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Lettre du Pôle Amérique latine, n° 77 - juin 2009

PÉROU - Le Dieu de l’Allin kawsay dans les Andes

P. Hilario Huanca Mamani

mardi 30 juin 2009, mis en ligne par CEFAL

L’annonce de l’Évangile est faite à tous les peuples. La Bonne Nouvelle est accueillie par des communautés humaines différentes. Hilario Huanca, prêtre péruvien d’origine indienne nous parle de la culture de son peuple des Andes en dialogue avec la foi chrétienne.

Nous apprenons à rendre compte de notre foi

Au cours des 500 ans d’évangélisation au sein de nos peuples, les 50 dernières années sont importantes pour nous, parce que sont nées dans les Andes les premières Églises locales, comme celles de Juli, Sicuani et Ayaviri. Dans ces Églises, les responsables se sont proposé de former une « Église ayant un visage propre, c’est-à-dire andin ». Ces années ont été des temps significatifs d’expérience de foi, de récupération de la dignité d’êtres humains, et de reconstruction du tissu social andin. Nous sentir dans l’Église, comme faisant partie de la famille et non comme locataires. Et comme conséquence, le défi de dire « Notre parole » sur notre expérience de Dieu dans les Andes. Je signale également, que non seulement dans les Andes, mais aussi dans l’ensemble de l’Amérique latine et des Caraïbes, sont en train de surgir des témoignages de foi, propres aux peuples indigènes, connus sous le nom de « Théologie Indienne » (Lire Sagesse indigène, Alain Durand, Éd. du Cerf et Comment les Indiens m’ont converti, Samuel Ruiz, Éd. de l’Atelier).

Célébration chrétienne et rites andins (Photo : François Fritsch)

Allin kawsay dans le monde andin

L’univers andin comprend le monde d’en haut (« hanaq pacha »), le monde d’ici (« kay pacha ») et le monde d’en bas (« ukhu pacha »). Dans ce contexte, nous les Andins, nous considérons les différentes parties de notre monde comme un univers de réseau de relations, parce qu’une partie considérée individuellement, séparée du reste, n’a pas de sens, sinon seulement en relation avec les autres. Il existe une relation réciproque entre l’homme ou la femme avec leurs semblables, avec la nature et avec la divinité. Homme et Femme andins, nous nous réalisons comme des êtres humains authentiques dans la mesure où nous maintenons cette relation marquée par la réciprocité avec les autres éléments. Quand l’un de nous manque de cette relation avec un ou tous les éléments de l’univers, il est considéré comme « un orphelin », c’est-à-dire comme quelqu’un qui mène une vie infrahumaine.

Cette relation de mutuelle réciprocité crée un univers d’harmonie qui en définitive est l’« Allin kawsay » (vie pleine) qui est l’aspiration la plus grande des peuples andins. Cette vie pleine n’est pas la même que le « Qapaq kawsay » (vie riche), parce que l’on peut vivre dans l’abondance, mais ne pas mener pour autant une vie pleine. La vie pleine, pour nous les Andins, consiste à vivre en bonnes relations avec le reste des éléments de notre univers. Si nous voulons vivre dans une vie pleine, nous devons préserver notre relation avec nos semblables et pour cela sont importants le « Ayni » (aide mutuelle) ou la « Mink’a » (travail communautaire) ainsi qu’une relation respectueuse, de protection et de remerciement à la nature appelée « Pachamama » (terre mère qui fournit des vivres) et aux « Apus » (gardiens tutélaires de la vie), créatures de Dieu. Au début d’un travail qui est en lien avec la nature, dans les voyages au moment de partir ou d’arriver, dans les moments particuliers comme les semailles ou la récolte, on leur demande l’autorisation pour commencer le travail et on les remercie de leurs fruits, particulièrement en offrant le « Kintu » (offrande de coca) ou la « Cha’lla » (offrande d’alcool) ou en faisant de grandes offrandes à la terre mère. Et les prières, les pèlerinages et spécialement les fêtes religieuses sont les expressions privilégiées vécues avec la divinité.

