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CUBA - La prison de Guantánamo : 22 ans d’horreur, de tortures et d’impunité des États-Unis

Aram Arahonian

mardi 30 avril 2024, mis en ligne par Dial

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Le journaliste uruguayen Arham Arahonian, fondateur de Telesur et directeur du Centre latino-américain d’Analyse stratégique (CLAE), nous rappelle que la prison de Guantánamo, dont on a beaucoup parlé dans les mois qui ont suivi le 11 septembre 2001, existe toujours et que des détenus y sont toujours enfermés et n’ont, dans leur grande majorité, jamais été jugés. Article publié sur le site Meer le 13 février 2024.


Cela fait vingt-deux ans cette année qu’a été créée l’infâme prison de Guantánamo sur le territoire occupé illégalement par les États-Unis à Cuba. En 2002, le président états-unien d’alors, George W. Bush, a ouvert la prison et cela fait treize ans que le président Barack Obama a signé l’ordre de son démantèlement, mais ce camp de concentration est toujours en activité.

Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, les États-Unis ont décidé d’ouvrir un centre de détention sur la base navale états-unienne de Guantánamo, à Cuba. Le gouvernement des États-Unis a estimé que maintenir les détenus hors du territoire états-unien priverait les cours fédérales de juridiction concernant les plaintes des détenus. Sept ans après, ce principe a été décrété inconstitutionnel.

L’ancien président Obama a déclaré que Guantánamo « est une installation qui n’aurait jamais dû être ouverte (et) qui est devenue pour le monde entier le symbole que les États-Unis font fi de l’État de droit » mais ne l’a pas fermée pour autant. Le fait qu’un État doive faire face au terrorisme ne doit pas conduire à restreindre la protection de l’intégrité physique de la personne.

Loin d’être un symbole de la démocratie, la Maison-Blanche est devenue l’emblème de la violation des droits humains. Vingt-deux ans plus tard un groupe d’activistes continue à dénoncer l’existence et le mode opératoire de cette prison infâme qu’est Guantánamo, un territoire illégalement occupé par les États-Unis sur l’île de Cuba et qui sert de centre de tortures et de l’horreur.

La Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a indiqué que le gouvernement des États-Unis a autorisé l’usage de « techniques renforcées d’interrogatoires » qui comprennent le strict confinement, la technique du mur, les positions stressantes, la privation de sommeil, la « baignoire [1] », la privation sensorielle, les coups violents, les décharges électriques, l’hypothermie, l’enfermement de la tête dans un sac plastique, entre autres types de tortures.

Deux mois après l’ouverture des installations à Guantánamo, la CIDH a été la première instance internationale à appeler les États-Unis à prendre des mesures urgentes pour respecter les droits fondamentaux des détenus et le premier organe quasi juridictionnel à demander la fermeture de Guantánamo.

L’alimentation forcée a été utilisée lors des grèves de la faim décidées par les prisonniers pour protester. Un juge états-unien a décrit l’alimentation forcée comme un « processus douloureux, humiliant et dégradant ». Adnan Farhan Abdul Latif, qui a décrit l’alimentation forcée en disant que c’était comme « si on te mettait un poignard dans la gorge », s’est suicidé à Guantánamo en 2012.

Depuis 2002, plus de 779 personnes sont passées par ces installations. Sous le prétexte de la soi-disant « Guerre contre le terrorisme » et plus tard sous le prétexte de la Sécurité nationale, le gouvernement des États-Unis inflige la mort, la torture et le terrorisme d’État. Un scénario que les grands médias préfèrent taire. Trente hommes musulmans d’un certain âge, brisés physiquement et psychologiquement, sont toujours détenus dans cette prison-camp de concentration.

Les détenus, pour 93% d’entre eux, n’ont pas été arrêtés par les États-Unis mais vendus ou livrés en échange de récompenses en argent. Vingt-deux enfants et adolescents y ont été détenus : Omar Khadr, 15 ans, à qui on a refusé des soins médicaux, a été enfermé dans une cellule avec des chiens féroces, menacé d’abus sexuels et a eu la tête couverte d’un sac en plastique.

L’amendement Platt

Un an avant la déclaration d’indépendance de Cuba, le Congrès des États-Unis a voté la Loi des budgets de l’armée des États-Unis. Cette loi comportait un addendum, l’amendement Platt. Ce texte, conçu par le sénateur Orville H. Platt, a aussi été ajouté à la constitution de Cuba, rédigée en 1901. Il octroyait le droit aux États-Unis d’intervenir militairement à Cuba chaque fois qu’ils le jugeraient opportun, ce qui impliquait une plus grande influence sur le quotidien politique de l’île.

