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DIAL 3418

BOLIVIE - Tisser fin, en partant du féminisme communautaire. Chapitre 3

Julieta Paredes

lundi 31 juillet 2017, mis en ligne par Dial

DIAL a déjà publié deux entretiens avec la Bolivienne Julieta Paredes, l’un en 2012, l’autre en 2013 [1]. Cette fois-ci, reproduisant l’expérience faite l’année dernière avec le livre d’Ilka Oliva Corado, publié en plusieurs livraisons [2], nous publions entre le numéro de mai et celui de juillet un bref ouvrage publié en 2010 et intitulé en espagnol Hilando fino : desde el feminismo comunitario (La Paz, communauté Mujeres Creando Comunidad, avec le soutien de la Deutsche Entwicklungsdienst - Bolivie). Cela permettra d’avoir une compréhension plus fine de l’idée de féminisme communautaire qu’elle propose. L’ouvrage est composé d’une présentation, non reprise ici, d’une introduction, de 3 chapitres et de conclusions. Le premier et deuxième chapitre ont paru dans les numéros de mai et juin 2017. Nous publions dans ce numéro le troisième chapitre, ci-dessous, et les conclusions.


Chapitre 3 - Le moment est venu !

Notre proposition inclut différents champs d’action et de lutte qui sont autant de catégories pour l’action politique de consolidation des organisations de femmes.

Les champs d’action et de lutte politique nous permettront de transformer les conditions matérielles de subordination et d’exploitation des femmes dans nos communautés et nos sociétés.

Nous avons élaboré un cadre conceptuel de référence qui articule les concepts et les catégories dans une relation dynamique qui nous permet de comprendre les processus de changement comme une combinaison nécessaire de différents aspects de la vie. Dans ce cas précis, ils sont au nombre de cinq, sont valables pour toutes les femmes et doivent se réaliser conjointement.

Nous nous sommes proposé de dépasser la vision néolibérale de travailler uniquement avec des indicateurs qui, en outre, ont été des indicateurs réductionnistes, isolés les uns des autres, classistes, et racistes. Pour quelle raison affirmons-nous cela ? Parce que pour l’obtention de ces indicateurs, la population était consultée selon sa classe sociale. Par exemple les indicateurs concernant la santé maternelle et infantile, la violence et l’éducation primaire étaient destinés aux femmes appauvries et indiennes ; mais l’indicateur de participation politique était pour les femmes de classes moyennes et supérieures élevées par le néolibéralisme au rang de représentantes toutes les femmes. C’est ainsi que dans les rapports internationaux des gouvernements néolibéraux, nous, les femmes de Bolivie, étions bien mal en point ; mais nous avions heureusement notre petit pourcentage de représentation politique.

Notre cadre conceptuel est dynamique et interactif, car les femmes pourront constamment l’enrichir. Il offre des possibilités interactives de construction et d’appropriation à des femmes de diverses organisations sociales qui peuvent mettre ce cadre conceptuel dans le panier de leurs propres réalités et de leurs revendications spécifiques et s’en servir comme un apport aux solutions à partir de leur réalité propre et les défendre contre toute menace.

3.1. Les corps

Le corps est la forme d’existence de chaque être humain.e. Le corps que possède chacune et chacun nous situe dans le monde et dans les relations sociales que le monde a construit avant notre arrivée. En tant que femmes, la première chose que nous voulons mettre en évidence est que nos corps sont sexués, ce fait est à la base de la façon de concevoir nos corps. Sur cette base s’ajoute ensuite les autres différences et diversités, comme les couleurs de peau, les tailles, les corpulences… Cela inclut les caractéristiques qui constituent les différentes races, ethnies et peuples de l’humanité. La peau constitue la limite individuelle de nos corps et nous faisons respecter les frontières quand nous le décidons, par exemple, face à la violence, le racisme ou la discrimination.

