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Opinion

CHILI - Le pays de la plus importante nouvelle porteuse d’espoir

Eduardo Gudynas

mardi 18 janvier 2022, par Françoise Couëdel

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29 décembre 2021 - C’est au Chili qu’en ce moment on peut débattre au plus haut niveau des questions environnementales tout en considérant les aspects économiques, en repensant le cadre des droits et en promouvant des alternatives au développement.

Alors que s’achève l’année 2021, tout bilan de la situation environnementale en Amérique latine devrait aisément amener à tirer le signal d’alarme d’une détérioration qui persiste, qui à son tour a de multiples impacts sociaux, alors qu’aucune mesure gouvernementale ne laisse présager de changement. Mais il est possible d’envisager une démarche inverse et de nous orienter vers la perspective la plus encourageante, la plus novatrice et dynamique de l’année. Au lieu d’établir un bilan qui énumère les lieux les plus pollués ou la promesse d’une nouvelle zone de protection de l’environnement, nous pouvons nous intéresser à des innovations qui symbolisent la naissance de nouvelles politiques environnementales.

L’innovation la plus importante et la plus porteuse d’espoir de 2021 est représentée au Chili par la Convention constituante. Plus précisément par la commission qui abordera la question environnementale, mais qui est aussi plus encore, car elle a également la compétence de promouvoir les droits de la Nature, et mieux encore, est corrélée aux modèles économiques.

En effet, au sein de la Convention constituante siège la commission de l’Environnement, des Droits de la Nature, des Biens naturels communs et du Modèle économique. C’est une dénomination large, mais qui mérite d’être analysée car elle est porteuse de messages et de leçons. Nous sommes en présence d’une commission classique sur des sujets environnementaux, question qui ne peut être absente d’aucune constitution. En outre des nouveautés y ont été introduites. On y a adjoint un mandat spécifique pour aborder les droits de la Nature, ce qui place le pays à l’avant-garde de cette thématique. Ces droits, au niveau constitutionnel, n’ont été reconnus qu’en Équateur, dans sa constitution de 2008.

On y ajoute la question des « biens naturels communs », ce qui exigera de définir ce qu’implique la notion de « biens » et leur qualification de « naturels ». La commission se voit ainsi dans l’obligation d’aborder des questions essentielles comme les notions de propriété et la définition de biens qui sont communs. Tous ces débats doivent être menés conjointement à la discussion sur les modèles économiques. La nouveauté extraordinaire réside précisément dans cette association.

La conception traditionnelle situe ces thèmes dans des rubriques distinctes. Par exemple, au sein de la constituante de l’Équateur, les questions environnementales et économiques étaient examinées par des commissions distinctes. Mais c’est justement cette séparation thématique qui explique que, durant des années, les décisions économiques ont fait l’impasse sur l’écologie et ont abouti à des styles de développement qui pillent et polluent l’environnement.

Le caractère hybride de cette commission de la Convention chilienne, qui importune nombre de personnes, est une expérience unique en son genre. Elle permet de débattre de tous ces sujets, dans une autre perspective, à un plus haut niveau et sans qu’existe rien de similaire dans d’autres pays.

L’évaluation réalisée par le Centre latino-américain de l’écologie sociale (CLAES) des principales tendances de l’écologie politique sur le continent a conclu qu’en 2021 le thème n’a pas été objet d’étude sur le continent, ni même au cours de la « longue année de la pandémie 2020-2021 », un espace propice pour évaluer les relations entre environnement et développement dans toutes leurs dimensions, dans aucun autre pays d’Amérique latine, et que l’on sache, pas davantage sur un autre continent. C’est ce qui explique que cette question de l’environnement que pose le Chili soit la plus notoire de l’année.

Il semblerait pour le moment que son importance ne soit pas perçue de façon pertinente dans le reste de l’Amérique latine et au niveau global. L’essentiel se jouera avec le prochain gouvernement et selon la façon dont il négociera avec la droite au parlement, ou considèrera que cette convention n’est que l’héritage des violentes manifestations citoyennes de 2019.

