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PANAMÁ - La Chine et le Panamá face aux colères de Washington

Julio Yao

jeudi 8 juillet 2021, mis en ligne par Françoise Couëdel

28 juin 2021 - La pression des États-Unis est une intervention extrêmement grave dans les affaires intérieures et extérieures du Panama et une violation de sa souveraineté.

Le chemin de fer, le canal français et le canal états-unien

Le 13 juin 2021, on célébrait quatre ans de relations diplomatiques entre la République Populaire de Chine et le Panama. Néanmoins, les relations entre nos deux peuples dépassent les relations formelles entre états et remontent à 169 ans, depuis 1852.

Quand les travailleurs chinois sont arrivés au Panama pour construire le premier chemin de fer interocéanique, entre 1852 et 1855, des travailleurs de ce pays y vivaient déjà, amenés par des bateaux espagnols.

La finalité principale du chemin de fer pour les États-Unis était de favoriser la communication entre l’Est et l’Ouest des États-Unis (volés au Mexique), exterminer les peuples originels pour leur prendre leurs terres et faire passer le Panama sous le contrôle militaire de Washington.

Sans le savoir les Chinois prolongeaient l’ancienne Route de la soie, qui remontait à plus de 22 siècles, un ensemble de routes commerciales, sociales, militaires, culturelles, technologiques qui mettaient en relation la Chine avec l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

Les travailleurs qui fuyaient les Guerres de l’opium (1841,v1856) imposées à la Chine par l’Angleterre et autres puissances occidentales, outre les États-Unis et le Japon, ont été trompés par la Panama Rail Road Company et obligés de travailler dans la forêt dans des conditions extrêmement pénibles, sans possibilité de retour en Chine comme ils le souhaitaient et selon ce qui leur avait été perfidement promis.

Sur le chantier du chemin de fer ont travaillé des centaines de travailleurs d’autres nationalités (Allemands, Irlandais, Malaisiens et Indiens) qui, compte tenu des conditions difficiles du projet, l’ont abandonné. La relève n’a pas tardé à arriver car les ingénieurs se sont souvenus des réussites des Chinois dans la construction des chemins de fer dans l’ouest nord-américain. Mais les forêts du Panama c’était une toute autre affaire !

Contrairement aux autres étrangers les Chinois supportèrent l’indicible jusqu’à la fin du chantier, sous la pression de la Compagnie qui, selon le contrat signé avec la Colombie (Nouvelle Grenade) devait respecter un délai et selon lequel à son achèvement tous ses actifs deviendraient la propriété de ce pays.

Dans un tel contexte les Chinois ont été exploités et pressurés pour que le contrat soit respecté : des journées de travail de 16 heures, sans soins médicaux, sans alimentation et sans hébergement, le tout aggravé par l’usage de l’opium qui était le mode de paiement de la Compagnie, en violation des lois qui l’interdisaient aux États-Unis.

Faute de machines, les Chinois abattirent des arbres et tractèrent sur les flancs de la Cordillera centrale — à bout de souffle et torses nus — d’énormes troncs de bois sur le pire tronçon du parcours. En quelques mots, on les a fait crever.

Les difficultés étaient insurmontables et les Chinois, dans cette situation sans issue, se révoltèrent, mais ils furent réprimés par les gardes des États-Unis qui préservaient des troubles et de la violence la route interocéanique sous la protection du Traité Mallarino-Bidlack de 1854, entre la Colombie et les États-Unis. Combien de Chinois assassinés au nom de la fausse neutralité de cette route interocéanique !

Les Chinois effectuèrent les tâches imposées, mais en guise de protestation et de libération, ils s’ôtèrent la vie : ils se donnèrent la mort ou la demandèrent, en payant des Malaisiens pour qu’ils les tuent ; en se pendant ou se jetant dans les profondeurs des fleuves ou se noyant dans les vagues de la mer, tandis que leur regard vers l’Est tentait d’entrevoir leur patrie lointaine et inatteignable.

Selon les archives de la Compagnie, gardées sous clé et surveillées par la Bibliothèque de l’ancienne Zone du canal — auxquelles j’ai eu le privilège d’accéder, il y a 68 ans — elles ont été transférées aux États-Unis en raison de l’invasion de 1989. En un mois sont morts au moins mille Chinois, à raison de 33,5 par jour. Tragédie difficile à imaginer même en temps de guerre !

Au projet avorté de Ferdinand de Lesseps (1880), constructeur du canal de Suez, d’ouvrir un canal au Panama, ont travaillé des milliers de Chinois ainsi qu’au Canal nord-américain (1904-1914) bien que moins nombreux en raison des lois de Washington de 1905 qui interdisaient leur exploitation.