Nos corps sont bien sûr en mesure d’établir différentes relations, relations d’amitié, d’amour, d’érotisme, relations à la nature, la transcendance, la connaissance, la production. Mais de toutes les relations que nos corps établissent, certaines conditionnent nos vies et notre existence de manière très négative et cherchent à nous détruire – il s’agit des relations de pouvoir. Nos corps sont le lieu où les relations de pouvoir vont chercher à nous marquer à vie mais ils sont aussi le lieu de la liberté et non de la répression.

Parmi leurs attributs, nos corps ont une existence individuelle et collective en même temps. Ils évoluent dans trois domaines : la quotidienneté, la biographie individuelle et l’histoire de nos peuples.

Dans les communautés et sociétés, nos corps construisent des images d’eux-mêmes qui se projettent sur les plans social, politique et culturel. L’idéal serait que nous puissions construire ces images de nos corps dans la liberté, le respect, les affects et les complémentarités mais ce n’est pas le cas. Ces représentations de nous-mêmes sont empreintes de machisme, de racisme et de classisme ; c’est le monde dans lequel nous arrivons mais c’est aussi celui que nous construisons et transformons.

Pour proposer nos 5 champs d’action et de lutte des femmes à partir des communautés rurales et urbaines nous avons voulu partir du corps comme premier champ d’action et de lutte à partir de la base même de l’existence.

Pour décoloniser le concept et les sentiments du corps il faut nous libérer de cette conception scindée et schizophrénique qui met l’âme d’un côté et le corps de l’autre – conception héritée de la colonie. Nous, nous partons du corps comme corporalité intégrale, qui va de la biogénétique à l’énergétique, de l’affectivité à la créativité en passant par la sensibilité, les sentiments, l’érotisme, la spiritualité, la sensualité.

Nos corps qui apprécient de bien manger, d’être sains, qui aiment les caresses et souffrent sous les coups, qui veulent avoir du temps pour connaître et élaborer des théories – nous voulons nommer les choses en partant de nous et avec le son de notre propre voix.

Nous voulons construire avec nos corps des mouvements sociaux et politiques qui recueillent les propositions et rassemblent nos rêves et nos espoirs.

Nos corps nous invitent à récupérer nos énergies et notre santé. Nous voulons nous regarder dans le miroir et aimer nos formes corporelles, nos couleurs de peau et de cheveux, car nous en avons assez d’une esthétique coloniale du blanc comme canon du beau. Nous sommes fatiguées du spectacle frivole de ces corps qui s’exhibent pour la consommation machiste, éléments qui participent du culte de l’apparence que le néocolonialisme a installé. C’est en partant de nos corps sexués que les hommes font de nous leur objet et que les oligarques nous exploitent à outrance.

Ce n’est pas la même chose d’avoir un corps de femme ou un corps d’homme, cela ne signifie pas la même chose dans nos communautés et nos sociétés – nous voulons que notre peuple reconnaisse qu’il en est ainsi. Nous voulons conduire des actions qui, au sein des processus de changement, soient synonymes d’allégresse et de bonheur pour nos corps de femmes.

Je poursuis avec une liste d’interventions sociales possibles en partant du corps, qui peuvent se traduire en indicateurs des communautés, indicateurs sectoriels, indicateurs de politiques publiques :

Corps

 Santé, non-violence

 Bien manger, sécurité alimentaire

 Information et connaissance

 Plaisir et sexualité sans violence

 Maternité librement choisie

 Reconnaissance de nos beautés indiennes

 Bien s’habiller, comme il nous plaît

 Absence de discrimination et de racisme

 Ne pas avoir peur d’être lesbiennes

 Absence de discrimination des handicapées

 Nous représenter politiquement avec nos corps de femmes

 Exercice physique, repos

 Droit d’avoir son âge, d’être une enfant, une jeune fille, une personne âgée

 Renforcer les compétences

 Récupérer notre propre image dans les médias

3.2. Espace

Nous concevons l’espace comme un champ vital pour que le corps se développe. L’espace est le lieu où la vie se meut et se promeut. Certains lieux sont habituellement considérés comme des espaces de développement de la personne, comme la maison, la terre, l’école, la rue, conçues comme parties de l’espace public et de l’espace privé. Il y a par ailleurs les lieux de production et de satisfaction des besoins quotidiens, l’espace de la communauté avec sa terre commune, le territoire, la fabrique, l’atelier ou le quartier, dans lequel s’organise la vie communautaire dans les villes.