Mais c’est précisément ce que ne peut pas être la convention. Elle ne peut pas être une simple soupape pour calmer la colère citoyenne. Elle est bien un espace pour envisager d’autres perspectives. N’importe quel avenir deviendra invivable sans réconciliation avec la Nature ou sans que les théories économiques aient des limites, celles de l’écologie.

Cela renforce l’énorme importance et les options qu’offre la Convention de pouvoir élaborer un mandat constitutionnel qui reconnaisse les droits de la Nature et dont la formulation s’étende à la dimension économique.

L’installation de cette commission ne doit pas être considérée non plus comme une concession à la divagation d’un petit nombre. Les membres de la convention qui font partie du groupe des « éco-constituants » sont plus de 30 ; le nombre le plus important de sièges au sein de la convention. En outre, parmi eux, nombreux sont ceux qui viennent d’horizons politiques hors de tout parti et sont en grande part indépendants de toute structure ; cela doit être accueilli favorablement car, en général, les partis politiques succombent au développementisme classique.

Les thématiques, qu’on pourrait décrire comme la remise en cause des mandats constitutionnels sur le développement en partant d’un point de vue écologique, éveillent de nombreuses résistances chez les secteurs conservateurs, qu’ils soient entreprenarials, politiques ou académiques. Dans certains cas les réactions sont virulentes ce qui révèle l’importance de ce qui est en jeu.

Pour évaluer les faits en matière d’environnement et de développement en 2021 on aurait pu suivre un parcours classique qui énumèrerait les principaux problèmes environnementaux en Amérique latine. Dans cette liste on trouverait, à nouveau, la déforestation tropicale, au Brésil et en Colombie par exemple, ou la suite d’incendies qui affectent l’Amazonie et les écosystèmes subtropicaux. On pourrait y ajouter la pression exercée pour l’exploitation des hydrocarbures et des minerais dans des aires protégées et sur des territoires indiens en Bolivie et en Équateur ; tout cela se reproduit depuis des années. On pourrait également énumérer les conflits environnementaux quand s’impose l’extractivisme, dont l’Argentine ou le Chili subissent les préjudices. Qu’il s’agisse de ces exemples ou d’autres, aucune de ces situations n’est nouvelle et ces échecs se sont répétés ces dernières années.

Le changement et le renouveau sont maintenant annoncés par le Chili car ils ne se limitent pas à ces problèmes ponctuels mais remontent à la racine politique de tous ces maux. L’orientation de ce pays peut changer mais peut aussi devenir un exemple pour ses voisins.

Il faut admettre que tout ce qui vient d’être décrit est, par précaution, à nuancer. Il est impossible de prédire le résultat de ce processus constitutionnel. S’il conclura sur les droits de la Nature ou s’il échouera en reprenant les conceptions traditionnelles. Et même si on obtenait le meilleur des textes constitutionnels, il n’y a aucune garantie de ce que le prochain gouvernement ne le torpille pas au point qu’il devienne inapplicable, comme cela s’est largement produit en Équateur.

Mais ce qu’on ne peut nier c’est que le processus de réflexion et de débat soit en marche, et qu’en cela réside la grande innovation. C’est au Chili qu’en ce moment on peut débattre au plus haut niveau des questions environnementales en même temps que des questions économiques, reconsidérer le cadre des droits et promouvoir conjointement des alternatives au développement. Ce sont des thèmes de débats qui sont lancés et portés par d’importants secteurs citoyens. Ils ont atteint le plus haut niveau possible, le pouvoir de la constituante, et ce qui sera élaboré sera le cadre de tous les débats, toutes les normes, toute la politique chilienne dans nombre d’années à venir. Il n’existe aucun espace ni aucun engagement de ce type dans aucun autre pays de la région. C’est donc là que réside la plus insigne nouveauté de l’année et si cela a pu se faire au Chili, cela peut aussi se réaliser dans d’autres pays.


Eduardo Gudynas est analyste au Centre latino-américain d’Écologie sociale (CLAES). Le texte du bilan de 2021 est disponible sur le site du CLAES www.ambiental.net.

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