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ÉTATS-UNIS - L’immigration, une affaire florissante !

Mirko C. Trudeau

vendredi 19 avril 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

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12 avril 2024.

Aux États-Unis, la population d’immigrants nés à l’étranger a augmenté de plus de quinze pour cent au cours des douze dernières années et la force de travail de ces trente-deux millions et demi de travailleurs, généralement latino-américains surexploités, est une des principales raisons de la forte croissance économique états-unienne.

Aux États-Unis, un pays dont l’histoire a été forgée en grande mesure par les immigrants, le discours contre les étrangers qui y viennent en quête de meilleures opportunités, est le sujet de prédilection des discours pré-électoraux. Mais au-delà des discours sur la menace que sont supposés représenter les immigrants, des études montrent clairement que ces communautés bénéficient à l’économie du pays dans son ensemble et au confort des natifs en particulier.

Des populations dont les pourcentages d’immigrants sont relativement importants affichent de meilleurs résultats que celles qui en ont des pourcentages plus faibles », indique le rapport de l’Institut George Bush qui en démontre l’impact positif, qu’il s’agisse de revenus ou de développement culturel, ce qui remet en question le mythe selon lequel ils enlèveraient le travail aux locaux ou feraient baisser les salaires. Les villes avec un fort pourcentage d’immigrants sont plus innovatrices que d’autres et la contribution des personnes qui ne sont pas nées aux États-Unis y est pour beaucoup.

Les études révèlent que les immigrés créent de nouveaux produits et reçoivent des certifications en pourcentages plus élevés que les natifs. En maîtrise et en doctorat, dans le domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, 27% des étudiants sont des étrangers avec un visa temporaire. Les émigrés représentent 14% de la population des métropoles mais occupent 23% des postes en sciences et en technologie.

Les immigrants moins formés couvrent des postes de travail essentiels qui resteraient vacants s’ils n’étaient pas présents dans des secteurs comme la santé, l’industrie manufacturière et la construction. Leur importance dans le domaine de la santé a été providentielle lors de la pandémie : un poste sur trois était occupé par les immigrants. Ils ont contribué, également, à maintenir les industries dans le Middle West, en compensant le manque de main d’œuvre qualifiée qui aurait contraint les usines à fermer.

Tandis que l’accroissement du nombre d’émigrés aux États-Unis a engendré des divisions entre les hommes politiques dans tout le pays et est devenu un des sujets majeurs des débats dans la perspective des élections présidentielles, il a ravivé l’angoisse d’une partie des votants, mais il y a un secteur où tous semblent être optimistes : c’est Wall Street.

Les chefs d’entreprise, les fonds d’investissement sont satisfaits, surtout depuis que le Bureau du budget du Congrès a calculé que l’immigration générera une augmentation de sept millions de dollars du produit intérieur brut au cours de la prochaine décennie. Traduction : l’immigration est une très bonne affaire, sauf pour ceux qui migrent, évidemment.

Les économistes des banques d’investissement sont ceux qui rendent compte de l’impulsion que les migrants donnent non seulement à la force de travail mais aussi aux dépenses des consommateurs. La banque d’investissement Goldman Sachs Group Inc a révisé à la hausse ses prévisions de croissance économique à court terme. JPMorgan, Chase & Co. et BNP Paribas SA font partie des banques qui ont reconnu l’impact économique de l’augmentation de l’immigration ces dernières semaines.

« L’immigration n’est pas qu’une question de débat social et politique important mais est aussi une question macroéconomique importante », a indiqué Janet Henry, économiste en chef mondiale d’HSBC Holdings. Elle a indiqué qu’aucune économie avancée ne bénéficie autant de l’immigration que les États-Unis et que« l’immigration a contribué pour une large part à la croissance des États-Unis au cours des dernières années »

Les travailleurs émigrés représentent approximativement un travailleur étasunien sur cinq, un record selon les données gouvernementales qui remontent à presque deux décennies. Des économistes et des autorités soulignent le rapport entre la plus grande affluence de travailleurs étrangers et la récupération rapide post pandémique. Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a affirmé que la forte croissance économique s’explique, entre autres raisons, par l’immigration.

Selon des chiffres officiels la population née à l’étranger s’est accrue considérablement au long des cinquante dernières années autant en importance qu’en pourcentage de la population étasunienne. En 1970 elle était de neuf millions six (4,7%) du total de la population et en 2022 elle était évaluée à quarante-six millions deux (13,9%) du total de la population des États-Unis.

Plus de la moitié des émigrés aux États-Unis viennent d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, avec un chiffre en augmentation de plus de deux millions les douze dernières années.

Bien que leur nombre ait diminué d’un million, les natifs du Mexique représentent toujours la part la plus importante des immigrés qui vivent aux États-Unis aujourd’hui, avec un total de dix millions six cent quatre vingt mille en 2022, représentant un quart du total de la population immigrée. Ceux qui sont nés au Mexique ne sont qu’une partie du total des trente-six millions de personnes d’origine mexicaine qui vivent dans le pays. Ils constituent aussi le groupe le plus important de sans-papier qui entrent aux États-Unis, selon le département de la Sécurité intérieure.

