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DIAL 3051

ARGENTINE - Trente-trois ans après le coup d’État de la dictature militaire : les droits humains, hier et aujourd’hui

Adolfo Pérez Esquivel et alii

mercredi 1er avril 2009, mis en ligne par Dial

Ce texte collectif a été diffusé en Argentine à l’occasion du 33e anniversaire du début de la dictature, le 24 mars 1976. Adolfo Pérez Esquivel a reçu le Prix Nobel de la paix en 1980.


Buenos Aires, le 24 mars 2009.

L’année prochaine en 2010, ce sera le Bicentenaire de la Révolution de mai 1810, date de l’indépendance argentine, et le pays devra faire le bilan de son cheminement depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui. Il faudra analyser et comprendre toutes ses zones d’ombre et ses temps de lumière. Que s’est-il passé hier et aujourd’hui en ce qui concerne la défense des droits humains et, plus précisément, que s’est-il passé durant la période du terrorisme d’État entre 1976 et 1983 ?... 33 ans après, ce génocide marque encore dans le présent la vie du peuple argentin. Il nous faut à tout prix faire mémoire et toujours travailler pour parvenir enfin à la vérité et à la justice et aussi, pour réclamer aux autorités politiques et judiciaires le jugement et le châtiment des responsables de ces crimes contre l’humanité.

Jusqu’à présent, on a déjà fait quelques pas importants comme ceux de l’abrogation de la Loi du point final et de la Loi du devoir d’obéissance [1]. On a commencé quelques procès contre les répresseurs, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour lutter contre l’impunité juridique. On constate aujourd’hui des retards injustifiés dans les procès ainsi qu’un éparpillement des instructions, ce qui, non seulement retarde les procès et le châtiment, mais rend plus difficile la vision d’ensemble de ce qui s’est réellement passé : un véritable génocide au service d’un modèle de pays injuste dont nous souffrons encore aujourd’hui.

Nous demandons instamment au pouvoir exécutif, au parlement et au pouvoir judiciaire de faire preuve de volonté politique pour faciliter les procès et de réunifier les instructions par région. C’est là un impératif que nous réclamions et que nous continuons à réclamer aux trois pouvoirs de l’État.

Les conséquences du terrorisme d’État de cette période se font encore sentir aujourd’hui dans une grande partie de la population et conditionnent toujours la vie du peuple particulièrement dans la situation actuelle avec le chômage, la marginalisation, la violence urbaine et toutes les injustices dont souffrent les gens et qui sont une continuation de cette violation des droits fondamentaux. Nous nous devons de sonner l’alarme sur les changements de tendance que vit actuellement le monde entier : le capitalisme mondial, globalisé et financiarisé, mafieux et présentant de très hauts niveaux de concentration, fait face à une crise profonde, inédite et avec des conséquences qu’il prétend faire payer à tous les pauvres du monde en incluant bien sûr tous les travailleurs des secteurs populaires d’Argentine.

Les mesures économiques qui, durant ces années, ont facilité la récupération macro-économique en maintenant les bases d’une redistribution régressive et injuste, n’ont pas de futur. La crise exige des mesures importantes d’intégration latino-américaine face à cette autonomie de l’impérialisme et des groupes économiques. Il faut des mesures énergiques de redistribution de la richesse avec l’augmentation des salaires, des retraites, des pensions et des subventions, des créations d’emplois et une réforme progressive des impôts, ainsi que la récupération de tout ce qui nous a été enlevé pendant les dures années du terrorisme d’État et du néo-libéralisme.

Voilà ce que nous constatons aujourd’hui :

 Le gouvernement refuse systématiquement de faire des recherches et de réaliser un audit sur la dette extérieure pour bien faire la distinction entre la dette légitime et la dette illégitime, cette dette qui se paye avec la faim du peuple.

 La faim est un crime, comme le signale le « Mouvement des enfants du peuple ». Actuellement en Argentine, plus de 25 enfants meurent de faim chaque jour selon le rapport de l’UNICEF.

