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Opinion

ÉTATS-UNIS - Les « trumperies » d’une démocratie en état de psychose

Victor Ramos

jeudi 24 novembre 2016, mis en ligne par colaborador@s extern@s

« La victoire de la colère » (Le Monde), « Trumpocalypse » (Libération), « La revanche des petites gens… » (Daily Mail de Londres), « An American Tragedy » (The New Yorker), « La maison des horreurs », avec la maison blanche comme fond (Daily News), etc., voici quelques exemples des titres sensationnalistes des journaux de par le monde. Les médias locaux et internationaux et leurs spécialistes se sont totalement trompés quant au résultat des élections présidentielles des États-Unis du 8 novembre et pendant la longue campagne électorale prenant leur désir pour la réalité.

Comment les États-Uniens ont-ils pu élire un personnage avec des idées si rétrogrades, sexistes et xénophobes, les électeurs n’étant pas une bande de décérébrés ? Pour résoudre cette fausse énigme, car ce n’en est pas une, il faut percer l’épaisse couche d’informations partielles des grands médias et interpeller plutôt la réalité économique, politique et sociale frustrante et difficile dans laquelle vivent une partie importante des citoyens des États-Unis. Il faut aussi considérer l’écœurement d’une très importante partie de la population états-unienne de la politique du mensonge et de l’abandon des principes démocratiques par la classe politique de deux principaux partis. En même temps, il faut tenir compte de deux importantes traditions économiques états-uniennes contraires qui prédominent alternativement, chacune avec leur lot de problèmes pour la population et des bénéfices pour le monde des affaires et les très riches : les libres-échangistes et les protectionnistes, dont fait partie Trump.

Libre-échange et exclusion

Depuis presque trente ans, le libre-échangisme impose ses lois aux États-Unis et ailleurs. La globalisation néolibérale qui promettait un « nouvel ordre économique et politique mondial » de richesse et de paix, bref la « terre promise », le paradis pour tous « n’a pas livré la marchandise »… Au contraire, la pauvreté a augmenté dans la plupart des pays, la brèche entre le 1% des privilégiés de la planète et le 99% de la population mondiale a augmenté de façon très importante…

Aux États-Unis, l’économie va mieux, le taux de chômage officiel est 4,9 %, la bourse bat de records historiques, les banques font d’importants profits, etc. mais un très important nombre de citoyens vivent mal. En effet, selon une étude d’Associated Press, près de 50 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et ils seraient 5 millions de plus sans l’aide pour l’alimentation ! L’étude a également montré que l’écart de richesse entre riches et pauvres était plus grand que jamais aux États-Unis. 27,8 % des Latino-Américains vivent en dessous du seuil de pauvreté et 16,7 % des Asiatiques américains. Les Afro-Américains d’un autre côté, ont maintenant une vie un peu moins difficile (de 27,3 % à 25,8 %), mais le pourcentage de blancs en dessous du seuil de pauvreté est passé de 9,8 % à 10,7 %. « La raison principale qui maintient la pauvreté à un seuil si haut vient du fait que les bénéfices d’une économie qui croît ne sont plus partagés par tous les travailleurs… » (Associated Press, avril 2014)

Il y a aux États-Unis plus de 3,5 millions de sans-abri, dont 35% sont des familles avec enfants. Le Bureau américain de recensement affirme que près de 150 millions d’États-Uniens (presque la moitié de la population totale) sont « pauvres » ou à « faible revenu ». 48 millions reçoivent des bons d’alimentation, avec parmi eux 43% de travailleurs ! La tendance prédominante de ce monde néolibéral globalisé – concentration de la richesse dans les mains des riches, dégradation de la qualité de vie et augmentation de la pauvreté – se retrouve aussi dans ce grand pays. La richesse d’une nation n’est pas la richesse de ses citoyens, contradiction typique qui accompagne le développement du capitalisme, caractéristique aujourd’hui globalisée.

Une démocratie en état de psychose

Pour ce texte, nous utilisons le terme « psychose » dans le sens suivant : « terme générique psychiatrique désignant un trouble ou une condition anormale de l’esprit, évoquant le plus souvent une “perte de contact avec la réalité” » (Wikipédia).

Force est de constater que dans les conditions socio-économiques dans lesquelles vivent une partie très importante de la population des États-Unis, auxquelles on peut ajouter le problème de l’insécurité et la violence croissante, la « démocratie » représentative, ses institutions et les politiciens ont perdu contact avec cette réalité très difficile qui provoque désespoir et colère des citoyens. Ce désespoir et ces frustrations de différentes sortes n’ont pas été perçus non plus par les médias, d’ailleurs contrôlés par les grandes corporations et les gens fortunés. Il y a le pays des riches, avec les politiciens à leur service, où l’on amasse beaucoup de richesses et le pays de la majorité où l’on accumule les « bleus » et la frustration de décennies de salaires bas, voire de misère, d’insécurité et de précarité au travail – bref, de décennies d’exclusion et d’appauvrissement.

