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ARGENTINE - L’urgence c’est la faim

Marina Cataldo

jeudi 14 mars 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

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8 mars 2023.

Un nouveau 8 mars s’annonce dans une conjoncture argentine très particulière, dans laquelle le mouvement féministe une fois encore s’organise et envahit les rues, non seulement pour rappeler que c’est un jour de combat mais pour dire une fois de plus : Nous sommes là !

Dans un contexte national de crise économique, de dévaluation et d’inflation, auquel s’ajoute le gel des salaires et des retraites, qui atteint des limites inimaginables et qui a plongé le pays dans une ambiance de conflits sociaux aigus, nous, les femmes et les dissidentes nous nous rassemblons à nouveau et occupons les rues qui ont toujours été à nous.

Comme on le voit, nous les féministes, nous démontrons que nous avons la capacité de nous intéresser aux différences et de comprendre le contexte, en proposant des réponses radicales et déterminantes. Douées d’une puissance créatrice que nous confère notre histoire de lutte, nous tissons des liens virtuels et nous nous faisons entendre dans la rue. Les exemples sont nombreux de cette dualité que nous gérons tant dans la lutte virtuelle qu’en engageant nos corps.

Nous nous rassemblons en suivant les consignes telles que Ni une de moins, Je te crois ma sœur, Travailleuses nous le sommes toutes, Nous faisons la révolution, Vivantes libres et désendettées. Consignes qui ont gagné en poids politique. Nous sommes capables de provoquer l’invasion des rues, telle une marée, convaincues de pouvoir changer tout ce qui doit être changé.

Pourquoi le 8M ?

Le 8 mars a été déclaré officiellement par l’ONU, en 1975, la Journée Internationale de la femme en lutte pour l’égalité, l’accès au travail, la rémunération et les conditions de travail dignes, la reconnaissance comme sujets de droit, en raison de la mort de 149 personnes, pour la plupart des femmes, après l’incendie d’une usine à New York.

Cependant, le combat pour l’égalité et la visibilité a été engagé bien avant. Par exemple, il y soixante-dix ans de cela, les femmes ne pouvaient pas voter en France. En Espagne, dans les années soixante et soixante-dix, elles avaient besoin de l’autorisation du mari. En Argentine le vote des femmes a été obtenu en 1947, grâce à Eva Perón. Le droit de voter et d’être élues, nous a été alors accordé, un fait qui a marqué l’histoire des féminismes latino-américains.

Le 8 mars 1908, 129 ouvrières d’une usine états-unienne, exigeaient d’avoir les mêmes droits que leurs camarades hommes, la même rémunération, pour un travail égal et une journée de travail de moins de dix heures.

La première vague féministe a eu lieu au cours du XIXe siècle et du début du XXe. Même si elle se manifeste dans diverses parties du monde, c’est en Angleterre, aux États-Unis, et une certaine partie de l’Amérique latine que les mouvements sont les plus importants. Les objectifs du féminisme de l’époque étaient les droits au sein du couple marié et certains droits politiques tels que le droit de vote.

La seconde vague féministe a été celle de la seconde moitié du XXe siècle, concrètement depuis les années soixante jusqu’à la fin des années quatre-vingt.

Cette seconde vague du mouvement oriente la lutte vers une grande diversité de thèmes, non seulement dans le domaine juridique ou la reconnaissance des droits civiques, comme le faisait la première. Les principales revendications en ont été : la sexualité, la famille, l’inégalité, la reproduction et le travail en dehors du foyer.

La Seconde guerre mondiale a fortement contribué à l’intégration des femmes dans le monde du travail. Le gouvernement des États-Unis encourageait les femmes à occuper, par patriotisme, les postes de travail que les hommes abandonnaient pour aller combattre sur le front. La compagnie Westinghouse Electric lança une des campagnes les plus célèbres dont l’image est devenue un symbole de la lutte féministe. Son affiche, « We Can Do it », sur laquelle Rosie the Riveter (Rosie la riveteuse) encourage les femmes à travailler dans les usines, est célèbre.

La troisième vague féministe s’étend de la décennie des années quatre-vingt-dix jusqu’à l’actualité, bien que certaines autrices affirment que les événements récents sont représentatifs d’une quatrième vague.

Le féminisme de la troisième vague soutient qu’il n’existe pas un seul modèle de femme et d’autres interprétations du genre apparaissent. Le féminisme s’alimente d’autres courants, de l’écoféminisme, du féminisme racial, de la transexualité. Mais un des éléments les plus importants de cette troisième vague est la prise de conscience de ce que la supériorité de l’homme sur la femme est basée sur une structure sociale instaurée depuis des siècles, qui est le patriarcat ou hétéro-patriarcat.

Les manifestations massives du 8 mars, dans le monde entier, ainsi que les mouvements #Metoo ou #NoesNo, les campagnes pour la légalisation de l’avortement, sûr et gratuit, ont éveillé la conscience féministe dans une partie de la population qui n’était pas activement liée au mouvement, ont dépassé les frontières et sont devenues populaires. Cela a donné l’occasion à des féministes de proclamer que nous sommes face à un changement de modèle, une quatrième vague.

On ne peut pas nier que la base du mouvement féministe s’inscrit dans la lutte des classes, l’accès aux droits de tous ces secteurs qui ont été invisibilisés et bafoués par un système capitaliste qui nous pousse de plus en plus à l’individualisme et au chacun pour soi. Dans ce contexte-là il faut se demander où est la richesse que nous représentons socialement. Comment faisons-nous pour lancer ce débat. Nous, les féministes, nous devons nous demander ce que nous avons à gagner quand on nous a tout et tellement refusé.

La puissance créatrice et la force du mouvement de masse font de nous des acteurs politiques essentiels par les temps qui courent pour construire des liens de sororité combative, face à une situation politique qui nous violente dans tous les domaines de notre vie. Nous sommes capables de revenir au centre de l’humanité toute entière.

Alors que plus de 57% de notre population est tombée en dessous du seuil de pauvreté, que s’accroit le pourcentage du chômage, qu’augmente l’abandon scolaire, que monte le prix des aliments, que nous traversons la violence sociale la plus profonde, que les salaires sont en dessous de l’inflation et qu’un petit nombre empoche les bénéfices produits par le plus grand nombre, nous sommes là.

Ce sera le devoir de toutes et de tous de mener le mouvement, en répondant aux besoins urgents de notre peuple, en dérangeant certains individus, en remettant en question leur richesse, en reconstruisant les liens sociaux de la sororité, en bâtissant un féminisme populaire parce que l’urgence c’est la faim et la faim est une privation de liberté.


Marina Cataldo est une militante féministe argentine, membre du programme Raíces de Alfabetización Barrial [Racines d’alphabétisation de quartier] de la province de Mendoza.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/03/08/8m-en-argentina-la-urgencia-es-el-hambre/.

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