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Opinion

ÉTATS-UNIS - Pourquoi le Nicaragua et pourquoi maintenant ?

Telma Luzzani

lundi 12 juillet 2021, mis en ligne par Françoise Couëdel

2 juillet 2021 - À un moment de grande vulnérabilité pour ses ambitions impériales Washington doit faire en sorte d’éviter tout désordre dans les Amériques. Il semble que c’est maintenant au tour du Nicaragua d’en supporter les conséquences. Les moyens de communication hégémoniques et la droite furibonde ont soudain cessé de critiquer le Venezuela et ont braqué leurs canons sur le Nicaragua. Pourquoi ?

« Nicaragua le goulag de l’Amérique centrale » a titré El País d’Espagne le dimanche 27 juin. « Les méthodes de répression, la haine, la soif de vengeance que manifeste le gouvernement de Daniel Ortega au Nicaragua surpassent la répression pratiquée par la dictature de Somoza », annonçait la BBC au Royaume-Uni, la veille. « La police du Nicaragua sème la peur en pratiquant détentions et rafles », a affirmé The Washington Post.

Il en est ainsi, tous les jours. Le conglomérat médiatique latino-américain, allié du grand capital, aligné et soumis à la politique des États-Unis, reproduit à l’infini ces gros titres sans presque en changer un mot. Dans le cas de pays comme l’Argentine et le Mexique — avec des gouvernements qui maintiennent un équilibre entre le bienêtre général et les exigences des puissants —, les medias en profitent pour, en outre, donner libre cours à leurs pulsions de destitution. La ligne argumentaire est plus ou moins celle-ci « si on ne condamne pas le Nicaragua ou le Venezuela, comme l’exige la Maison-Blanche, Fernández et López Obrador – par affinité – sont aussi autocrates qu’Ortega ou Maduro.

La question est donc : Pourquoi maintenant, soudain le Nicaragua ?

Il y a deux raisons différentes 1) La dénonciation médiatique concernant la détention de dix-sept personnes, parmi elles cinq qui aspirent à être candidats aux élections présidentielles du 7 novembre. 2) Les intérêts qui poussent Washington et ses followers à se lancer dans cette attaque.

Pour comprendre la première il faut analyser la seconde. Le fort intérêt étatsunien pour le Nicaragua existe de longue date. En 1885, en pleine fièvre expansionniste des États-Unis, le flibustier William Walker, à la tête d’un groupe de mercenaires appelés « Les Immortels », a envahi le Nicaragua et s’est autoproclamé président. La Maison-Blanche l’a immédiatement reconnu comme chef d’État légitime. Il a été finalement destitué par les Nicaraguayens.

Au XXe siècle les assauts n’ont pas cessé. Et pas seulement contre le Nicaragua. Selon la conception de la sécurité géostratégique, aussi bien dans les documents du XVIIe que dans les plus récents des académies militaires ou du Département de la défense, la Mer Caraïbe est considérée comme un des flancs les plus vulnérables pour l’empire et, en conséquence, il est fondamental d’y maintenir le contrôle le plus implacable qui soit.

Cela explique l’intervention brutale du Pentagone en Amérique centrale et dans la Caraïbe (« les guerres des bananes »), dans les premières décennies du XXe siècle. Dans son ouvrage de 2007, L’Atelier de l’empire : l’Amérique latine, les États-Unis et le surgissement d’un nouvel impérialisme, l’historien Greg Grandin de l’Université de New York, décrit comment au cours des 34 premières années du siècle dernier, les États-Unis ont réalisé 34 invasions militaires dans la région. « Ils ont occupé le Honduras, le Mexique, le Guatemala et le Costa Rica durant de courtes périodes et ils sont restés de longues périodes en Haïti, à Cuba, au Nicaragua, au Panama et en République dominicaine », tant l’importance de cette zone est grande pour les États-Unis, importance qui le reste encore de nos jours.

Pour ce qui est du Nicaragua, il a résisté à l’occupation armée étatsunienne qui a été mise en échec par le général Augusto Sandino, assassiné ensuite en 1934. À l’époque et jusqu’au triomphe de la Révolution sandiniste de1979, le clan Somoza avait garanti une soumission totale au mandat états-unien. À partir de 1979, face aux difficultés de l’empire pour faire plier le Nicaragua, toutes sortes de stratégies légales et illégales ont été mises en œuvre pour maintenir le contrôle sur ce pays.

C’est pour cette raison que les dénonciations actuelles contre le gouvernement de Daniel Ortega pour violations des droits humains (bien qu’on ne dénombre pas de manifestants rendus aveugles comme au Chili ni d’assassinats de leaders défenseurs des droits humains comme en Colombie) peuvent se lire de diverses manières.

La première est qu’en effet le gouvernement poursuit les opposants. Selon le président Daniel Ortega il s’agit de personnes qui ont commis des délits. Quoi qu’il en soit il faudra que la justice enquête et apporte des preuves.

La seconde est que les États-Unis – non sans raisons – ont lancé leur machine médiatique pour faire échec à un hypothétique triomphe sandiniste lors des élections présidentielles du 7 novembre. S’il en est ainsi, dans les prochains mois, il pourrait y avoir des déferlantes de soutien aux Nicaraguayens, des missions d’aides humanitaires et même l’apparition d’un Juan Guaidó nicaraguayen (quelqu’un peut-être en lien avec l’ex-présidente Violeta Chamorro).

La troisième lecture je l’emprunte à Carlos Fonseca Terán, secrétaire des relations internationales du Front sandiniste de libération nationale. Selon lui, le Nicaragua est, depuis 2007, « un des pays avec la plus grande réduction de pauvreté et d’inégalité sociale au niveau mondial ». En un mot, selon le point de vue des États-Unis, un mauvais exemple.

Fonseca Terán donne des chiffres surprenants : « C’est le pays où les travailleurs ont le plus haut niveau d’accès à l’exercice direct de la propriété sur les moyens de production dans l’hémisphère occidental (plus de 50% du PIB et presque 80% des unités de production) ».

Quant à la sécurité, le Nicaragua est « le pays le plus sûr de l’Amérique centrale et un des plus sûrs de l’Amérique latine, avec un pourcentage annuel d’homicides par an de 3,5 pour 100 000 habitants, le plus proche du Costa Rica avec 11,2%. D’autres réussites sociales sont la réduction de l’analphabétisme de 35% à seulement 3% et la réduction de la mortalité enfantine de 29 à 11,4% par naissance effective.

La note de Fonseca Terán mérite une lecture car, outre des informations inconnues sur le pays, elle donne des précisions sur la loi électorale ; pour ce qui est de l’alliance supposée avec la hiérarchie catholique, les détentions et les détenus parmi lesquels se trouvent d’anciens sandinistes.

Dans un moment de grande vulnérabilité pour ses ambitions impériales, Washington doit éviter tout ce qui peut donner lieu à un quelconque désordre dans les Amériques. Il semblerait que c’est au tour du Nicaragua d’en supporter les conséquences.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/212917.

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