Les États-Unis ont ciblé un bout de terre particulier : la baie de Guantánamo, à 945 kilomètres de La Havane, presque à l’extrême sud est de l’île. Ils ont signé un contrat de location pour ce territoire de 117 kilomètres carrés entre la terre ferme, la mer et des marécages et en ont fait une extension de leur territoire où ils ont construit une base navale qu’ils ont entourée de toutes sortes de commerces.

Au cours de son histoire s’y sont installés McDonald’s, KFC, Starbucks, Pizza Hut et Taco Bell. La présence états-unienne a détonné encore plus à partir du 1er janvier 1959, quand a triomphé la révolution cubaine. Depuis 1903, les États-Unis ont payé à Cuba une somme d’environ 2000 dollars par an pour la location de Guantánamo.

En 1973, après une sorte de réévaluation interne, un ajustement auquel n’ont pas pris part les autorités cubaines, le montant de la location a été revu et fixé à 4085 dollars par an. En 1959, après la révolution, Fidel Castro cessa d’encaisser les chèques pour signifier son rejet de l’occupation illégale de la baie.

Les gouvernements successifs des États-Unis – tant républicains que démocrates – n’ont pas écouté les critiques internationales, touchant principalement aux droits humains, qui disaient que la prison de Guantánamo fonctionnait comme « un trou noir légal ».

Le ministre des affaires étrangères cubain, Bruno Rodríguez, a demandé à Washington la fermeture de la base navale états-unienne et la restitution de ce territoire occupé illégalement sur l’île. Il a également dénoncé la permanence dans cette prison de 30 prisonniers détenus de façon arbitraire, sans jugement ou procès, victimes de tortures et de traitements humiliants qui violent les droits humains.

La base

La base navale de Guantánamo couvre une superficie de 117,6 kilomètres carrés du territoire national de Cuba, usurpés depuis 1903 contre la volonté de son peuple. L’enclave militaire a initié ses opérations en décembre 1903 comme lieu d’entraînement et de préparation de la flotte états-unienne.

Année après année le gouvernement cubain réitère son opposition à la présence militaire états-unienne à Cuba et réclame que ce territoire de la province de Guantánamo illégalement occupé lui soit restitué. Une évaluation faite par les Nations unies de cette prison militaire sur un territoire occupé illégalement a estimé, en juin dernier, que sa fermeture est urgente en raison des injustices qui y sont commises.

La rapporteure spéciale de la protection des droits humains dans la lutte contre le terrorisme, Fionnuala Ní Aoláin, a rencontré certains de ces prisonniers lors d’une visite des lieux et a constaté tout ce qu’ils endurent constamment en raison de la pratique systématique de la torture et de la détention arbitraire.

Elle a expliqué, dans un communiqué que « pour beaucoup d’entre eux, la ligne de séparation entre le passé et le présent est extrêmement fine et que les expériences anciennes de torture survivent encore dans le présent, sans qu’ils en entrevoient la fin ». La rapporteure spéciale a appelé le gouvernement des États-Unis à s’engager à rendre des comptes pour toutes ces violations du droit international. « Le moment est venu de se défaire de cet héritage de lois d’exception et de discriminations qui perdurent avec le maintien de l’existence de Guantánamo », a-t-elle déclaré.

Mais que peut-on attendre d’un gouvernement et d’une administration qui finance et soutient ouvertement le génocide et un nouvel interventionnisme belliciste ? Au Yémen cette fois-ci, un des pays les plus pauvres au monde. En ce sens, Guantánamo, la torture, ses abus et son histoire tragique, ne sont qu’une facette de la manière dont les États-Unis ignorent l’existence des droits humains et du droit international

La base navale états-unienne de Guantánamo a des airs de cinéma. Son accès à partir de l’aéroport, par un ferry qui traverse la baie aux eaux cristallines, dans un paysage de carte postale, la zone résidentielle, avec son terrain de baseball, son McDonald’s, le pub irlandais et ses cinémas de plein air, pourraient être une version tropicale de la petite ville de province de Retour vers le futur.

