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Lettre du Pôle Amérique latine, n° 78 - septembre 2009
PÉROU - Défense de la nature : la terre a besoin d’eau, pas du sang de ses fils
Brigitte Chevallay
mercredi 30 septembre 2009, mis en ligne par
À la suite de l’article d’Hilario Huanca sur le Dieu de l’Allin kawsay dans les Andes péruviennes (Lettre n°77 de juin 2009), le « Pôle Amérique latine » est heureux de présenter ici un apport d’un groupe de volontaires suisses, témoins depuis plusieurs années du réveil et de l’émergence des peuples indiens dans la société péruvienne et latino-américaine. Ils vivent depuis de longues années au milieu des communautés andines et amazoniennes. De nombreux dirigeants indiens les accompagnent pour « marcher ensemble sur les rudes chemins d’émancipation et de libération ».
Au mois de mai 2009, le mouvement indien « Abya Yala » organisa le 4e « Sommet continental des peuples et nationalités indiennes » à Puno, près des rives du lac sacré des Incas. Les trois premiers sommets indiens avaient eu lieu successivement au Mexique, en Équateur et au Guatemala.
Dans leur convocation, ils résument ainsi leur objectif : « Les voix originaires du continent s’uniront pour la défense commune de notre Terre Mère. Nous passons maintenant de la résistance à la construction du pouvoir indien. Nous avons démontré que nous avons des propositions pour la survie de toute l’humanité. Nous fortifierons nos racines pour nous projeter ensemble vers un futur de « Bien Vivre » - Vie saine et bonne – pour tous les humains. » Ces belles déclarations nous montrent un horizon encore lointain. Les chemins pour y arriver sont escarpés, longs, durs et souvent sanglants. Les conflits sociaux augmentent de jour en jour au Pérou : la « Defensoría del Pueblo », un organisme de défense des droits des gens, recense cette année 273 conflits, 141 de plus que l’année 2008. La plupart de ces conflits éclatent dans les Andes et dans la forêt. Les ethnies andines et amazoniennes ont de nombreuses raisons et de bons droits de protester contre les abus de pouvoir du gouvernement et les agressions dont elles sont victimes de la part des grandes entreprises minières et pétrolières. La plupart des conflits ont pour cause la contamination des terres, de l’air, de l’eau. Attenter à la terre de ces populations qui y vivent et la protègent depuis des millénaires, c’est attenter à leur vie.
Situations très difficiles dans les provinces hautes andines de Cusco
De longues protestations et des grèves des communautés paysannes ont eu lieu, mais qui n’ont pas obtenu gain de cause pour la plupart de leurs réclamations. Déjà, en novembre 2008, la province de Canchis de Sicuani était en grève. Durant 10 jours, les grévistes avaient coupé la route principale qui mène de Cusco à Puno. Le Premier ministre du gouvernement était venu à Sicuani pour dialoguer avec les dirigeants : il leur fit maintes promesses dont la plupart dorment du sommeil des injustes. Mais la violence put être évitée, malgré une minorité d’agitateurs politiques extrémistes qui voulaient que « le sang coule pour qu’on nous écoute en haut lieu » disent-ils. Il y a toujours des gens qui sont prêts à verser le sang, le sang des pauvres, rarement le leur. En juin dernier, les grèves, avec routes coupées, ont repris. Cette fois-ci, il y eut un paysan tué par balle et un policier blessé. Le Premier ministre revint à Sicuani : nouvelles promesses, nouvelles frustrations. Finalement la répression policière, la fatigue des gens – les piquets de grèves gardaient les routes jour et nuit, souvent par moins 5 à moins 10 degrés de froid – et la division entre les dirigeants, ont eu raison de la grève.
Le conflit le plus dur et le plus sanglant fut celui de la forêt amazonienne
Les protagonistes et les victimes de ce conflit furent des dizaines de communautés et d’ethnies, dont les jivaros, face aux entreprises et à la répression déprédatrice. Le gouvernement compta sur le temps pour fatiguer les grévistes et désamorcer le conflit. Promesses, menaces, répression, rien n’y fit pour briser la grève. Les Amazoniens coupèrent routes et fleuves, prirent en otage fonctionnaires d’entreprises et policiers. Le jour fatidique du 5 juin 2009, la police reçut l’ordre de rétablir l’ordre, mais quel ordre ? Les Indiens furent attaqués par terre, par air et par le fleuve avec le triste bilan de 10 grévistes tués par balles, de nombreux blessés et disparus, eux aussi probablement tués, selon l’information d’amis qui travaillent dans la région. Il y eut aussi 24 policiers assassinés par les grévistes, en représailles. Le gouvernement tarde à constituer une commission d’investigation neutre, pour connaître l’ampleur de ce massacre et les responsables. Le chargé spécial de l’ONU pour les affaires indiennes, dont le siège est à Genève, recommande la création d’une commission spéciale indépendante pour éclaircir ce qui s’est passé à Bagua, avec la participation des Indiens et d’autres institutions sociales et la présence d’observateurs internationaux. Dans le monde entier, beaucoup de gens sont sensibles à ce qui se passe en Amazonie et soutiennent les habitants de ces régions qui protègent leur terre, notre terre.
L’ampleur de ces conflits sociaux s’explique par l’affrontement entre deux modèles de développement
Le premier modèle est un développement qui respecte la nature et la biodiversité, avec les ressources médicinales et nutritionnelles de la forêt amazonienne, le poumon du monde, qu’il est essentiel de maintenir en état de bon fonctionnement, en ces temps de réchauffement de la planète.
L’autre modèle, d’exploitation des matières premières, minerai dans les Andes, gaz, pétrole et bois dans la forêt, sans respect pour la nature et sans consultation des populations qui vivent sur ces terres depuis des millénaires. Ce dernier modèle a été poussé à l’extrême au Pérou par le gouvernement ultra-néolibéral du président Alan García. Ce type de développement génère peu d’emplois et rapporte peu d’argent pour les Amazoniens, puisque gains et profits s’envolent et gonflent les comptes en banque des entreprises multinationales. Il cause des dégâts écologiques, souvent irréparables, qui affectent l’agriculture, la pêche, le mode de vie, la culture et la santé des populations amazoniennes.
La terre a besoin d’eau, pas du sang de ses fils
Pour le moment nous vivons une situation de relative tranquillité dans les Andes et dans la forêt. Le calme avant de nouvelles tempêtes ? La situation sociopolitique ressemble à notre situation géographique et géologique. Nous vivons dans une zone sismique, au milieu des volcans et près des plaques tectoniques qui s’entrechoquent au large de Nazca, dans l’océan Pacifique. Nous ne savons pas quand viendra le prochain tremblement de terre, ni son ampleur. Mais nous savons qu’il viendra. Nous construisons des maisons antisismiques.
Nous éduquons et accompagnons des hommes et des femmes, défenseurs de leurs droits, lutteurs pour la justice, qui refusent la violence. Le bon sens et la raison finiront bien par triompher, parce qu’il est de notre intérêt de défendre la nature et toutes les cultures de notre planète. Notre Terre Mère, la « Pachamama », a besoin d’eau pour les semailles et non du sang de ses fils.
Extrait du Bulletin d’information des amis du Sud Pérou, n° 42, septembre 2009.
Courriel de l’autrice : brigidachevallay[AT]hotmail.com
Lettre du Pôle Amérique latine, n° 78 - septembre 2009.
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