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DIAL 2619

BOLIVIE - La fracture s’accentue entre les deux Bolivie

Alex Contreras Baspineiro

dimanche 16 février 2003, mis en ligne par Dial

La Bolivie connaît de nombreux conflits dont les enjeux peuvent être identifiés à propos de la terre, de l’eau, de la coca et du gaz. L’alliance entre partis politiques d’opposition, mouvements syndicaux et populaires cherche à mettre un frein à la politique gouvernementale et à déclencher une lutte contre les groupes de pouvoir et les transnationales. Les 12 et 13 février des manifestations contre la politique économique ont tourné à l’émeute et ont fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés. Article de Alex Contreras Baspineiro, dans ALAI, 12 décembre 2002.


Le gouvernement va attribuer des fonds par millions aux entrepreneurs privés, à la banque nationale et aux micro-entreprises alors que les secteurs populaires ne recevront en lieu et place d’avantages substantiels que des contraintes supplémentaires pour soutenir quelques-unes des réformes annoncées dans le « Plan Bolivie » par le président Gonzalo Sánchez de Lozada (Mouvement nationaliste révolutionnaire - MNR).

Du fait de la crise dans laquelle se débat la Bolivie, le monde des entreprises ne produit que le cinquième de l’emploi dans le secteur urbain et un pourcentage moindre en milieu rural. En outre, il a ramené ses investissements en dessous de 50 millions de dollars par an et il est débiteur d’environ un milliard de dollars d’impôts. L’investissement étranger a amorcé un déclin qui porte atteinte au pilier de la politique néolibérale. Le gouvernement a offert 425 millions de dollars à ce groupe social privilégié et rien de concret aux secteurs marginaux, provoquant ainsi une amplification de plus en plus dangereuse de la fracture entre les Boliviens. C’est après plus de 120 jours de gestion gouvernementale que l’on vient d’apprendre que différentes lois, destinées à « réactiver » l’économie nationale, ont été approuvées. Il s’agit de la loi de restructuration ou liquidation d’entreprises, destinée à renforcer le secteur productif, de la création de directions corporatives, de la loi sur les créances publiques, de la réduction de la bureaucratie, de la lutte contre la corruption, du paiement du Bon de solidarité (Bonosol), de l’extension de l’Assurance universelle maternelle infantile (Sumi), du plan d’irrigation et des travaux générateurs d’emplois.

Des dirigeants de diverses organisations populaires, avec l’appui des partis d’opposition, ont mis en place une stratégie de résistance à la politique du régime actuel. Une des actions conjointes porte sur le refus de la confiscation des contributions à la retraite des travailleurs du Fond de capitalisation individuelle (FCI) afin de payer le Bonosol. Cet avantage qui représente une somme annuelle de 1 800 bolivianos doit être payé aux personnes âgées de plus de 65 ans alors que l’espérance de vie en Bolivie est de 55 ans. Le Bonosol est payé sur les contributions des entreprises capitalisées dans le Fond de capitalisation collective (FCC) ; mais il est bien connu que l’apport de ces entreprises est chaque année en diminution et c’est pourquoi on veut utiliser des moyens destinés aux retraites des Boliviens.

La guerre de la terre

Ce n’est pas seulement dans les villes que se posent les problèmes sociaux, les choses sont même beaucoup plus compliquées en milieu rural. La possession de la terre représente un danger potentiel et la situation peut exploser à n’importe quel moment. Il y a dix jours trois Boliviens, portés disparus, et qui avaient manifestement été torturés, ont été retrouvés morts dans les environs du hameau de Yapacaní (Santa Cruz) ; des faits semblables s’étaient produits il y a moins d’un an à Pananti (Tanja) et El Choré (Santa Cruz). Alors que le nombre de morts parmi les membres du mouvement des sans-terre augmente, le gouvernement observe un silence complice avec les exploitants, les propriétaires terriens et les paramilitaires dans les événements sanglants. On calcule qu’en Bolivie, sur les 109 millions d’hectares de terres, quatre millions ont été attribués à plus de 600.000 familles de paysans et d’indigènes, alors que 32 millions sont entre les mains d’une minorité de caciques.

Ni la loi de réforme agraire et moins encore l’Institut national de réforme agraire (INRA) ne sont parvenus à trouver une solution à ce problème qui conduira, au fur et à mesure des promesses du gouvernement, vers une explosion sociale. Cimar Victoria, dirigeant du mouvement des sans-terre de l’est du pays a lancé un avertissement : « le gouvernement est du côté des riches, il ne nous reste, à nous les pauvres, qu’à nous organiser pour défendre nos terres, y compris en ayant recours aux armes. »

La guerre de l’eau

Le ministère du développement durable, en accord avec la façon de voir du gouvernement, a mis sur pied un projet de décret de 44 articles qui prétendent imposer la privatisation des sources d’eau souterraine et l’exportation de ces ressources vers des mines chiliennes. L’article 18 qui porte sur le droit de priorité indique que « les propriétaires du sol et/ou les concessionnaires de mines dans les limites de leur propriété et/ou concession ont un droit prioritaire pour prospecter, explorer, évaluer, quantifier, tirer parti ou exploiter et exporter les résurgences d’eau qu’ils découvriraient, sous condition de communiquer à la Surintendance, dans un délai de six mois à dater de l’approbation du présent règlement, leur plan et leur programme d’investissement. Passé ce délai, les territoires de leur propriété et/ou concession seront mis en adjudication et concédés à d’autres entités intéressées. »

Le nouveau projet gouvernemental s’inspire de conceptions qui ont été à l’origine de la guerre de l’eau à Cochabamba en avril 2000. Les habitants de Cochabamba avaient alors fait preuve non seulement de leur capacité à mettre en défaut la politique néolibérale et à expulser la transnationale Aguas del Tunan, mais aussi à rejeter la loi 2029 qui visait à la privatisation de l’eau.