L’espace comprend ce qui est tangible, c’est-à-dire ce que l’on peut toucher comme ce que j’ai cité précédemment, et l’intangible, qui existe mais ne peut pas se toucher comme, par exemple, l’espace politique ou l’espace culturel mais aussi l’espace où s’imaginent, se prennent et se développent les décisions politiques.

L’espace comprend aussi le paysage et la géographie comme un contexte qui enveloppe les jours et les nuits des femmes.

Notre espace et ses deux enveloppes

Il faut préciser que nous parlons d’enveloppes et non de lignes verticales et horizontales : notre objectif est de conceptualiser l’espace comme contenant de vie.

Dans nos cultures l’espace n’est pas seulement l’extension horizontale du sol, il se déploie aussi vers le haut et vers le bas.

Selon notre lecture, l’espace inclut ces deux déploiements, l’un horizontal et l’autre vertical, comme deux enveloppes qui essayent d’embrasser et d’inclure tout ce qui favorise la vie et qui nous donnent en outre les dimensions au sein desquelles se trouve la communauté, qui est le lieu d’où les femmes et les hommes nous parlent et le lieu d’où nous parlons avec la communauté.

L’une est l’enveloppe verticale, qui comprend trois lieux situés verticalement, l’En haut, l’Ici et l’En bas.

L’En haut, Alax Pacha en aymara, est l’espace qui se situe au-dessus de la communauté. Cet espace est en rapport avec l’espace aérien, l’espace des communications, des télécommunications et de la communication satellitaire. C’est le lieu où se manifeste la pollution, le lieu du trou dans la couche d’ozone. Mais c’est aussi là que nous trouvons, dans l’infini inconnu, les fleuves et les cascades d’étoiles et la Croix du sud qui nous oriente en se déplaçant, à la différence de l’étoile polaire qui est fixe et toute tranquille. En même temps cet espace d’en haut recèle un fort contenu de mystère qui parfois menace notre vulnérabilité.

L’Ici, Aka pacha, c’est l’espace où nous, les personnes des communautés, nous trouvons et nous déplaçons. C’est l’espace dans lequel nous ressentons la corporalité de l’existence de notre espace en tant que femmes ; où nous pouvons fouler le sol, bouger, nous déplacer et construire des mouvements. C’est l’espace qui, en son sens vertical d’enveloppe, nous connecte avec le monde d’en haut et le monde d’en bas qui sont trois espaces contemporains. C’est le lieu où nous réfléchissons et prenons des décisions.

Finalement l’espace d’En bas, Manqha pacha est l’espace où se trouvent nos ancêtres, les graines, les racines, les ressources naturelles comme le gaz et le pétrole, les eaux thermales et la chaleur de la terre, les minéraux et les animaux souterrains, ainsi que les énergies et la sève que nous donne la pachamama.

Cette enveloppe verticale nous parle de la complémentarité et réciprocité avec la Terre Mère et le Cosmos ; elle nous met face aux responsabilités qui sont les nôtres en tant que communautés pour son harmonie et son équilibre.

Une autre enveloppe est celle de l’enveloppe horizontale de l’espace qui englobe l’étendue de la terre et du territoire de la communauté jusqu’à leurs limites. C’est dans cette enveloppe horizontale que nous voulons recueillir ce qui signifie être femme et homme dans les communautés et remettre en question le concept même de communauté que nos frères mobilisent dans les discours et pratiques indianistes du gouvernement lui-même. C’est le lieu où la paire complémentaire définit sa terre et son territoire, comme partie de la communauté, certes, mais sachant aussi que les femmes doivent définir la moitié qui leur revient.

