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« La révolution citoyenne est en marche »
ÉQUATEUR - Entretien avec la ministre Manuela Gallegos Anda, Secrétaire aux peuples, aux mouvements sociaux et à la participation citoyenne
Christophe Kenderian
vendredi 31 octobre 2008, mis en ligne par
Toutes les versions de cet article : [Español] [français]
Manuela Gallegos Anda est ministre du gouvernement équatorien. Dès l’arrivée de Rafael Correa à la présidence de la république en janvier 2007, la création du Secrétariat aux peuples, aux mouvements sociaux et à la participation citoyenne lui a été confiée. Elle aborde les grands domaines de compétence du Secrétariat, ainsi que le projet du gouvernement. Entretien.
Pouvez-vous nous présenter le Secrétariat aux peuples, aux mouvements sociaux et à la participation citoyenne ?
Le Secrétariat aux peuples, aux mouvements sociaux et à la participation citoyenne » est l’outil qui donne le plus de clarté et de profondeur au projet politique du gouvernement équatorien. Dans ce gouvernement, nous parlons toujours de « révolution citoyenne », cela implique un changement radical afin que la population dispose d’une citoyenneté pleine et entière, qu’elle puisse exercer ses droits. Qu’elle connaisse ses droits et ses devoirs, qu’elle s’approprie des espaces de participation et qu’elle exige des comptes de ses représentants élus. Nous croyons en une société organisée, en une société solidaire, en une société qui travaille d’arrache pied pour construire son pays. Ça c’est l’esprit du Secrétariat.
Aujourd’hui, nous sommes la réponse à ce que la pseudo-démocratie a fait du pouvoir dans notre pays. Une démocratie qui s’est transformée en un espace de contrôle politique au profit d’une oligarchie. L’Équateur a été sous le contrôle d’une dizaine de familles qui ont régné sur la scène politique, empêchant que la majorité des Équatoriens soient inclus dans un quelconque processus. Une grande partie de la population a ainsi été privée de sa liberté d’exercer tout droit démocratique. Dans ce pays, on « échangeait » un vote contre un t-shirt ; comment pouvait-on parler de démocratie ?
Comment le Secrétariat permet-il de créer et de développer un pouvoir populaire ?
Avant tout avec beaucoup de détermination. A titre personnel, c’est très excitant, j’ai moi-même travaillé dans des organisations de quartiers. En formant ce Secrétariat, j’ai pu réaliser tous mes rêves frustrés, comme n’importe quelle citoyenne qui désire faire entendre sa voix et avoir un espace d’action. Être citoyen, ça signifie avoir la possibilité d’exercer cette citoyenneté. Sinon, il ne reste que deux solutions pour faire entendre sa voix : le cri ou la pierre.
Des espaces se sont ouverts alors…
Bien sûr. C’est la vocation du Secrétariat : faire en sorte que les gens puissent sentir qu’ils disposent d’un espace au sein de l’État. Qu’ils sachent qu’ils sont chez eux quand ils entrent dans le Secrétariat. Qu’ils puissent s’y exprimer librement. Le rôle du Secrétariat est aussi de canaliser leurs aspirations et leurs attentes.
Ensuite, il est très important que la population accède à des informations de première main, sans l’intermédiaire des « grands médias ». Ces « grands médias », qui déforment plus qu’ils n’informent et qui répondent aux intérêts des oligarques qui ont si longtemps dominé le pays.
Maintenant, il existe une connexion directe entre les citoyens et l’État qui est là pour les servir. Chacun peut s’exprimer et nous aider à faire vivre ces espaces qui s’ouvrent, chacun peut aussi nous permettre de nous rendre compte de nos erreurs afin de les rectifier.
Enfin, les citoyens peuvent s’informer librement sur tous les programmes mis en place par le gouvernement. La presse, elle, se contente de mettre en avant tous les aspects négatifs sans s’attarder sur les aspects positifs.
Le Secrétariat travaille à la mise en valeur de l’identité nationale ?
Où va un peuple qui ne sait pas d’où il vient, qu’on a fait sentir honteux de savoir d’où il vient, et qu’on a convaincu qu’il est incapable, ou corrompu, ou inférieur ? Au Secrétariat, nous menons un travail très important afin de faire prendre conscience de sa vraie valeur au peuple équatorien. Les Équatoriens ont dû faire preuve d’une grande créativité et d’une grande force afin de pouvoir survivre, hier comme aujourd’hui. Et maintenant, en plus de ceux qui survivent ici, nous avons ces millions d’émigrés qui vont survivre dans les pays les plus riches [1]. L’Europe en est un bon exemple, même si c’est de plus en plus dur pour les étrangers là-bas. Bientôt, ils nous regretteront !
Qu’est-ce que le Secrétariat aux peuples ?
Le Secrétariat aux peuples, c’est avant tout la reconnaissance que l’Équateur est un pays plurinational et interculturel. Cela n’a jamais été aussi clair dans l’histoire de notre pays. Et la nouvelle constitution va encore plus loin dans ce sens [2].
L’histoire de l’Équateur ne commence pas avec la présence des Incas, et moins encore avec celle des Espagnols. Avant les Incas, il y avait ici d’innombrables cultures, langues et nationalités. Ces langues étaient porteuses de différentes visions, de différentes croyances, de différentes territorialités. Quand nous reconnaissons les peuples, nous reconnaissons ces différences qui font la richesse de l’Équateur.
Le fait d’avoir ce Secrétariat aux peuples nous a permis, par exemple, de saisir les incohérences de notre concept urbain de révolution citoyenne. Bien sûr, pour nous, la révolution citoyenne est un concept vaste et ouvert. Mais comment le faire comprendre à un indigène qui vit dans sa communauté sur les hauteurs de la cordillère des Andes ? C’est quoi ce « citoyen » équatorien et urbain pour lui ? Ce concept, comment peut-il le comprendre, lui qui se considère comme membre à part entière de sa communauté ? Cela nous met dans l’obligation de nous questionner et d’adapter notre manière de communiquer.
