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PÉROU - Un mouvement national
Jérémie Wach-Chastel
lundi 15 juin 2009, mis en ligne par
Vendredi 12 juin 2009, Pucallpa, Pérou.
Les communautés natives du Pérou sont en lutte depuis le 9 avril 2009, en réaction à neuf décrets législatifs (994, 1064, 1020, 1081, 1089, 1090, 1083, 1060 et 997) ainsi que deux lois (numéro 29317 et 2933) imposés par le gouvernement du président Alain Garcia, afin de permettre l’application de l’Accord de libre-échange (TLC en espagnol) avec les États Unis, la Chine et en vue de futurs accords bilatéraux avec l’Europe.
Ces décrets législatifs et lois menacent les droits communautés natives et la biodiversité de l’Amazonie. La Selva (partie amazonienne du Pérou) constitue 60% de la superficie du pays. Et 70% de celle-ci, soit 44 millions d’hectares, a été divisé en lots que le gouvernement péruvien a attribué à des multinationales. Elles pourront prospecter ou exploiter les énergies fossiles ou les minéraux, ceci ayant des effets extrêmement graves sur la santé des populations et l’environnement. En effet, le gouvernement péruvien ne fait pas appliqué les lois concernant le respect des taux de pollution. À la Oroya par exemple, à 175km à l’est de Lima, où l’on trouve des raffineries, le taux de plomb dans le sang est cinq fois supérieur à la norme, et 95% des enfants sont touchés.
De nombreux lots sont, selon l’Organisation des droits, de l’environnement et des ressources naturelles (DAR : Organismo Derecho, Ambiente y Recursos Naturales), se superposent sur des réserves nationales, des forêts protégées, des réserves communales ainsi que des centaines de communautés natives. Le cas n’est pas isolé car depuis de nombreuses années le gouvernement agit de la sorte, par exemple, en 2003 avec l’entreprise Repsol dans la région de Cusco, sur la réserve communale Matsiguenga. En 2005, avec La Burlington, dans la région de Loreto sur la zone réservée Pucaro. En 1987, dans la région de San Martin sur les bois protégés de l’Alto Mayo. La liste est encore longue, commence en 1987, puis 88, et reprend en 97, jusqu’à aujourd’hui.
Les communautés natives n’ayant pas été consultées à propos de l’établissement de ces lois et décrets, elles demandent leur annulation. Les lettres, les pétitions et les manifestations n’ayant pas eu d’effets, elles ont entamé un blocage des routes le 9 avril 2009. Ces lois étant nécessaires à l’imposition du TLC, le 5 juin, dans la région de Bagua, l’un des nombreux lieux bloqués, le gouvernement a envoyé l’armée pour rouvrir la route. Ce jour là, cinq policiers et une vingtaines de natifs sont morts. Dans les jours suivants, on parle d’une centaine de mort et d’encore plus de blessés. Mais il est difficile de savoir car la police a brûlé des corps pour empêcher qu’ils soient retrouvés, et comptabilisés. Les forces armées entrent dans les hôpitaux arrêter les personnes blessés. Comme à l’hôpital Santiago Apóstol y Buen Samaritano de Utcubamba où elles ont tirés dans les couloirs pour faire fuir les familles des blessés.
Pour dénoncer ce massacre, et apporter leur soutien aux communautés, le 11 juin, à l’appel de différentes organisations dont la CGTP et les fronts de résistance de nombreuses régions, des manifestations et des blocages de route ont eu lieu dans tout le pays.
À Pucallpa, où je me trouvais, ce sont environ 7 à 10 milles personnes qui ont défilées pendant de nombreuses heures. Indigènes, métis, partis politiques, associations écologistes, universités, ONG... étaient présents. La manifestation s’est déroulée sans heurt, mais la rage se sentait. Elle s’est arrêtée longuement devant le local de l’APRA, le parti du président, pour crier son indignation, la demande du retrait des lois et le jugement des assassins.
On pouvait entendre des slogans « La Selva ne se vend pas, la Selva se défend », « Garcia, écoute la population te rejette », « Alan, délinquant, maintenant fout le camp », « Ce n’est pas un président, c’est un délinquant »...
Le soir, à l’appel des différentes associations de la jeunesse, environ 150 personnes se sont réunis pour faire une vigilance. Des discours ont été prononcés et des bougies allumées en « l’honneur des frère awajun assassinés ».
Malgré tous ces évènements, le soutien de la population pour le mouvement, les lois et décrets sont toujours en place. Au nom de l’argent, du pétrole et de la libre compétitivité, la politique néolibérale du gouvernement permet le saccage de la forêt amazonienne, l’un des poumons du monde, l’assassinat de personnes, entraine des déplacements de populations, l’extinction de faunes et de flores. C’est pourquoi, aujourd’hui, en temps de crise mondiale, la lutte continue au Pérou et doit trouver écho à l’international afin de stopper ces dérives capitalistes.
Site de l’auteur : www.jwc-photos.com