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DIAL 2933
PÉROU - “Bagarre” autour de « la Católica », l’une des meilleures universités d’Amérique latine
Pierre Rottet
mardi 1er mai 2007, mis en ligne par
L’Université catholique de Lima, la célèbre Católica, voit son autonomie menacée à terme car le cardinal Juan Luis Cipriani souhaiterait en prendre le contrôle. Il s’agirait d’une véritable régression. Le cardinal, membre de l’Opus Dei, organisme particulièrement présent au Pérou, est considéré comme un des plus farouches opposants des organismes de défense des droits humains. Ses prises de position ultra-conservatrices sont célèbres. Son attitude négative dans le respect des droits humains alors qu’il était archevêque d’Ayacucho, lieu particulièrement marqué par le conflit armé, avait même été dénoncée dans le rapport de la Commission de la vérité et de la réconciliation [1]. Article de l’Agence de presse internationale catholique (APIC), en date du 18 avril 2007.
Remous à l’Université catholique de Lima, « la Católica », qui a fêté 90 ans d’existence le 24 mars dernier. Des préparatifs perturbés par la volonté affichée de la puissante Opus Dei au Pérou de prendre le contrôle de cette institution, l’une des plus reconnues et réputées en Amérique latine.
Sous la houlette du cardinal péruvien Juan Luis Cipriani, archevêque de Lima, le mouvement catholique conservateur Opus Dei cherche en effet à prendre le contrôle de « la Católica » - nominations, comptabilité et enseignement - considérée comme un bastion de tolérance, selon des responsables universitaires et les observateurs neutres.
La polémique fait rage depuis un mois dans les médias entre partisans de l’Opus et défenseurs de « l’humanisme chrétien, de la tolérance et de la pensée critique » à l’origine de la fondation de la Pontificia Universidad Católica.
L’affaire a éclaté, lorsque le cardinal-archevêque de Lima, membre de l’Opus Dei, a refusé de célébrer la messe à l’occasion du 90e anniversaire de « la Católica » et même de lui prêter le parvis de sa cathédrale.
Derrière la polémique se cache en outre une histoire de gros sous. Il appartiendra du reste à la justice de trancher. Après 90 ans de bonne entente entre l’Église et « la Católica », l’Opus Dei a ressorti le testament pour un terrain d’un riche donateur, José Riva Agüero, décédé en 1944. Depuis, l’organisation conservatrice, puissante au Pérou, réclame devant la justice que le cardinal Cipriani puisse contrôler la gestion de l’Université.
Selon « la Católica », le testament autorise l’Université après vingt ans de fonctionnement à se diriger elle-même, tandis que l’entourage du cardinal revendique le contrôle de l’héritage.
Depuis sa fondation en 1917 par un prêtre français, George Dintilhac, et quatre laïcs, « la Católica » professe un esprit d’ouverture qui agace les puissants secteurs conservateurs de l’Église locale.
Pluralisme
Au point que le cardinal Cipriani, proche du pape Benoît XVI a lancé une offensive sur cette université progressiste. Avec ses 18’000 étudiants et 2’500 professeurs, « la Católica » est considérée comme l’une des meilleures du Pérou, voire d’Amérique latine.
« Mgr Cipriani a révélé son intérêt à contrôler les décisions de l’Université, c’est son objectif », a affirmé dans un entretien Marcial Rubio, le vice-recteur de « la Católica », cité par l’Agence France presse. Pour le moment, bien que Grand chancelier de l’Université, un poste consultatif, Mgr Cipriani ne peut rien lui imposer et surtout pas décider son orientation ou la nomination des professeurs.
Selon le quotidien La República, « la Católica » est depuis plusieurs dizaines d’années le principal centre universitaire du Pérou. « Il n’est pas exagéré d’affirmer que ses cours ont groupé et formé les intellectuels et les scientifiques les plus éminents du pays. Et si, il y a une vingtaine d’années, un vent de gauchisme soufflait sur l’institution, aujourd’hui règne un pluralisme sain aussi bien au niveau des étudiants que des professeurs. Mais voilà, pour le cardinal Cipriani, tout cela n’est qu’éclectisme décadent, autant d’atteintes aux valeurs catholiques ».
L’Opus Dei a de nombreux appuis notamment au sein du gouvernement : le ministre de la Production Rafael Rey a qualifié « la Católica » de repère d’enseignants « marxistes et de communistes » qui peuvent être divorcés ou homosexuels.
L’ombre de Fujimori
« La Católica a eu comme enseignant dans les années soixante, le père Gustavo Gutierrez », l’un des inspirateurs de la théologie de la libération, précise le vice-recteur Rubio. « C’est une personne très respectée, qu’il faut traiter comme un frère et pas comme un lépreux », a-t-il ajouté, en soulignant que « la Católica » « se sent plus proche des Universités européennes, espagnoles, françaises ou belges qui ont une vision sociale de la société que de celles des États-Unis ».
La polémique sur cette lutte de pouvoirs actuelle fait ressurgir l’hostilité entre Mgr Cipriani, proche de l’ex-président autoritaire Alberto Fujimori (1990-2000) et l’ancien recteur de « la Católica », le philosophe Salomon Lerner, défenseur acharné des droits de l’homme sous le mandat Fujimori.
Quant à l’Église péruvienne, elle a pris ses distances avec les projets du cardinal conservateur. Pour la Conférence épiscopale, c’est à la justice de trancher, puisque un tribunal a été saisi par les proches de Mgr Cipriani et que « la Católica » est résolue à aller s’il le faut jusqu’à la Cour constitutionnelle, plus haute juridiction suprême.
A noter que le pape Benoît XVI est docteur Honoris Causa de « la Católica » depuis 1986.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2933.
– Source (français) : Agence de presse internationale catholique (APIC), 18 avril 2007.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, une des sources (Apic ou Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir DIAL 2667, « PÉROU - Le rapport de la Commission de la vérité et de la réconciliation ».