Quatre-vingt pour cent des natifs du Mexique vivent aux États-Unis depuis avant l’année 2010, même si environ deux millions sont arrivés après cette date. Au cours des douze dernières années le pourcentage des Mexicains qui ont obtenu la citoyenneté étasunienne a augmenté au point qu’aujourd’hui presque un tiers des immigrés nés au Mexique, la moitié d’entre eux sans un bon niveau d’éducation, sont des citoyens étasuniens.

Le commerce juteux du trafic de personnes

En décembre 2013 les autorités des États-Unis ont commencé à remarquer que les cartels de la drogue étaient déjà impliqués dans l’énorme trafic d’êtres humains, mais personne n’a rien fait pour l’empêcher. Aujourd’hui ce commerce est si important qu’il représente au moins dix mille millions de dollars par an.

À cette époque les migrants devaient payer des « coyotes » qui les aidaient à traverser la frontière des États-Unis et les guidaient dans leur parcours, mais cela a changé. Aujourd’hui les migrants doivent embaucher des membres des cartels car, de toute évidence, ce sont ces mêmes cartels qui, depuis un certain nombre d’années, contrôlent les routes mexicaines d’accès aux États-Unis, révèle le quotidien mexicain El Economista.

Sur leur route, avant d’être détenus par la patrouille frontalière, aujourd’hui les migrants sont arrêtés par les cartels : à chaque halte ils doivent montrer leur bracelet bleu, rouge, vert ou jaune qui indique aux contrebandiers que le migrant paie déjà aux membres d’un cartel une participation qui n’est pas pour traverser la frontière des États-Unis, mais seulement pour pouvoir traverser le territoire mexicain jusqu’à la frontière.

Le commerce de l’immigration illégale au Texas fait la prospérité des prisons, il emploie des prêteurs, des usuriers et des avocats corrompus. En 2018, le Texas a été au centre d’un scandale provoqué par la politique de « tolérance zéro » du président Donald Trump, qui a occasionné la séparation de plus de 2300 enfants de leurs familles qui entraient illégalement ou demandaient l’asile.

Le Texas aussi a le plus grand nombre de prisons pour émigrants. Construit en 1933, le centre de détention de Houston a été la première prison privée dans l’histoire contemporaine des États-Unis. Ses propriétaires, Corrections Corporation of America (CCA) et GEO Group, sont les plus grandes entreprises de prisons des États-Unis. Toutes deux sont cotées en bourse.

D’après le centre de recherche, In The Public Interest (INPI), ce système fait que l’emprisonnement massif pour des délits mineurs soit encouragé dans la sphère privée. À elles deux ces entreprises, avec des gains de quatre milliards de dollars en 2017, « ont investi » plus de dix millions de dollars en faveur de certains candidats politiques et presque vingt-cinq millions en lobbying, entre 1989 et 2017.

Selon une étude du Conseil national de population du Mexique, les migrants peuvent payer entre cinq mille et neuf mille six cents dollars pour la traversée de ce pays et encore deux mille deux cents dollars pour le franchissement de la frontière avec l’accompagnement d’un guide. Les groupes du crime organisé, à leur tour, sont dépendants de leur relation avec des agents corrompus de l’État. Très peu sont les migrants qui parviennent à réussir le parcours sans la participation du crime organisé.

Au Mexique, ce sont les cartels de Sinaloa, de Jalisco y les Zetas qui sont derrière ce trafic de migrants. Dans la ville mexicaine de Juárez les affrontements sont fréquents entre les Mexicles (bras armé du cartel de Sinaloa) et la Línea (du cartel de Juárez), pour s’approprier l’organisation des caravanes migratoires.

En Colombie, le panorama est très différent. Selon Jeremy Mc Dermott, directeur en Colombie d’In Sight Crime, il y a deux organisations derrière le trafic de migrants dans le pays : el Tren de Aragua, une super bande qui s’occupe principalement des migrants vénézuéliens et les autodéfenses Gaitanistas ou Clan du Golf.

Le lucratif Bouchon du Darién

La question du Bouchon du Darién, en pleine jungle, est devenue rapidement une des crises politiques et humanitaires. Ce qui, il y a quelques années, était un flux goutte à goutte est devenu un torrent : plus de trois cent soixante mille personnes ont déjà traversé la forêt en 2023, selon le gouvernement de Panama, dépassant le record de deux cent cinquante mille en 2022.

En réponse, les États-Unis, la Colombie et le Panama ont signé un accord pour « mettre fin à ce flux illégal de personnes », une pratique qui « mène à la mort et à l’exploitation de personnes vulnérables en échange de gains substantiels »

Plus que jamais : rien qu’en 2023, les leaders locaux ont encaissé des migrants des dizaines de millions de dollars dans une énorme opération sophistiquée de mouvement humain. « C’est une affaire juteuse », a dit Fredy Marín, qui a été conseiller de la municipalité voisine de Necoclí. Il gère une entreprise de canots qui transportent des migrants sur leur trajet vers les États-Unis. Il transporte tous les mois des milliers de personnes et encaisse quarante dollars par personne.


Mirko C. Trudeau est un économiste, politologue et analyste états-unien, associé au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/04/12/la-inmigracion-en-eeuu-ese-gran-negocio/.

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