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DIAL 3042

PÉROU - Conflits entre communautés andines et entreprises minières

Francisco Fritsch

dimanche 1er février 2009, mis en ligne par Dial

Le père Francisco Fritsch vit au Pérou depuis 35 ans. Il s’y est installé après avoir été expulsé du Chili en 1973, après le coup d’État, pour « atteinte à la sécurité de l’État ». En 2006, il a été de nouveau expulsé de la prélature [1] d’Ayaviri par le nouvel évêque, Mgr Kay Martin Schmalheusen Panizo, membre du mouvement Sodalitium Christianae Vitae [2]. Il vit maintenant dans la prélature de Sicuani. Dans ce numéro, nous publions deux textes de lui. Le premier est sa traditionnelle carte de Noël et de Nouvel an, où il présente l’évolution de la situation dans la région sud-andine du Pérou. Dans le second texte, ci-dessous, il revient plus en détail sur les luttes des communautés indiennes contre les abus des compagnies minières.


Les hauts-plateaux andins péruviens furent au cours de l’histoire le théâtre de nombreux conflits sociaux dont le plus connu fut causé par l’arrivée des « conquistadores » qui s’approprièrent les meilleures terres et les mines d’or et d’argent des indiens en les refoulant vers les hauteurs froides et improductives des Andes. Durant les 500 ans d’occupation, se succédèrent des phases de résistance passive et de luttes sanglantes des Indiens contre les grands propriétaires terriens et miniers. Il y a vingt ans, les communautés paysannes de la région de Puno s’organisèrent pour reprendre les terres de leurs ancêtres et, devant l’ampleur du mouvement indien, le gouvernement rendit une grande partie des terres aux paysans.

Aujourd’hui la résistance et la lutte des communautés paysannes quechuas et aymaras se dirigent surtout contre les entreprises minières dont la présence est de plus en plus envahissante et agressive dans les Andes. Le gouvernement d’Alan García accorde d’importantes concessions minières de préférence à des entreprises multinationales, en pensant que l’investissement étranger est la meilleure façon de développer le pays et de lutter contre la pauvreté ; c’est là une théorie qui est de moins en moins acceptée même par des économistes de renom. L’ingérence économique et politique des multinationales, avant tout nord-américaines, est très forte au Pérou. Dans certaines régions, plus de la moitié du territoire et même des parcs nationaux ou des sites historiques et touristiques est donnée en concessions. Souvent les paysans des communautés se rendent compte que leurs terres sont cédées à des étrangers lorsque les entreprises commencent les travaux d’exploration et d’exploitation. C’est pour cela, entre autres, que les paysans de Sicuani ont fait une grève de 10 jours, en bloquant la route principale des Andes entre Cusco et Puno, jusqu’à ce que le Premier ministre vienne dialoguer avec les grévistes et finisse par leur promettre de promulguer une loi qui respecte les droits des « campesinos » [3] et ordonne qu’aucune terre ne peut être donnée en concession aux entreprises sans l’avis des communautés. Plus de deux mois ont passé depuis et aucune loi n’est en vue. Il est vrai que nous avons un proverbe qui dit : « Au Pérou, les promesses ne compromettent que ceux qui les croient et non ceux qui les font ».

Une des principales causes de conflit entre paysans et mineurs est la lutte pour l’eau qui devient une denrée rare même dans les Andes. Il y a 35 ans, l’Apu Quenamari, un mont de plus de 5000 mètres, m’impressionnait beaucoup avec sa fière crinière de glaciers et de neiges éternelles. Aujourd’hui il ne lui reste plus que quelques touffes de glace sur un crâne chenu. Les mines ont besoin de beaucoup d’eau pour laver leur minerai d’or, de cuivre, d’étain, d’uranium… Ainsi la mine de San Rafael lave son minerai d’étain avec 7 acides différents. Les eaux résiduelles s’écoulent dans les rivières, polluent les sources, les lacs, les fleuves où moutons, lamas alpacas et même des enfants boivent, deviennent malades et parfois en meurent. Il y a 30 ans, le long des pistes qui longent la rivière Ramis je rencontrai souvent des enfants qui pêchaient et vendaient quelques poissons pour survivre. Aujourd’hui au bord de la rivière, prostituée par des dizaines de mines, plus de pêcheurs, plus de poissons, plus d’oiseaux, plus de flamands roses, ces élégants volatiles dont les péruviens sont si fiers parce qu’ils ont les couleurs de leur drapeau national. Souvent les patrons des mines nient toute pollution, sous prétexte qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour l’éviter. À Antauta, nous avons demandé l’analyse des eaux résiduelles de la mine San Rafael. Nous n’avons jamais pu connaître le résultat de ces analyses. Un jeune ingénieur, ingénu ou de mauvaise foi – Dieu seul le sait –, me dit un jour : « J’ai pêché une truite dans les eaux usées par la mine ! – L’as-tu mangée ? – Ah ! non ! » me répond-il avec dégoût. Il oubliait simplement de me dire qu’il l’avait donnée à son chat qui en est mort.