C’est ici que prend sens la communauté, les autonomies indiennes, municipales, départementales et où l’on peut comprendre finalement ce qu’est l’État communautaire.

C’est l’espace du territoire, c’est-à-dire le lieu des décisions politiques sur les espaces de la communauté et les intérêts du pays, comme cela s’est produit en octobre 2003 [3]

C’est le lieu où nous pouvons comprendre ce que sont la complémentarité, l’autonomie et la réciprocité entre celles et ceux qui vivent en communautés, que ces communautés soient rurales ou des communautés urbaines de Bolivie où vivent des sœurs et des frères. C’est dans cet espace horizontal que nous allons comprendre les relations avec d’autres communautés qui vivent dans les villes d’autres pays du fait des migrations. Bref, cet espace est un tissu de complémentarités, réciprocités, autonomies et interculturalités.

Espace pour les femmes

 Terre et territoire

 Logement

 Espace à l’intérieur du logement

 Rue

 Ressources naturelles

 Politique

 Production

 Économie et crédits

 Justice

 Connaissance

 Pouvoirs

 Récréation

 Migrations

 Autonomies

 De tranquillité

3.3. Le temps

Le temps est une condition de la vie, car la vie des personnes n’est pas intemporelle. Au contraire, la vie a une temporalité, qui s’exprime dans les formes que prend le corps, et où vieillir n’est pas nécessairement négatif. La vie qui court grâce au mouvement de la nature et aux actes conscients est sentie et perçue comme temps. Mais le temps est aussi une mesure très utile dans la perception de nous-mêmes, en tant que femmes qui sommes venues au monde pour vivre bien : nous ne pouvons donc pas passer le temps de notre vie à souffrir et être malheureuses.

Mesurer n’est pas uniquement une notion occidentale. Dans nos cultures aussi, nos grand- mères ont inventé des mesures et parmi elles, celles du temps, fondamentalement régi par les travaux agricoles. Le temps pour nous est un intervalle, pas une grande aiguille ou une trotteuse, c’est une durée pendant laquelle nous évaluer et nous poser des questions du type : Qu’en est-il de nos vies ?

La mesure du temps nous fait face et nous pose problème, nous dit que nous ne sommes pas éternelles et qu’un jour nous mourrons. Prendre conscience de nos temps ouvre des espaces pour initier des processus de transformation de notre quotidienneté et de notre propre histoire.

La vision, cyclique et ancrée dans l’espace, du temps que l’on retrouve habituellement dans les communautés, s’applique de deux manières dans la réalité concrète des corps. Il y a un temps pour les hommes, c’est le temps important, où ceux-ci sont privilégiés. Il y a aussi le temps des femmes, considéré comme un temps non important. C’est pour cette raison que le temps des femmes est aspiré par celui des hommes.

Ce temps considéré « non important » que vivent les femmes est cependant un temps où sont effectuées des activités indispensables, c’est-à-dire très importantes pour la vie, toutes nécessaires pour prendre soin de la vie des hommes et des femmes de la communauté. Les femmes sont donc absorbées et dévorées par ce temps que le patriarcat désigne comme « non important ».

Les conséquences de ces logiques de pensée se reflètent dans l’aliénation complète des femmes, contraintes à des tâches ennuyeuses et répétitives du quotidien comme laver, faire la cuisine, s’occuper des wawas. L’espace est là, nous pouvons le voir et le toucher, mais le temps s’évanouit de nos corps et de nos mains. La réflexion que nous proposons sur le temps est vitale dans la mesure où la vie s’en va minute après minute et qu’il y a des moments où il faut envisager des formes sociales d’actions pour mettre fin à cette situation et récupérer le temps des femmes.

Les conceptions du temps dans une société patriarcale ont établi que ce qui occupe l’homme – le temps de l’homme – est plus valorisé, quoi qu’il fasse, la société aurait du mal à considérer qu’il perd son temps. Les temps des femmes, en revanche, sont perçus comme secondaires, peu importants et pour cette raison moins rémunérés. On entend ainsi souvent dire que les femmes ne font rien, qu’elles perdent leur temps.