Enfin, du point de vue administratif, nous l’avons nommé « Secrétariat aux peuples » car il a été créé grâce à l’engagement de conseils des peuples qui existaient déjà : le Conseil du développement des nationalités et des peuples d’Équateur (CONDEMPE), le Conseil du développement du peuple montuvio et de la côte (CONDEPMOC), et la Corporation de développement afroéquatorien (CODAE).
Quelles sont les relations du Secrétariat avec les organisations sociales ?
D’abord, nous voulons nous appuyer sur les secteurs organisés, et cela implique aussi que ces organisations intègrent une vision d’ensemble du pays. Cette année, le gouvernement a eu de très nombreux contacts avec les organisations sociales. Nous nous sommes souvent réunis avec les syndicats de transports… Nous avons beaucoup travaillé à nouer un vrai dialogue, laissant de côté ces débats de maître chanteur du Si on n’obtient pas ça, vous aurez la grève !
Nous croyons en une construction collective, c’est pourquoi nous nous réunissons avec les gens, avec les groupes, avec les organisations… Nous leur ouvrons un espace d’expression afin de construire ensemble, de proposer des solutions ensemble. Pour autant, le président Rafael Correa n’accepte aucun chantage. C’est un véritable événement dans ce pays où tout s’obtenait par le chantage. Piller les fonds publics pour en faire profiter une infime minorité, ça ne nous intéresse pas. Les positions du président et du gouvernement sont très claires là-dessus. Il n’y a dans ce pays qu’un seul intérêt à défendre, l’intérêt national ; en aucun cas les intérêts de certains groupes, pas plus que ceux du gouvernement. C’est ainsi que nous avons travaillé, et de grands espaces de dialogue se sont ouverts pour la première fois en Équateur.
Un élément important : en un an et demi de gouvernement, il n’y pas eu une seule grève nationale. Il y a eu deux menaces de grèves et deux ou trois manifestations sur les questions minières. Ces dix dernières, les présidents qui ont précédé Rafael Correa étaient prêts à prendre la porte à ce stade de leur mandat. Je suis allée au Pérou récemment ; le lendemain de mon arrivée, il y avait une grève nationale. La côte de popularité du président Alan García est à 21% alors que celle du président Correa est au-delà des 60%.
Comment définir le projet du gouvernement ?
L’objectif de ce gouvernement est de faire en sorte que chaque tranche de la société remplisse une fonction, mais notre projet à tous s’appelle ÉQUATEUR. Ceux qui ont mené campagne contre la nouvelle constitution nous ont largement critiqués là-dessus ces derniers temps. Parlons de la planification par exemple. Ce gouvernement planifie la santé. A Quito, il y a l’hôpital militaire, l’hôpital de la police, l’hôpital public, l’hôpital de la sécurité sociale et l’hôpital privé. Tous réunis sur un espace confiné, alors que 80% du territoire national est sans hôpital. On ne peut apporter de solution à cela sans planification.
De plus, ce gouvernement compte des ministres coordinateurs qui travaillent par grands thèmes. Ils sont chargés de mettre en interrelation les différentes compétences afin de mener des projets en commun sur les thématiques sociales, économiques, politiques… Cela nous permet d’avoir une vision d’ensemble et de rationaliser l’utilisation des ressources financières, humaines… De leur côté, les citoyens disposent du droit et d’espaces de libre expression, tout comme les organisations sociales.
Ce qui est fondamental pour nous, c’est d’être positifs, comme nous l’avons été jusqu’à présent. Il y deux Équateur, l’Équateur négatif, qui a été celui d’un petit groupe de privilégiés, et celui que nous proposons. Et soyons clairs là-dessus, ce nouveau processus n’en est qu’à ses débuts. La véritable histoire du changement, celle de la révolution, commence aujourd’hui, avec la nouvelle constitution. Et ça aussi, ce n’est qu’un début. Je ne crois pas voir un jour les conséquences profondes de ce processus historique. Les deux ou trois générations qui viennent auront ce privilège.
Pour le Secrétariat, quelles avancées majeures propose la nouvelle constitution ?
Un des éléments fondamentaux de la nouvelle constitution consiste à la légitimation d’espaces, de droits et de la participation citoyenne. Le Conseil de la participation citoyenne et du contrôle social va être créé, comme représentation institutionnalisée de la participation citoyenne. C’est ainsi que le pays doit fonctionner afin de réellement institutionnaliser ces espaces.
Le Secrétariat va créer des assemblées à partir d’entités territoriales de base comme le quartier, la paroisse, le canton... Ces assemblées seront des espaces de discussion permanente, sur des thèmes spécifiques, ou sur ce qui se passe dans le pays. Comme pour une pâte à pain, nous allons incorporer les gens au débat, aux processus en marche, et nous allons surtout démocratiser la voix du peuple, depuis la base.
Traduit de l’espagnol par l’auteur.
c_kenderian[AT]yahoo.fr
[1] Depuis la crise majeure qui a frappé l’Équateur en 1999, trois millions de personnes ont quitté le pays, en quête du rêve américain ou européen. A tel point que l’envoi d’argent aux membres de la famille qui vivent encore en Équateur constitue la deuxième ressource du pays derrière le pétrole.
[2] Le 28 septembre dernier, le peuple équatorien a approuvé par referendum une nouvelle constitution (64% oui, 28% non, 7% blanc, 1% nul). Auparavant, 130 représentants avaient été élus par le peuple afin de rédiger ce nouveau projet de constitution pour l’Équateur.