Mais les barrières qui en interdisent l’accès, les points de contrôle et les patrouilles permanentes de la police militaire rappellent que derrière les murs se cache une cruelle réalité. Dissimulée à la vue, séparée physiquement du reste de la base et peu mentionnée dans les médias, la prison de Guantánamo, synonyme de certains des pires abus des États-Unis dans sa prétendue guerre contre le terrorisme, est toujours ouverte.

Jusqu’à 779 hommes musulmans ont été arrêtés et transférés en secret vers cette prison, menottés et encapuchonnés. C’est George W. Bush, alors président, qui a ordonné sa création en réponse aux attentats du 11 septembre 2001, pour y loger des terroristes « combattants ennemis », sans obligation de leur offrir les garanties auxquelles pourrait prétendre tout prisonnier sur le sol états-unien.

L’immense majorité des prisonniers n’avait rien à voir avec ces attaques, le réseau d’Al-Qaïda ou le terrorisme islamique. Nombre d’entre eux ont été vendus contre une poignée de dollars à la CIA. Chacun d’entre eux, souligne la rapporteure de l’ONU pour les droits humains et le contre-terrorisme, Fionnuala Ní Aolaín, dans son rapport publié en juin dernier, « a vécu ou vit une expérience unique et indélébile de traumatismes psychologiques et physiques après avoir subi de graves abus de ses droits humains ».

Le « terrorisme » islamique

La peur d’une attaque subite de terrorisme islamique sur ce coin du territoire cubain a disparu. Les patrouilles navales de soldats armés de fusils d’assaut qui sillonnaient les eaux et qui en étaient une des images les plus visibles viennent d’être supprimées. Sur cette base où résident près de 6000 personnes – civils et militaires – 800 d’entre eux exercent une activité qui concerne la prison. C’est la moitié de celles qui y étaient il y a trois ans mais cela donne un rapport de presque 27 personnes pour chaque prisonnier.

Guantánamo coûte aux États-Unis 13 millions de dollars (11,8 millions d’euros) par prisonnier, c’est sans aucun doute la prison la plus chère du monde. Il n’est pas permis d’y photographier aucun militaire, ni aucun type d’infrastructure. De nombreux soldats ne veulent pas qu’on sache qu’ils y assurent un service : ils en ont honte.

« Peut-être que le nom de Guantánamo résonnera à jamais comme le synonyme de l’usage systématique des arrestations illégales (redditions), de la torture et de la détention arbitraire », déclarait Ní Aolaín lors d’une conférence de presse à New York.

Le camp Rayons X est un rappel permanent de tout ce qui s’est passé. Dans le nord-ouest de la base, il a été la première prison qui y a été construite. Elle a été édifiée très vite. Le résultat : des cages d’à peine deux mètres sur deux, à ciel ouvert, sous le soleil impitoyable de la Caraïbe. Dans chacune d’entre elles deux seaux, l’un pour l’eau, l’autre pour les matières fécales. Et rien d’autre. Il a été utilisé durant quatre mois avant que les prisonniers soient transférés vers des structures plus pérennes.

Actuellement c’est un camp abandonné que les médias peuvent seulement voir de loin. Une épaisse clôture de barbelés sépare encore les différentes zones. On distingue les toitures des tours de surveillance, des cellules et des salles d’interrogatoire – « des caisses de bois, comme les décrit Mark Fallon, ancien enquêteur sur Al-Qaïda, à l’époque la plus brutale et qui en son temps dénonça les tortures auprès des autorités.

« La réponse a été l’usage et l’abus généralisé de la torture, les simulations d’étouffement (le sous-marin), les coups redoublés, la privation extrême de sommeil, les viols anaux ».

Mark Fallon, alors chef de l’unité d’enquête à Guantánamo, confirmait récemment dans son témoignage devant un tribunal l’existence d’une culture de la maltraitance qui s’était généralisée à partir de l’été 2002 au sein d’une unité de l’intelligence militaire.

Il dénonçait la volonté de provoquer une désorientation extrême, l’intimidation par l’emploi de chiens, le maintien forcé dans des positions douloureuses. L’interruption du sommeil était « la routine à l’intérieur du camp », déclarait ce témoin devant le tribunal militaire lors d’une audience préliminaire – là aussi dans une zone fermée et isolée du reste de la base, le camp Justice – sur l’affaire Abdelrahman al Nashiri, soupçonné d’avoir perpétré l’attentat contre le destroyer USS Cole, en 2000, qui s’est soldé par 17 morts et 40 blessés dans les eaux proches du Yémen, pays que les États-Unis bombardent actuellement.