Dans la catégorie temps, nous incluons le concept de quotidienneté comme un mouvement cyclique sans lequel la vie ne pourrait pas continuer. Ce temps est cyclique et répétitif mais cela ne suppose pas pour autant qu’il est en soi nécessairement ennuyeux et sans créativité. Tout dépend de la manière dont la femme et l’homme s’inscrivent dans ce temps quotidien. Il est certain cependant que, s’il constitue une charge horaire sans reconnaissance ni valorisation productive qui pèse sur les épaules des femmes, il se convertit en une condamnation quotidienne et gratuite.

La logique patriarcale conçoit le quotidien comme secondaire, ennuyeux et sans transcendance ; on l’assigne donc à la femme. À l’inverse, ce qui est considéré historique, transcendant et important, on l’assigne à l’homme. Dans notre conception, la quotidienneté et l’« historique » sont un continuum, sont des parties de la vie qui s’alimentent entre elles.

Temps pour les femmes

 Partager le travail domestique

 Évaluer et valoriser économiquement le travail domestique

 Pour la participation politique

 Pour étudier

 Pour la santé

 Pour la maternité

 Pour se reposer

3.4. Mouvement (organisations et propositions politiques)

Le mouvement est une des propriétés de la vie qui assure ainsi sa pérennité en construisant organisation et propositions sociales. Le mouvement nous permet de construire un corps social, un corps commun qui lutte pour vivre et vivre bien. Toute chose en vie est en mouvement, toute chose en mouvement est en vie.

Cette catégorie politique va nous permettre de nous emparer de nos rêves et de nous rendre responsables de nos actions politiques en tant que femmes. C’est la qualité de vie que nous désirons.

Le mouvement nous garantit que les droits conquis ne deviennent pas des institutions pesantes qui étouffent les utopies pour lesquelles nous luttons.

Le mouvement se déploie en différents moments, il commence par une chose et se termine par une autre, c’est une succession de conquêtes et d’avancées. Ainsi, chaque fin est transitoire, chaque fin est un nouveau début.

Notre catégorie de mouvement porte en son sein quelque chose de beaucoup plus important qui le définit en chemin : ce sont les processus qui interviennent en cours de route. Si ces processus sont empreints, par exemple, de racisme et de corruption, on retrouvera ces éléments dans le mouvement que nous aurons construit dont le racisme et la corruption vont se retourner contre nous. Considérons, par exemple, les comités civiques de Santa Cruz : leur mode d’action violent, corrompu, fasciste et raciste s’est retourné ultérieurement contre eux en attaques et violences qu’ils ne pouvaient plus contrôler.

Le mouvement, dans une autre de ses potentialités, situe la communauté vis-à-vis des relations de pouvoir et des possibilités de rendre effectives ses décisions : autant de fils que les femmes de la communauté tissent en mobilisant tactiques et stratégies.

Il faut évoquer aussi le contenu relationnel du mouvement, qui ne se concerne pas les femmes d’une seule communauté mais plutôt les femmes en communauté en relation aux autres communautés et institutions.

Est bien sûr présente ici la vision de pays que nous avons, nous les femmes, comme relation à un tout plus grand, avec lequel nous nous identifions et à partir duquel nous agissons. Ce tout n’est pas fermé non plus, par des frontières comme des murailles : c’est un tout partiel pour agir maintenant, un tout qui nous permet d’agir et de mesurer la taille de nos actions au niveau régional et international. Le mouvement nous donne la sensation d’être vivantes, prenant soin de la vie et la projetant vers l’avenir. Le mouvement est le lieu de la réappropriation des rêves.

