Alors, si la production de pétrole continue à être faible et les sanctions se maintiennent, comment peut se produire un changement radical de perspectives concernant l’économie du pays, de la part d’organismes financiers et d’organisations multilatérales ? Entre autres facteurs à prendre en compte, ces dernières semaines des rumeurs ont circulé concernant de fortes pressions émanant de Chevron et d’autres entreprises internationales du secteur pétrolier en faveur de l’allègement des sanctions et pour que la Maison-Blanche permette à ces compagnies de reprendre leur exploitation au Venezuela. Cependant Joe Biden ne semble pas pressé de donner le feu vert, alors qu’il fait déjà l’objet de fortes critiques de l’opposition pour son rapprochement avec Caracas, en pleine année électorale états-unienne.

Sanctions et choc néolibéral

Depuis 2017 on assistait déjà à des impositions de sanctions contre de hauts fonctionnaires du gouvernement. Et, bien que le Venezuela vive déjà le pire de sa crise depuis au moins 2016, on s’attendait à un avenir bien pire. L’année du comble des sanctions du Département du trésor états-unien contre PDVSA et l’activité économique nationale fut 2019. Cette année-là, l’activité économique de la République bolivarienne du Venezuela chuta pour la sixième année consécutive et baissa de 28%. On prévoyait que le PIB vénézuélien baisserait de 26% en 2020. C’est précisément à ce moment que survint la pandémie et que l’assesseur de Trump pour le Venezuela, Elliott Abrams, fit pression par téléphone sur les représentants du monde du pétrole et du transport maritime, pour qu’ils appliquent les sanctions.

Tandis que celles-ci étaient mises en place et aggravaient la chute déjà amorcée de la production pétrolière [1], le programme de libéralisation économique initié en 2018 parvenait certainement à fournir de l’oxygène à une économie asphyxiée par la pulvérisation de la valeur du bolivar et l’hyperinflation.

Actuellement, cette libéralisation se normalise en même temps que la dollarisation de la vie économique et, pendant ce temps, le rôle de l’État vénézuélien dans la société s’affaiblit énormément [2] pour ce qui touche ses capacités à garantir l’éducation, la santé que les services publics. Il continue à payer à ses fonctionnaires les salaires minimums les plus bas de l’histoire du pays (environ 30 dollars mensuels). Le programme économique du gouvernement de Maduro atteint aujourd’hui un niveau envié par les politiques les plus extrêmes de choc néolibéral.

Selon l’Enquête nationale sur les conditions de vie, menée par un groupe d’universités privées vénézuéliennes, l’insécurité alimentaire en 2021 touchait encore 92,7% des foyers. Les inégalités s’accentuent, avec un fort contraste entre les travailleurs du secteur privé, qui réussissent à avoir des revenus en dollars et ceux du secteur public qui reçoivent leurs salaires en bolivars.

Aujourd’hui le Venezuela vit une réalité nouvelle totalement incomparable avec celle du Venezuela pétrolier qui a existé depuis la moitié du siècle dernier jusqu’aux premières années de la seconde décennie du XXIe siècle. L’économie actuelle est minuscule comparée à celle du boom pétrolier, une économie nourrie par les apports de millions de migrants. Disons-le ainsi : l’économie dollarisée actuelle est diamétralement opposée à celle des pétrodollars.

De toutes manières, l’explosion récente des prix du brut et la situation géopolitique fluctuante peuvent toujours changer favorablement, et de façon accélérée, la vie d’un pays producteur de pétrole. Comme toujours, au Venezuela, tout peut arriver. Les années agressives du trumpisme avec ses sanctions inamovibles pourraient revenir ou pourrait advenir une nouvelle ère d’essor de l’or noir. Au Venezuela tout est possible.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3622.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Brecha, n° 1902, 6 mai 2022.

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[1Voir, en espagnol, « Asfixiar al ahogado » [Asphyxier le noyé], Brecha, 13 septembre 2019.

[2Voir, en espagnol, « ¿Estabilización o desmantelamiento ? » [Stabilisation ou démantèlement ?], Brecha, 13 mars 2020.

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