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DIAL 3151
BRÉSIL - Violence et attribution parcimonieuse des terres ont marqué l’ère Lula
Fabíola Ortiz
lundi 9 mai 2011, mis en ligne par
Dans ce numéro, trois articles sont consacrés au Brésil. Le premier, d’Eduardo Tomazine, propose une analyse du programme d’occupation permanente de favelas de Rio par les Unités de police pacificatrice (UPP). Le deuxième, ci-dessous, établit un bilan des faibles avancées du gouvernement Lula en matière d’homologation de territoires autochtones. Le troisième, enfin, invite à une plongée dans l’univers quotidien d’une coopérative agricole du Mouvement des sans-terre.
Selon le Conseil indianiste missionnaire (CIMI), les huit années de gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011) ont été la période la plus violente des dernières décennies et à peine 88 territoires autochtones ont été homologués.
Le vice président du CIMI, Roberto Antonio Liebgott a estimé qu’« une politique de délimitation, de protection et d’assistance effective des peuples autochtones n’a pas été mise en place. La solution des conflits agraires n’a pas été une priorité du gouvernement. »
Selon les données du Comité d’organisation des informations de la Présidence, jusqu’en 2009 Lula a homologué des terres qui occupent une surface de plus de 18,6 millions d’hectares.
Ces données ne coïncident pas avec celles du CIMI, un organisme lié à la Conférence nationale des évêques du Brésil, d’obédience catholique, qui indique 14,3 millions d’hectares, environ, homologués depuis 2003.
Un document d’information plus récent émanant du CIMI et de la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI), qui est gouvernementale, révèle que pendant les deux mandats de Lula, 88 territoires autochtones ont été délimités.
Ce chiffre équivaut à 60% de ce à quoi était parvenue l’administration de Fernando Henrique Cardoso (1995-2003) avec 147 territoires homologués (soit plus de 36 millions d’hectares). Et il reste inférieur par rapport à celui du bref mandat de Fernando Collor de Mello (1990-1992) au cours duquel on a délimité 128 territoires autochtones qui représentaient un peu moins de 32 millions d’hectares.
L’identification et la délimitation de terres autochtones obéissent à des règles établies par la Constitution de 1988. Selon le CIMI, il existe au Brésil 988 territoires qui devraient appartenir à des groupes autochtones mais les mesures prises en ont reconnu et régularisé seulement 665.
Ces chiffres différent légèrement de ceux de la FUNAI, organisme gouvernemental chargé de conduire la politique indigéniste. Il y a, dit la FUNAI, 674 territoires autochtones en cours de régularisation dont 149 sont à l’étude, 406 ont été totalement régularisés et le reste se trouve dans une des étapes intermédiaires.
Ces 674 territoires occupent 107,6 millions d’hectares, c’est-à-dire 12,64% du territoire national.
La délimitation est le moyen administratif pour définir les limites d’un territoire traditionnellement occupé par les peuples autochtones. La législation brésilienne de 1996 a été pensée pour accélérer ce processus. L’homologation – décret qui légalise la délimitation –est la dernière étape avant la régularisation complète.
L’étape la plus lente et la plus délicate est celle qui fixe les limites définitives et le paiement des indemnisations pour expropriation. Elle peut durer des décennies.
« Le délai pour tout ce processus ne devrait pas dépasser un an et demi, mais je n’ai jamais vu un cas qui s’en rapproche. Normalement, cela prend 15 à 30 ans » a déclaré Liebgott à IPS.
Le cas le plus polémique pendant le gouvernement de Lula a été celui de la réserve de Raposa Serra do Sol, dans l’État septentrional de Roraima, en Amazonie, où vivent près de 20 000 autochtones de cinq ethnies, l’ethnie macuxi étant la plus présente.
Raposa, d’1,7 million d’hectares situés à la frontière avec le Venezuela, est devenue l’enjeu de polémiques et de conflits avec les producteurs ruraux.
La lutte pour la reconnaissance de Raposa a commencé dans les années 1970 et provoqué des dizaines d’actions judiciaires. En 2005, Lula a décrété son homologation, mais la décision fut dénoncée comme anticonstitutionnelle et soumise au jugement du Tribunal suprême fédéral, que l’a ratifiée en mars 2009.
Il manque à l’État un projet politique indigéniste affirme l’anthropologue Marcos Braga, de l’Institut Insikiran de formation supérieure indigène de l’Université fédérale de Roraima.
« Il y a des actions ponctuelles et dispersées entre les ministères. Lula s’était engagé à créer un ministère des peuples autochtones, mais il n’y a pas eu de progrès allant dans ce sens » a déploré l’universitaire spécialiste de l’Amazonie et des peuples premiers.
Braga souligne quand même que Raposa Serra do Sol a été un succès du gouvernement qui vient de s’achever : « Lula a eu le courage de faire ce que Collor et Fernando Henrique (Cardoso) avait laissé de côté ».
Pour Braga, un autre élément positif a été la création du Secrétariat spécial de santé indigène, associé à la présidence, qui a pour fonction de concevoir des politiques publiques de protection sanitaire pour cette population. « C’était un combat ancien ».
Le budget pour la santé indigène a aussi évolué. À la fin des années 90, il atteignait presque les 50 millions de reales (22 millions d’euros), alors que les ressources actuelles sont de 300 millions de reales (130 millions d’euros).
Mais, selon le CIMI, les derniers huit ans se distinguent aussi par l’augmentation des violences contre les peuples autochtones. Entre 2003 et 2010, 437 assassinats ont été signalés.
L’année la plus sanglante a été 2007, avec 92 autochtones assassinés. Pendant le premier mandat de Lula (2003-2007) a été enregistrée une moyenne annuelle d’environ 45 morts.
Durant son second mandat, qui s’est terminé le 1er janvier 2011, les années 2008 et 2009 furent les pires, avec 60 assassinats chaque fois. Selon les données préliminaires de 2010, au moins 45 autochtones auraient été tués dans des conflits territoriaux.
« Lula n’a pas réglé le problème. Ce fut une grave omission du gouvernement fédéral » a déclaré Liebgoot. Ce gouvernement « a donné la priorité à l’alliance avec les secteurs productifs, comme l’agrobusiness, ainsi qu’avec les grands groupes économiques. Et, pour ce qui est de la relation avec les secteurs sociaux, Lula a préféré étouffer le conflit plutôt que d’apaise les esprits », a-t-il regretté.
Mais Braga a relativisé ces indications. Selon lui, s’il y a eu plus de conflits territoriaux c’est parce que les autochtones ont recommencé à affirmer leur identité : « Les peuples autochtones ont à nouveau assumé leur mémoire collective. C’est alors qu’ont commencé les conflits, car le nombre de luttes pour la terre s’est accru. » L’anthropologue a indiqué qu’il s’agissait d’un retour aux racines. « Là où il y a conflit, il y a violence ».
Mais si Lula avait accéléré la régularisation agraire et planifié sa politique, moins de gens seraient morts, a-t-il critiqué. Il a fait ressortir qu’il « manquait une vision systémique de politiques publiques plus intégrées. »
Le Brésil, un pays qui compte plus de 190 millions d’habitants a près de 736 000 autochtones répartis en 242 ethnies.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3151.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Inter Press Service (IPS), janvier 2011.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.