À travers le nouveau projet gouvernemental, on veut laisser la voie libre à l’exportation de l’eau bolivienne vers des territoires chiliens, commerce qui peut rapporter jusqu’à 1,20 milliard de dollars pour un investissement de 80 millions de dollars. Cette décision a été rendue légale sans prendre en compte les communautés paysannes ou originaires de Bolivie. Oscar Olivera dirigeant ouvrier et porte-voix de la Coordination de défense de l’eau et de la vie, a déclaré : « si le gouvernement ne change pas sa politique de privatisation d’une ressource aussi vitale, les pauvres de ce pays, nous qui sommes la majorité, nous entreprendrons la guerre de l’eau ».

La guerre de la coca

Le problème de la culture de la coca est encore plus grave car, malgré diverses réunions officielles entre les représentants du gouvernement et les producteurs, le dialogue est un échec. Le président Sánchez de Lozada, à la suite de sa visite à Washington (novembre 2002) au cours de laquelle il a rencontré son homologue George W.Bush a déclaré qu’il faut en finir le plus vite possible avec l’éradication des cultures de coca pour gagner la guerre. L’éventualité d’une pause dans l’élimination forcée des cultures de coca a été totalement rejetée par l’administration centrale, provoquant ainsi un retour de la violence dans les régions de Trópico de Cochabamba et des Yungas de La Paz. On évalue que sur la région de Trópico de Cochabamba il y a quelques 6 000hectares de cultures de coca contre plus de 110 000 hectares pour les produits du développement alternatif.

Cependant la misère dans laquelle se débattent les familles d’exploitants augmente chaque jour davantage, constituant ainsi une bombe à retardement. Les producteurs de coca - considérés par l’ambassade nord-américaine elle-même comme le mouvement social le plus dangereux du pays - ont annoncé qu’ils défendraient leur production agricole en ayant recours, y compris, aux mesures les plus drastiques. De plus ils ont mis au défi l’administration nord-américaine elle-même, de débattre de la problématique de la coca, du développement alternatif et du narcotrafic car « il existe de la part du gouvernement bolivien une soumission aux maîtres du Nord ».

La guerre du gaz

Alors que la dette extérieure de la Bolivie s’est accrue de façon aussi dangereuse que considérable, le gouvernement de Sánchez de Lozada cherche des alliances stratégiques avec quelques-uns des secteurs influents de l’économie nationale pour concrétiser un de ses objectifs prioritaires : exporter du gaz naturel aux États-Unis. De 4,5 milliards de dollars l’endettement bolivien pourrait atteindre plus de 7 milliards de dollars.

Bien qu’il existe un rejet général de la part d’une grande partie de la population bolivienne à l’égard de cette prétention gouvernementale, ainsi qu’à l’égard d’autres mesures économiques, tout semble indiquer que ce gouvernement, une fois de plus, se soumettra aux exigences de l’empire nord-américain.

Divers secteurs sociaux ont prévenu que si le gouvernement concrétisait avec l’entreprise Sempra Energy l’accord d’exportation du gaz bolivien à travers des ports chiliens « la guerre du gaz » serait déclenchée. La Bolivie possède une grande réserve de gaz dont l’équivalent monétaire pourrait dépasser les 100 milliards de dollars.

Les groupes sociaux majoritaires dans ce pays - c’est-à-dire ceux que les politiques nationales ne prennent pas en compte - exigent la convocation d’une consultation populaire non seulement pour déterminer ce que sera le futur de ce gaz mais aussi l’implantation de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) et la convocation d’une Assemblée populaire constituante.

Il faut encore ajouter au noir panorama des conflits sociaux les dernières déclaration du président de la nation, lorsqu’il a dit que « le futur du continent réside dans le libre commerce et... doit s’établir entre tous les pays de la région mais aussi avec les États-Unis ». Le deuxième en importance des hommes politiques du pays, le député et représentant des producteurs de coca, Evo Morales Ayma (Mouvement pour le socialisme -MAS), a prévenu que si le gouvernement ne répond pas aux réclamations des majorités nationales « la Bolivie des Aymaras, des Quechuas, des Guaranis, des travailleurs, des chômeurs, des mineurs, des ouvriers, des ménagères, des étudiants, des maîtres, des pensionnés et de tous les opprimés mettra en œuvre une stratégie de défense de ses droits pouvant aller jusqu’à exiger que soit écourté le mandat de Sánchez de Lozada ».

Un état-major

Dans cette délicate conjoncture, différentes fédérations centrales, assemblées de quartiers, ayllus (communautés agraires), capítanias et syndicats ruraux et urbains, ont mis sur pied un plan d’action pour constituer l’État-major de la rébellion sociale. Un appel à l’unité a été lancé en direction de tous les travailleurs boliviens, des secteurs dépourvus d’organisation, des partis politiques comme le MAS et le MIP (Mouvement indigène Pachakutic), des secteurs de travailleurs en lutte, de l’actuelle direction de la Centrale ouvrière bolivienne (COB), du Bloc antinéolibéral, de la Confédération des retraités et des pensionnés, du Comité national de défense et récupération du gaz, du Comité de défense du patrimoine national et de tous les Boliviens et toutes les Boliviennes. L’alliance entre partis politiques de l’opposition et mouvements populaires et syndicaux ne cherche pas seulement à mettre un frein à la politique de Factuel gouvernement mais à enclencher une lutte contre les groupes de pouvoir et les transnationales.

En 2003, au centre du continent latino-américain, plusieurs « guerres » pourraient se produire si le régime actuel ne trouve pas de solutions aux problèmes non négligeables de « l’autre Bolivie ».


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2619.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, 12 décembre 2002.

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