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Opinion

BRÉSIL - Le paradoxe d’un mauvais gouvernement dévastateur

Fernando De la Cuadra

mardi 26 avril 2022, mis en ligne par Françoise Couëdel

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31 mars 2022.

La gestion catastrophique du gouvernement de Bolsonaro pourrait se caractériser par un paradoxe inquiétant : d’une part il révèle une administration incompétente et d’autre part le chef de l’État semble une figure totalement indispensable pour définir les orientations du pays. De façon apparemment contradictoire jamais auparavant un mandataire n’avait commis un dommage aussi dévastateur et opéré un démantèlement aussi féroce des politiques publiques et des structures de l’État brésilien.

Dans le dernier cas, l’administration de Bolsonaro pourrait se caractériser comme un « dé-gouvernement » ou un anti-gouvernement dans la mesure où elle s’est consacrée systématiquement à détruire tout ce que le Brésil avait acquis en termes de politiques publiques, d’éducation, de santé, de logement, de transport, de prévisions, de Droits humains et de sécurité, entre autres choses. Nombre de ses ministres ont été emblématiques de ce cynisme et de l’incapacité de remplir leurs tâches respectives.

Les dommages causés, par exemple, dans le secteur aussi sensible et fondamental que l’éducation sont incalculables. À ce jour quatre ministres se sont succédés à ce poste et le secrétaire actuel Milton Ribeiro, un pasteur évangélique, est menacé d’être relevé de ses fonctions, précisément pour avoir favorisé deux autres pasteurs en leur octroyant des ressources pour qu’ils augmentent leur influence locale. Ces deux religieux agissaient en tant qu’assesseurs informels du ministre et organisaient des réunions avec des gestionnaires municipaux pour l’obtention de financements en échange de « pourboires » pour l’adjudication de chaque projet. Selon un enregistrement diffusé par le quotidien La Folha de Sao Paulo, le ministre en est venu lui aussi à engager les ressources de son Ministère dans la construction d’églises dans certaines municipalités où officient des pasteurs appartenant à l’Église presbytérienne, son église.

Le ministère de l’éducation s’est illustré par des scandales depuis que le gouvernement actuel a été investi, en 2019. Par exemple, le second ministre choisi par Bolsonaro, Abraham Weintraub, a entrepris une vraie croisade contre la globalisation car, selon lui, elle faisait partie d’une stratégie de domination du marxisme culturel. Après avoir insulté les membres du Tribunal suprême de Justice (il les a traités de vagabonds dans une réunion de cabinet), le ministre dévastateur s’est trouvé complètement isolé par les fonctionnaires de carrière de son propre ministère.

Nous pourrions continuer à décrire ce démantèlement dans divers secteurs, comme le boycott des programmes de vaccination qui, depuis une dizaine d’années avait remporté des succès, alors que ce gouvernement a retardé intentionnellement l’usage des vaccins contre le Covid-19, ce qui a coûté la vie à plus de 658 mille personnes. Pour cette raison, a été organisée une campagne soutenue pour la défense du Système unique de santé (SUS), garanti par la Constitution de 1988, qui est une des plus belles conquêtes de la population depuis le retour à la démocratie du pays.

La fin des programmes de contrôle des principaux écosystèmes du pays, est un autre cas emblématique des actions de déconstruction des politiques publiques dans le domaine de l’environnement. Remettant en question les informations de l’organisme chargé de contrôler la région amazonienne qui a détecté une augmentation significative des surfaces de brûlis et de dévastation de la forêt, le président et son ministre n’ont pas trouvé de meilleure solution que de remplacer les scientifiques chargés de le gérer.

La même chose s’est produite quant aux programmes concernant l’habitat, la lutte contre la faim et la pauvreté, le transport et la mobilité urbaine, le financement de la culture et de l’art, la protection du patrimoine historique et… la liste est encore longue.

Selon ce qu’a déclaré Bolsonaro dans son discours inaugural, sa première tâche serait de détruire tout ce que – selon lui – avaient réalisé les gouvernements de gauche. En cela, l’ancien capitaine s’est révélé être un exécuteur efficace de la dévastation des politiques publiques, de l’action politique et des institutions de la République. Le pays continue à fonctionner tant bien que mal avec l’aide ou en raison d’une certaine inertie de l’appareil gouvernemental qui n’a pas été complètement démoli et de l’action des contrepouvoirs du système politique qui peuvent opérer dans certaines occasions, particulièrement dans le cas du Tribunal suprême fédéral et du Ministère publique. Le pouvoir législatif se trouve déjà coopté par les pratiques physiologistes, instrumentalisées par les partis du dénommé « Centrao », qui représente ce que le système politique brésilien a de pire, c’est-à-dire un modèle qui se base sur un clientélisme grossier et néfaste.

Si d’un côté Bolsonaro est le paladin de la destruction, par ailleurs il se distingue en tant que gouvernant sans qualités, inculte et vulgaire. Son voyage en Russie peu de temps avant l’invasion de l’Ukraine n’a guère altéré le cours du conflit qui allait se déclencher. Adulé par ses fervents suiveurs comme envoyé de la paix, il est passé totalement inaperçu pour la géopolitique mondiale ce qui a confirmé le manque d’importance du Brésil en matière de relations internationales [1].

Même si Bolsonaro peut faire pression sur la classe politique en accordant des faveurs pour le financement de projets et d’amendements parlementaires, sur le plan intérieur ses opinions sont considérées comme bizarres, grossières et anecdotiques, ce qui lui vaut parfois le surnom de « bouffon de la Cour ». Pour cette raison reste néanmoins paradoxal le fait qu’un président si limité et dépourvu de compétences conserve encore un appui inconditionnel auprès d’un quart de la population. Ce soutien à sa gestion peut sembler négligeable mais est certes important si nous pensons aux dommages qu’a commis son gouvernement en un peu plus de 3 ans de mandat.

Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, il semble y avoir un déphasage entre les ravages commis par son administration et le soutien qu’il conserve encore auprès d ‘une partie de ses électeurs : économie en récession, inflation galopante, pauvreté, chômage, faim et misère, milliers de personnes vivant dans la rue, criminalité croissante, violence et insécurité citoyenne, sont quelques-uns des problèmes qui se sont aggravés au cours de cette période.

Néanmoins les mobilisations se sont arrêtées et une sorte de léthargie des mouvements populaires et des organisations sociales s’est manifestée. Peut-être cette passivité sera-t-elle altérée par la bataille électorale qui s’approche car il ne reste que six mois pour avant que les Brésiliennes et les Brésiliens élisent un nouveau président et un nouveau Congrès national. Avec tous les risques et les menaces qui se profilent dans ce futur scénario, les élections représentent une opportunité sans égal de défaire les nœuds de ce processus socio-politique et de démasquer définitivement les manœuvres et atrocités du gouvernement actuel.

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