Réception des offrandes du peuple andin au cours de la messe (Photo : François Fritsch)

Jésus-Christ dans le monde andin

Mais, qu’a donc à voir Jésus-Christ et son Dieu dans notre univers andin ? Nous devons signaler sans ambiguïté que, comme conséquence de l’évangélisation après tant d’années, nos dieux andins ont été remplacés par le Dieu chrétien. Au moins, dans notre ambiance andine, le Dieu chrétien est accepté comme l’élément central de ce réseau de relations ; et pour cela, toutes nos prières, nos danses, nos chants et surtout toutes les grandes fêtes ont comme orientation finale le Dieu chrétien. En définitive, le Dieu de Jésus-Christ est aujourd’hui pour nous les Andins, le Dieu Père, ayant un cœur de mère, source et sommet de ce réseau de relations, Jésus-Christ étant la révélation de ce Dieu. La croix est l’expression la plus grande de la présence proche de la divinité chrétienne dans le monde andin.

Être homme dans le monde andin

Une autre caractéristique du monde andin est la dualité. Tout élément a sa paire. Un de ces éléments est masculin/féminin. Pour cela, la femme ou l’homme andins accèdent à l’âge adulte non par l’âge chronologique mais quand ils se marient. Cet acte s’appelle le « Runachakuy », c’est-à-dire acquérir la condition d’« homme » ou de personne adulte ayant des droits et des devoirs dans la communauté. Un célibataire, bien qu’il soit adulte, est considéré comme un enfant.

Le fait de « Maki horqoy » (demander la main) est la cérémonie au cours de laquelle, le garçon, accompagné de ses parents et en présence des témoins demande aux parents de la fille qu’elle devienne son épouse. Cette cérémonie est le début de la vie conjugale du nouveau couple. Au moment du « Kunaykuy » (conseil) on demande à la femme d’être « K’oñi » (chaleur) de la maison, c’est-à-dire, celle qui prodigue la chaleur à la nouvelle famille ; alors que l’homme est le gardien qui veille pour la sécurité de la maison et procure son bien être. Le mariage religieux a son importance, non comme début de la vie conjugale, mais comme une bénédiction de la persévérance de la vie en couple.

Et tous les deux ont le devoir de participer et de veiller au bien-être de la communauté où ils résident. Ils participent aux travaux et aux organisations communales, d’abord comme assistant et, ensuite, s’ils en ont les capacités, comme autorité. Dans la communauté chrétienne également, il est demandé de participer aux tâches de la communauté, par exemple comme catéchistes, comme parrains dans la célébration des sacrements ou comme responsables de la fête religieuse de la communauté en assumant les frais qui en découlent.

Nous, les Andins, cheminons en semant et en célébrant la Vie

Actuellement, avec la globalisation, la vie devient chaque jour plus difficile pour nous les gens des Andes. La vie n’est plus sédentaire mais nomade. Il y a ceux qui ont décidé de rester dans leurs communautés d’origine, et ceux qui se voient obligés d’émigrer à la recherche de meilleures conditions de vie.

Ceux qui restent dans leur village sont condamnés à se défendre seuls dans la lutte pour la vie, parce qu’ils n’ont pas de ressources propres et qu’ils ne peuvent pas compter sur l’aide de l’État pour vivre une vie digne. Ils doivent même lutter contre l’État qui leur nie le droit de posséder la terre.

Et dans les grandes villes, où ils cherchent du travail, les Andins passent après les autres. Ils sont marginalisés.

Mais, dans les deux cas, nous les Andins de cœur, nous cheminons avec nos traditions en célébrant la vie malgré le fait d’avoir peu. Car la vie en plénitude, ne consiste pas à posséder la richesse, mais à maintenir la relation de réciprocité avec tous les éléments qui composent notre univers andin. Nous, les Andins nous continuons à avancer !


Traduction : Bertrand Jégouzo.


Lettre du Pôle Amérique latine, n° 77 - juin 2009.

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