Mouvement

 Organisations propres

 Garantie des droits

 Formes d’organisations

 Porte-paroles, dirigeantes et médiatrices

 Représentation et autoreprésentation

 Propositions : corporatives et spécifiques ; politiques municipales ; politiques départementales ; politiques régionales ; politiques nationales

 Alliances entre organisations de femmes

 Complémentarité horizontale entre femmes

 Alliances avec d’autres mouvements sociaux

3.5. La mémoire

Nous entendons cette catégorie dans le sens des racines, des origines, qui sont uniques, propres à ce lieu ; c’est toute cette force et cette énergie qui construit notre identité avant même notre naissance. C’est la mémoire qui nous relie à nos ancêtres, c’est cette forme de vie qui a pris corps sur ces terres et n’est pas répétable. Nous pouvons ressembler à d’autres femmes mais il y a des choses qui sont uniques : la mémoire va donc nous conduire à trouver avec sagesse ce qui est unique et ce qui est semblable. C’est alors l’information, la qualité de l’énergie, la nouveauté des expériences de ces terres qui nous permettent d’apporter des savoirs à l’ensemble de l’humanité.

En tant que femmes, nous entendons la mémoire comme cette poursuite des utopies depuis des temps ancestraux, comme l’expérience, chemin faisant, de frustrations et de succès qui constituent la matière, la sève des racines dont nous sommes issues.

Le concept de mémoire longue, que l’indianisme utilise, nous renvoie de façon acritique à l’époque précoloniale, comme à un temps idyllique, un monde presque parfait pour les femmes avant le malheur de la colonisation. Cette mémoire longue est intéressée car si elle nous donne la fierté et la dignité d’être des personnes appartenant à des peuples riches de cultures et de réussites, comme tout autre peuple, elle est en même temps sélective quand elle se refuse reconnaître les patriarcalismes, les oppressions, les autoritarismes et les injustices hérités qui étaient bien sûr aussi présents dans les sociétés précoloniales. Il faut dépatriarcaliser la mémoire et reconnaître qu’il y a eu un patriarcat précolonial et que la situation des femmes n’est pas due seulement à l’arrivée des Espagnols et à la colonie.

La mémoire nous parle d’où nous venons, quels problèmes, quelles luttes ont eu lieu en chemin, de pourquoi nous les femmes nous en sommes là où nous en sommes, qu’avant aussi, il y a eu des femmes rebelles. Elle nous permet de nous souvenir des résistances antipatriarcales de femmes de nos communautés, de reconnaître celles qui vivent aujourd’hui encore, quelques-unes très âgées, dans nos communautés, de les estimer et d’estimer leurs apports à nos luttes de femmes.

La mémoire nous raconte les savoirs de nos grand-mères et arrière-grand-mères, les précieuses contributions techniques, biotechnologiques et scientifiques qu’elles ont apportées à nos peuples et à l’humanité : savoirs touchant à la construction des maisons, la sécurité alimentaire, l’alimentation saine, la confection des vêtements, la formation et l’éducation des wawas, la musique, la poésie. C’est, enfin toute la richesse des connaissances de nos ancêtres que nous devons aujourd’hui récupérer tout en produisant de notre côté d’autres connaissances pour l’avenir heureux de nos peuples.

Mémoire des femmes

 Sagesses des femmes

 Production

 Santé

 Construction des maisons

 Organisation

 Luttes et mouvements sociaux

 Participation politique

 Participation aux rituels

 Participation à l’éducation

 Recherches sur l’époque précoloniale

 Récupération des langues originaires en partant des femmes

 Droit d’étudier maintenant pour écrire et apporter des connaissances

>> Lire les conclusions.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3418.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Julieta Paredes, Hilando fino : desde el feminismo comunitario, La Paz, communauté Mujeres Creando Comunidad, avec le soutien de la Deutsche Entwicklungsdienst(DED) - Bolivie, 2010, chapitre 3 (p. 36-48).

En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[3En 2003, la découverte d’un gisement de gaz naturel dans le département de Tarija, au sud-est du pays, catalyse une série de mobilisations qui ont été nommées la « guerre du gaz ». Elles culminent à l’automne 2003 avec le blocage de la capitale administrative La Paz puis la chute du président Gonzalo Sánchez de Lozada le 17 octobre 2003 – NdT.

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