Dans cette « trumperie » politique, un non-politicien comme Donald Trump, un « antiestablishment » politique, mais membre de l’« establishment » économique, avec un discours faussement en faveur de la majorité exclue a réussi à canaliser à sa faveur la frustration et la colère de différents électeurs. Et cela en dépit de son discours « corrosif », inquiétant et simpliste. Mais il faut souligner quand même que sa position contre les traités de libre-échange a un fond réel et qui fait écho aux réclamations de millions de travailleurs appauvris à cause de ces traités qui facilitent énormément l’émigration des capitaux vers les pays qui ont les plus bas salaires et sont plus complaisants en matière de normes du travail et de l’environnement. Ces traités très favorables aux transnationales et défavorables aux pays et aux citoyens commencent à être contestés non seulement par les Wallons en Belgique, mais aussi par d’autres pays et sont depuis longtemps dénoncés par les mouvements de la société civile et les altermondialistes.

Est-ce que Trump pourra tenir ses promesses, en particulier les plus controversées ? Devenu politicien de cette « démocratie » représentative qui ne nous représente plus, il en laissera de côté plusieurs. Le « mur de la peur » avec le Mexique est déjà en bonne partie construit. Pour le compléter, il lui faudra forcer quelques États à le faire. Le Mexique ne payera pas, si Trump le prolonge. L’expulsion des immigrants illégaux, latino-américains ou d’autres origines, il le fera très probablement, du moins partiellement, pour « calmer » les plus xénophobes. La question est de savoir jusqu’où il ira et quel prix économique et social il est prêt à payer, car plusieurs « factures » seront attachées nécessairement à cette « démesure » aux conséquences diverses. Quant au refus d’accueillir les immigrants et réfugiés musulmans, il a déjà tempéré ses propos en ouvrant la possibilité de contrôles très serrés à la place de la fermeture totale. Par rapport aux traités de libre-échange, en particulier l’ALÉNA, le Canada et le Mexique sont ouverts à le renégocier. Quant à se retirer de l’ALÉNA, le nouveau président peut utiliser l’article 2205 du traité pour le faire, quoique les experts sont divisés sur le pouvoir du président d’agir sans l’accord du Sénat. Pour le Traité transpacifique, Trump a déjà annoncé que, dès le premier jour de sa présidence, il entreprendra le retrait des États-Unis du TTP.

Cependant, le plus important est que l’ « aberrante » élection de Trump permet de réaliser qu’elle n’est pas si aberrante que nous la présente les médias si l’on tient compte, en premier lieu, de l’expérience réelle d’exclusion des États-Uniens : leur pouvoir d’achat réel stagne et ne suit pas la croissance de la richesse et de la productivité (+100% !) depuis trente-sept ans. En second lieu, concomitant à cette grave situation, la démocratie représentative est en crise – pas seulement aux États-Unis –, et des signes inquiétants se manifestent depuis des années : très basse participation (moyenne de 53,42% depuis 36 ans ; 52,9% en 2016) ; le vote majoritaire direct n’est pas la base des élections présidentielles aux États-Unis, ce qui permet à un candidat qui a eu moins de votes de devenir président, comme c’est le cas de Donald Trump qui a récolté près de 650 000 votes de moins qu’Hillary Clinton. Mais le plus grave, c’est que la « démocratie » représentative est devenue sa négation même en étant de fait « le gouvernement des riches, pour les riches et par les riches. »

Est-ce que Trump, un milliardaire, peut devenir le président du peuple américain majoritairement exclu dans une « démocratie » qui a perdu contact avec la réalité de ses citoyens et qui est au service de la bourgeoisie transnationale aux commandes de l’économie, de la politique et de la géopolitique du profit ? Avec cette « démocrature » représentative, les problèmes des citoyens américains ne sont pas près d’être résolus. Et les contradictions et les tensions au sein de la société états-unienne iront en s’aggravant. Ajoutez à cela les mesures qui favorisent les énergies polluantes et obsolètes que Trump veut mettre en avant, fruits d’une vision à court terme qui aggraveront la destruction écologique et ses conséquences climatiques, ainsi que l’impact négatif sur le développement des technologies alternatives aux énergies fossiles. Si ce programme, qui n’est pas exclusif à Trump, se concrétise, on aura, alors, un « cocktail molotov » géant au sein d’un géant et la déflagration pourrait affecter non seulement les États-unis, mais aussi, plus globalement, notre monde interdépendant.

Cependant, tout n’est pas encore joué. Il y a place pour des actions concertées de la société civile états-unienne et mondiale pour changer de route aux États-Unis et ailleurs. Trump est le clone grotesque d’autres Trump de bonnes manières, mais qui ne sont pas moins dangereux pour les citoyens, nos libertés et la source de toute vie : notre planète. L’autre côté de la médaille, l’autre monde possible, est en plein développement et citoyens et organisations construisent de nouveaux espaces de participation politique, économique et sociale basés sur la coopération, l’inclusion et le respect de la nature. Nous avons là déjà un bon point de départ qui doit s’amplifier pour déjouer les « trumperies » d’une démocratie et d’une économie en état de psychose.


Victor H. Ramos est anthropologue (Québec, Canada).
vhcamp19 chez gmail.com

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