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DIAL 2295

CHILI - Raúl Silva Henríquez, une grande figure du XXème siècle

Gustavo González

samedi 1er mai 1999, mis en ligne par Dial

Le cardinal Raúl Silva Henríquez est mort le 9 avril à l’âge de 91 ans. Il fut, comme archevêque de Santiago et créateur du Vicariat de la solidarité, un éminent défenseur des droits de l’homme durant la dictature du général Augusto Pinochet. Sa mort a été l’occasion pour d’innombrables Chiliens de lui rendre un dernier hommage. Texte de Gustavo González, IPS, 9 avril 1999.


Le cardinal Raúl Silva Henríquez est entré aujourd’hui dans l’histoire comme la plus grande figure de l’Église catholique du Chili en ce siècle, pour son inébranlable défense des droits humains et le profond contenu social de son travail pastoral.

Né le 27 septembre 1907 dans la ville de Talca, à 258 kilomètres au sud de Santiago, Silva Henríquez a été à la tête de l’archevêché de Santiago pendant 22 ans, de mai 1961 à mai 1983.

Sa figure a acquis un prestige mondial pendant la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), quand l’Église chilienne devint le premier, et pendant longtemps l’unique bastion protecteur des persécutés par la répression de l’État.

Pendant que l’ex-dictateur reste détenu à Londres, des milliers de croyants et non-croyants à Santiago, des conservateurs aux communistes, rendent hommage au pasteur qui a laissé comme son œuvre la plus importante la création du Vicariat de la solidarité en 1976.

Le cardinal a été primat de l’Église chilienne pendant trois gouvernements constitutionnels de différentes tendances : conservateur avec Jorge Alessandri (1958-1964), démocrate-chrétien avec Eduardo Frei Montalva (1964-1970) et socialiste avec Salvador Allende (1970-1973).

Après le renversement sanglant d’Allende, le 11 septembre 1973, Silva Henríquez est resté archevêque de Santiago jusqu’en 1983, quand il a dû prendre sa retraite à 75 ans, selon les normes établies peu avant par le Vatican.

Son parcours religieux a commencé en 1930, lorsqu’il rentre comme novice dans la Congrégation salésienne, un an après avoir obtenu le titre d’avocat à l’Université catholique du Chili. Sa passion pour les lois et sa vocation religieuse sont allées de pair. Il se rendit en 1934 en Italie, où il obtint un doctorat en droit à Turin. Le 3 juillet 1938, toujours en Italie, il fut ordonné prêtre et revint l’année suivante au Chili.

Il fut un grand éducateur salésien, professeur de théologie et fondateur de la Fédération des Instituts de l’éducation, créateur de la revue Rumbos en 1948.

Très tôt, le prêtre Silva Henríquez s’est consacré à la dimension sociale du travail ecclésial, participant à une tendance qui s’est développée pendant le pontificat de Jean XXIII et le Concile Vatican II qui s’est ouvert en 1962. Cette préoccupation sociale s’est manifestée dans son travail d’organisateur de l’Institut catholique des migrations en 1954 et il eut le premier la responsabilité, à partir de 1956, de la filiale de Caritas international au Chili.

Jean XXIII le nomma évêque de Valparaíso en 1959 et deux ans après seulement, après la mort de José María Caro, le premier cardinal chilien, il le fit archevêque de Santiago, à la place de l’évêque conservateur Emilio Tagle, principal « candidat » à cette charge.

Au début de sa fonction comme primat de l’Église chilienne, et notamment sous le gouvernement de Frei Montalva, Silva Henríquez donne un élan au processus de réforme agraire en distribuant à des paysans des terres du patrimoine ecclésiastique.

Orateur remarquable, le cardinal a laissé de nombreuses homélies qui ont été diffusées ce vendredi par les radios chiliennes, avec des enregistrements qui sont à la fois un témoignage d’engagement social et pastoral et d’une grande richesse litté-raire.

Brillant causeur, connaisseur en vins et grand gourmet, Silva Henríquez s’était lié d’une solide amitié avec Allende, l’homme politique marxiste et franc-maçon qui arriva à la présidence en 1970 comme représentant de l’Unité populaire.

Le cardinal a été présent dans les grandes concentrations ouvrières du Premier mai, et en 1971 il fut l’interlocuteur privilégié de Fidel Castro pendant sa visite au Chili et le convainquit d’autoriser une exportation de Bibles à Cuba.

Le 13 septembre 1973, seulement deux jours après le coup d’État, l’Église fut la première à demander à la junte militaire dirigée par Pinochet de respecter les droits des opposants et les conquêtes des travailleurs.

Ces demandes, ainsi que celles de retour rapide à l’institutionnalité ne furent pas entendues par le pouvoir militaire, alors que le désespoir se propageait parmi les victimes d’une répression qui se déchaînait sur une grande échelle.

À l’initiative de Silva Henríquez, le 6 octobre 1973, a été créé le Comité pour la paix, un organisme œcuménique à but humanitaire auquel participèrent également des rabbins, des pasteurs luthériens, méthodistes et pentecôtistes. Le comité fut dissous en novembre 1975 sous la pression de la dictature. Depuis juin 1974, la Direction du service de renseignement national de l’armée (DINA), symbole de la violation systématique des droits humains, avait une existence officielle. Le cardinal a alors assumé le rôle qui revenait à l’Église catholique : continuer la lutte pour la protection des persécutés par la dictature et, le 5 janvier 1976, il créa officiellement le Vicariat de la solidarité en tant que dépendance de l’archevêché de Santiago.

Le 22 mai 1978, dans les églises de tout le Chili, commença la première grève de la faim, qui dura 17 jours, du Groupement des familles de détenus-disparus, né sous l’aile protectrice du Vicariat.

C’est par cet organisme de solidarité qu’en septembre 1978 furent rendus publics les preuves et les documents sur les 613 premiers cas de disparitions forcées et que fut dénoncée en novembre la présence des corps de quinze disparus dans des fours à chaux de la localité de Lonquén, proche de Santiago.

De nombreux autres épisodes de dénonciation des crimes de la répression et de protection des droits humains sont restés gravés dans l’histoire du Vicariat de la solidarité, dont l’importance historique fut reconnue le 31 janvier 1986 par le prix Príncipe de Asturias, en Espagne.

Roberto Garretón, avocat du Vicariat, a souligné ce vendredi que toute cette œuvre aurait été impossible sans la force, la volonté, la foi, la capacité d’organisation et la générosité de Raúl Silva Henríquez.


DIAL a publié de nombreuses déclarations du cardinal Silva Henríquez ainsi que diverses informations relatives à ses activités, depuis le coup d’État du général Pinochet en 1973 jusqu’au départ du cardinal à la retraite (1983) : cf. DIAL D 123 : Sermon du cardinal Silva pour la fête nationale, 124 : Déclarations publiques du cardinal de Santiago, 143 : Déclarations du cardinal à son retour d’Europe, 163 : Le cardinal de Santiago prend ses distances avec la Junte, 291 : Déclaration des principes du Vicariat à la solidarité, 582 : L’auto-censure du cardinal, 626 : Tension Église-État, 713 : Le régime vu par l’épiscopat.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2295.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, avril 1999.

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