Les communautés indiennes originaires ont-elles la possibilité de faire entendre leur voix, de défendre leurs terres, leurs pâturages, leurs cultures et leur culture ancestrale ? Je crois qu’à moyen et long terme il y a de l’espoir. Leur conscience de la situation et leur capacité d’organisation grandissent de jour en jour. Nous assistons au « réveil indien ». La présence des Indiens est de plus en plus significative et active aux forums sociaux mondiaux alternatifs et en ce moment, à Belém au Brésil. Ils s’unissent avec les communautés autochtones de Bolivie, d’Équateur, de Colombie…, qui affrontent les mêmes problèmes face aux multinationales du bois, du gaz et du pétrole. L’Église, du moins un secteur majoritaire de l’Église, reconnaît les valeurs des Indiens et leurs justes revendications. Les évêques latino-américains, réunis au Brésil, affirment : « Les Indiens et les Afro-Américains sont d’abord « des autres » différents qui exigent respect et reconnaissance. La société tend à les mépriser, en méconnaissant leur différence. Leur situation est marquée par l’exclusion et la pauvreté. L’Église accompagne les Indiens et les Afro-Américains dans leurs luttes pour leurs droits légitimes ». Les évêques du Guatemala, réunis en assemblée plénière annuelle, disent à ce sujet une parole claire et prophétique : « Nous refusons un “prétendu développement” basé sur l’industrie minière à cause des néfastes conséquences qu’il produit pour l’environnement et des conflits sociaux qu’il occasionne. Ce n’est pas juste que la plus grande partie des bénéfices de cette industrie aille à l’étranger. De plus, les experts signalent que les activités les plus appropriées pour le développement du pays sont différentes. Nous demandons au Congrès de la République un moratoire dans la concession des licences d’exploration et d’exploitation et d’accélérer la promulgation d’une nouvelle loi pour l’industrie minière ».

Dans les Andes du Sud, nous organisons des groupes de réflexion et de prière de théologie indienne ou théologie andine, pour découvrir et prier Dieu présent dans les cultures quechua et aymara, même bien avant l’arrivée des premiers missionnaires. Nous avons beaucoup à apprendre des Indiens. Leur amour et leur respect de la nature leur a permis de survivre durant des millénaires dans des conditions de vie difficile à imaginer en Europe. La vie dans les Andes comme dans tout le monde dépend de l’entende cordiale de leur couple de dieux séculaires, le mâle Apu, le mont, et la Pachamama, la Terre-Mère. Il est trop facile et surtout profondément injuste de traiter les Indiens de « demeurés », « d’ennemis du progrès » et de « sauvages ou terroristes » quand ils se révoltent contre les abus des « civilisés ».

La guerre entre économistes libéraux et écologistes finira un jour. Il faudra bien nous entendre. Aujourd’hui le bons sens et la raison, la crise économique et écologique, le respect des droits des pauvres et de leur culture, nous obligent à changer notre style de vie, de production, de consommation, bref de changer de système économique. Ah ! si nous pouvions faire l’économie, nous passer du type de développement basé sur l’exploitation souvent déprédatrice pour les hommes et la nature que nous avons connu en Europe au XXème siècle pour passer directement à un style de vie et de développement alternatif, soutenable, durable, basé sur le respect des personnes et de la nature. Mais il est bien tard déjà. La globalisation touche presque tout, presque partout. À Lima, Mexico et Pékin on vit et on respire aussi mal qu’à Paris. Qu’au moins dans les Andes, on ne nous quitte pas l’eau et l’air qui, même s’ils sont rares et raréfiés, sont encore, par endroits, purs ! Utopie que tout cela ? Peut-être, mais surtout nécessité vitale, qui devient de plus en plus réalité, grâce à Dieu et aux luttes des exclus.

Pour terminer, une histoire : un jeune homme, impatient d’en découdre avec le monde actuel, visite un vieux sage, blanchi sous le harnais dans de nombreuses luttes sociales, et lui dit : « Changer le monde ? C’est une utopie qui ne sert à rien ! Si je fais un pas, l’utopie s’éloigne d’un pas. Si je fais dix pas, l’utopie s’éloigne de dix pas. Alors, à quoi sert l’utopie ? » et le vieux sage de lui répondre « À te faire marcher ».

Francisco Fritsch.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3042.

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[1Une prélature est une entité territoriale correspondant à un diocèse sans en avoir le statut juridique.

[3Paysans.

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