« La prison de Guantánamo reste ouverte non pas pour ce que ces gens nous ont fait à nous. Elle reste ouverte pour ce que nous leur avons fait subir » a déclaré Fallon. « Le gouvernement cherche à cacher, à couvrir de marqueur noir et à classifier toutes les choses qui obligeraient à rendre des comptes ceux qui ont été impliqués dans le programme de torture, tout autant que ceux qui l’ont soutenu ».

Les dénonciations de ce qui se passait dans ces cellules ont amené le candidat à la présidence de l’époque, Barack Obama, à annoncer que la fermeture de cette prison serait la première mesure que prendrait la Maison-Blanche. Il n’y est jamais parvenu. Son successeur, Donald Trump, a promis au contraire de la remplir de « mauvais individus »… et n’y est pas parvenu non plus.

L’occupant actuel de la Maison-Blanche, Joe Biden, s’est engagé à la fermer. Pour l’instant, il a seulement réussi à libérer dix prisonniers. Le dernier d’entre eux, Said bin Brahim bin Umran Bakush, a été transféré en Algérie en avril 2023. Les 30 restants se trouvent toujours dans une forme ou une autre de limbe juridique.

779 prisonniers mais deux condamnations seulement

Seuls deux des 779 prisonniers ont été condamnés et purgent leur peine sur la base, en territoire cubain. À côté d’eux, trois autres sont catalogués comme « combattants ennemis » et surnommés « les prisonniers éternels » : ils ne seront pas traduits en justice et les États-Unis ne veulent pas les libérer non plus même si leur statut est réexaminé périodiquement.

Seize autres ont obtenu l’autorisation d’être transférés vers un pays tiers, mais rares sont ceux qui veulent l’accepter. Neuf sont en attente de jugements pour différentes affaires – la bombe sur le destroyer Cole, le 11 septembre, l’attentat contre une discothèque à Bali – différés pendant la pandémie, qui se compliquent de recours en recours et sont continuellement repoussés.

Anthony Natale, à la tête de l’équipe des avocats qui défendent Al Nashiri, déclare que « c’est un système qui a été créé pour n’offrir aucune des garanties que présenterait le système judiciaire états-unien ou même un tribunal militaire. Et cela a été fait volontairement. Il a été décidé que les audiences se tiendraient à Guantánamo parce qu’ils pensaient que c’était un lieu où ne s’appliquent pas les garanties de la Constitution ».

« Presque toute la documentation importante est classifiée. Ils essaient d’éviter que nous puissions avoir accès aux informations. Nous devons nous battre constamment sur des points pour lesquels il n’y aurait aucun problème si nous étions dans un tribunal normal. Ajoutez à cela la distance logistique pour chaque démarche et vous avez la recette parfaite d’un système injuste », ajoute-t-il.

Deux décennies après leur arrivée à Guantánamo, ces 30 prisonniers sont aujourd’hui des personnes plus âgées, avec des problèmes de santé physique et mentale, causés autant par l’âge que par les mauvais traitements et les tortures endurées. Ces détenus montrent des signes de « vieillissement accéléré, aggravé par les effets cumulés de leurs expériences et des années passées en détention », selon le haut fonctionnaire du Comité international de la Croix rouge, Patrick Hamilton, qui a visité les installations en mars 2023.

Ní Aolaín dénonce le fait que « l’arbitraire s’immisce dans toute l’organisation des détentions à Guantánamo, rendant les détenus vulnérables aux violations des droits humains et contribuant à des conditions, pratiques et circonstances qui mènent à la détention arbitraire ». Divers procédés, comme celui de les désigner par leur numéro et non par leur nom, ou l’usage « disproportionné » du confinement à l’isolement, « constituent, à n’en pas douter, un traitement cruel, inhumain et dégradant ».

Il est difficile de prévoir comment pourra se résoudre cette situation étant donné que le gouvernement des États-Unis rejette toute éventualité de procès, parce qu’« il veut dissimuler la pratique de la torture et à quel point elle a été systématique, omniprésente et horrible. Il y a des choses que je ne peux pas vous décrire : elles sont classifiées », confie Di Natale.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3697.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Meer, 13 février 2024.

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[1« “La baignoire” consiste à ligoter la victime et à la suspendre par les pieds au-dessus d’une baignoire remplie d’eau de telle sorte que la tête soit sous l’eau » (article « Torture par l’eau », Wikipédia) – note DIAL.

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