Sur la construction du canal français 20 mille travailleurs chinois, entre autres, sont morts. Les survivants du chemin de fer ont fondé en 1873 la première société étrangère et se sont intégrés aux Panaméens.

Le 3 novembre 1903, date de séparation du Panama de la Colombie, il n’y eut qu’un seul mort : un citoyen de l’Empire du ciel, appelé Wong Kong Yee (né en 1854), originaire de Hockshang (la ville d’origine de mon père), province de Canton (Guandong).

Ce fait est relaté par William Mc Cain (Panama et les États-Unis) qui soutient qu’on doit être reconnaissant à Wong Kong Yee, un médecin traditionnel qui dînait dans sa résidence à dix heures du soir, le 3 novembre, quand une grenade d’un bateau colombien l’atteignit et le tua sur le champ.

Relations diplomatiques entre la Chine et le Panama

Sous la dynastie Qing, la Chine a été un des premiers pays à reconnaître l’indépendance du Panama. La république de Chine (Taiwan) y a conservé son ambassade jusqu’au 13 juin 2017, quand le président Juan Carlos Varela, a ouvert des relations diplomatiques avec Beijing.

Les premiers contacts avec le Panama ont eu lieu en mars 1973, quand l’ambassadeur et futur chancelier de la Chine, Huang Hua, a assisté au Conseil de sécurité de l’ONU dans ce pays. Je l’ai personnellement accompagné au cours du séjour sur l’Île Contadora et à l’assemblée plénière, à la demande du Chancelier du Panama et du chef des négociations avec les États-Unis, Juan Antonio Tack.

Un fait totalement inconnu jusqu’à nos jours est que le chancelier Tack était lui-même un descendant de Chinois car son véritable nom était Wong, ce qui signifie qu’en réalité deux Panaméens descendants de Chinois ont géré la politique étrangère du Panama avec les États-Unis de 1972 à 1977.

Les accès de colère de Washington

Dès que la Chine est arrivée au Panama, le gendarme mondial en personne s’est imposé pour interférer dans nos relations avec Beijing. En août 2018 s’est présenté David Malpass, sous-secrétaire au département du Trésor des États-Unis qui signa un accord inconstitutionnel pour la distribution du gaz liquide au bénéfice des entreprises états-uniennes.

Deux ans plus tard arriva Robert O’Brien, conseiller en Sécurité nationale, accompagné de l’amiral Craig Faller, chef du Commando sud. O’Brien signa un mémorandum d’entente le 20 août 2020 qui conféra aux entreprises nord-américaines le monopole sur les ressources énergétiques du Panama. Le MDE tentait d’annuler la déclaration présidentielle Varela-Xi de novembre 2018, qui comprenait un ensemble de projets liés à l’intégration du Panama dans la nouvelle Route de la soie.

Washington n’a pas nommé d’ambassadeur au Panama depuis lors, ce qui est supposé être un châtiment pour notre mauvaise conduite. N’oublions pas que Washington considère tout contact avec la Chine comme une forme de corruption soit de l’État soit des particuliers. Plus de 20 accords ont été signés qui supposent un vaste champ de coopération et d’amitié, encore en attente de démarches administratives.

Le président Varela a suggéré à la Chine de construire un chemin de fer de 395 kilomètres qui unirait le Panama à Chiriquí, à la frontière du Costa Rica. Le projet a exigé 18 mois d’études à l’entreprise chinoise China Railways, qui a construit plus de 100 mille kilomètres de chemins de fer. Les études de faisabilité et leur coût ont été supportés totalement par la Chine même si l’initiative en revient au président Varela et non à la Chine, comme l’ont prétendu les lèche-bottes de Washington.

Cependant, en dépit des bénéfices de cet ouvrage en raison de sa rentabilité sociale et d’autres arguments de poids, entre le gouvernement sortant de Varela et le nouveau, de Laurentino Cortizo (juillet 2019), le projet du Chemin de fer, vital pour le pays, est tombé à l’eau.

Ce diktat a eu aussi des répercussions négatives sur la construction du Quatrième pont sur le canal, ainsi que sur celle du Port de plaisance qui se sont retrouvés sans financement en attente de ce que le gouvernement débloque les budgets qui leur correspondent.

La pression des États-Unis est une intervention extrêmement grave dans les affaires internes et externes du Panama et une violation de sa souveraineté. Pire encore, cependant, est d’accepter cette oppression impérialiste car la défense de la Patrie est un devoir permanent et incontournable. La Chine nous a tendu une main amicale et le peuple panaméen ne manquera pas de la saisir.


Julio Yao est Président honoraire et Président exécutif du Centre d’études stratégiques asiatiques au Panama (CEEAP).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/212822.

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