 Dans les communautés indiennes du pays, il existe une augmentation de la mortalité causée par la dénutrition et par les maladies évitables. Ces communautés souffrent de la destruction des forêts natives, qui affecte aussi la biodiversité. Tout ceci résulte de la déforestation effectuée par les sociétés qui produisent du soja et par les industries du papier, mais aussi par l’emploi inconsidéré d’engrais et de pesticides chimiques qui génèrent des maladies et des dommages irréversibles dans la population.

 De même, les industries de l’exploitation minière provoquent la destruction de l’environnement, des cultures et des forêts, car elles utilisent l’eau de façon indiscriminée et la polluent avec du cyanure et du mercure.

 Un pays qui ne garde pas le contrôle de ses ressources naturelles et de ses richesses est un pays qui perd sa souveraineté. L’Argentine a perdu sa souveraineté car le gouvernement national, ainsi que les gouvernements provinciaux, continuent de vendre le territoire national à des entreprises étrangères en expulsant les communautés indiennes et les petits paysans de leurs terres. Avec cette façon d’agir, ils violent les droits humains des personnes et des peuples.

Voici ce que nous proposons :

 On doit absolument mettre en œuvre des politiques de protection des droits des enfants pour leur donner de réels espoirs de vie. Nous repoussons la pénalisation et l’abaissement de l’âge de responsabilité pénale des enfants, car cela revient à criminaliser et massacrer les enfants pauvres de notre peuple.

 Il faut récupérer de façon urgente toutes les richesses du peuple et les ressources stratégiques actuellement entre les mains des entreprises transnationales. Ces biens sont nécessaires au développement du pays car ils permettraient la redistribution des richesses pour surmonter la faim et le chômage en créant de nouvelles sources de travail.

 On doit aussi renationaliser le pétrole, le gaz et les chemins de fer. Il faut protéger les ressources naturelles qui aujourd’hui sont saccagées par la voracité mercantile des grands intérêts économiques qui ne laissent derrière eux que la pauvreté, la faim et la marginalité.

 Il faut aussi sanctionner de façon appuyée la nouvelle Loi de radiodiffusion. Il est inconcevable pour nous qu’elle soit la continuation de la loi de la dictature militaire et qu’on n’établisse pas une norme pour garantir la liberté de la presse, aujourd’hui sérieusement affaiblie et mise en pièces par les grandes entreprises qui concentrent tous les moyens de communication et desquelles le gouvernement est complice.

 La construction démocratique doit respecter les droits humains dans leur intégralité. Hier comme aujourd’hui, ils doivent fortifier la résistance et les valeurs du peuple. La façon de parvenir à réaliser ces objectifs, c’est de les redire fermement et de lutter pour :

  • Créer un nouveau système de relations sociales, économiques et culturelles dans notre pays, notre continent et pour toute l’humanité.
  • Ne plus avoir d’impunité pour les crimes de hier comme pour ceux d’aujourd’hui.

Les 30 000 disparus sont … présents, maintenant et pour toujours.

Nous continuons à réclamer le retour en vie de Jorge Julio López [2].

Texte signé par :

Adolfo Pérez Esquivel
Association des ex-détenus disparus
Servicio Paz y Justicia - SERPAJ (Service Paix et Justice)
Ligue argentine pour les droits de l’Homme
Hermanos (Frères).
Nora Cortiñas, Mères de la Place de Mai – Ligne fondatrice
Mirta Baravalle, Mères de la Place de Mai – Ligne fondatrice
Mouvement œcuménique pour les droits humains
Commission des droits humains des Uruguayens en Argentine
Dialogue 2000.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3051.
 Traduction de Francis Gély.
 Source (espagnol) : courriel de la Fondation Service, paix et justice (Serpaj Argentine)

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[1La Loi du point final (1986) fixait une limite temporelle aux poursuites, celle du devoir d’obéissance (1987) exemptait de responsabilités dans la répression les militaires qui avaient obéi à des ordres supérieurs.

[2Disparu le 18 septembre 2006 alors qu’il devait apporter un témoignage final dans le procès de Miguel Etchecolatz, responsable de violations de droits humains pendant la dictature.

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