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DIAL 2311
MEXIQUE - Chiapas : « Tandis que l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) s’engage vers la voie politique, le gouvernement fait donner l’armée, et le Vatican jette de l’huile sur le feu. »
André Aubry
mercredi 1er septembre 1999, mis en ligne par
Le texte ci-dessous, daté du 20 août, provient de André Aubry, directeur de l’INAREMAC (San Cristóbal de las Casas, Chiapas). Voir introduction du dossier D 2310.
Vers le 20 juillet, l’envoyée de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, Asma Jahangir, cherche un contact avec Marcos. Tout était prévu et concerté : horaire, lieu, avion-taxi. Au dernier moment arriva un message : « il n’y a plus les conditions requises ». Trois semaines plus tard, le même scénario se présenta pour la Commission ad hoc de la Conférence épiscopale mexicaine. À peine s’était-elle retirée, la première page des journaux annonça : « invasion militaire à Amador Hernández avec troupes aéroportées ».
Amador est un hameau à 7 heures de marche derrière La Realidad, à l’entrée de la Réserve écologique de Montes Azules où se sont retirés dans le maquis les habitants de Guadalupe Tepeyac (occupé par l’armée depuis le 9 février 1995) et les autres villages zapatistes menacés. L’intention évidente est de fermer la boucle, pour encercler le refuge zapatiste et lui verrouiller les voies d’une retraite, avec risque d’affrontement avant de rester enfermé dans la souricière. La COCOPA [Commission parlementaire de concorde et de pacification] convoqua le Coordinateur du dialogue Rabasa et lui lança : « Vous cherchez la guerre. » Le lendemain, le gouverneur intérimaire du Chiapas, Albores, lui répondit depuis la place militaire de San Quintin en un discours belliqueux : « les problèmes du Chiapas ne s’arrangent plus depuis Mexico. Le Chiapas les prend en main. » Il annonçait en outre un mandat d’arrêt des observateurs nationaux qui s’étaient interposés entre les bases d’appui zapatistes et les troupes.
Cette opération militaire spectaculaire (création immédiate de campements, d’un héliport, parachutistes lâchés dans la jungle, mouvement de 8 000 soldats) a lieu après d’intenses activités politiques, pacifiques et légales de l’EZLN [Armée zapatiste de libération nationale] : en juillet, à l’Aguascalientes (ou agoras civiques et culturelles des zapatistes) de Roberto Barrios, tzeltals, chols et zoques se sont préparés à des tâches éducatives avec d’éminents spécialistes du pays ; début août, à La Realidad, rencontre massive des zapatistes avec le syndicat d’instituteurs de « la tendance démocratique » ; au week-end suivant, avec des maîtres ruraux et leurs professeurs de l’Université pédagogique nationale ; puis profitant des vacances universitaires, avec des chercheurs de l’INAH (une espèce de « Beaux-Arts » mexicains), étudiants d’archéologie, grévistes et professeurs de l’UNAM [Université autonome du Mexique], et le syndicat des travailleurs d’une autre université, pour faire barrage à un projet de loi sur la privatisation des biens nationaux (dont les sites archéologiques). Chiffre moyen de chacune de ces rencontres (qui nous ont valu plusieurs communiqués centrés sur la « mémoire historique ») : 500 participants, soit plus de 2 000 en moins d’un mois.
Comme on sait, l’art. 2 de la Loi sur le dialogue demande à l’EZLN de se réorienter vers des activités légales et pacifiques. Mais l’opération militaire Amador semble montrer que le gouvernement et l’armée sont plus outillés pour faire face à des guérilleros qu’à une force politique rejointe par des participants de l’ensemble du pays.
La succession de Samuel Ruiz est-elle remise en cause ?
Lors de ce même mois d’août, une délégation de l’épiscopat mexicain donnait raison à un vieux communiqué polémique de Marcos sur « le haut clergé aux portes de l’enfer de Dante », il y a presque deux ans. En une première déclaration digne des évêques argentins au temps de Videla, les évêques félicitaient le gouverneur Albores, mettant ainsi don Samuel - présent - en situation délicate. Puis, avant de partir, ils diffusaient une longue dissertation théologique En pèlerinage vers la paix, aveugle devant les drames du Chiapas (par exemple, ses 24 000 déplacés ne seraient qu’un « problème » et une « conséquence » de la division des communautés), et demandaient à l’armée, sans ironie, d’« aider à améliorer les conditions des plus vulnérables ». Même ainsi, le message ne plut pas au gouvernement.
Les évêques avaient lu ce texte dans l’église de la mission jésuite de Bachajón en présence de plusieurs milliers de tzeltals et chols, parce que Don Samuel avait profité de la circonstance pour faire ses adieux à cette zone du diocèse, et remettre sa crosse publiquement entre les mains de Don Raúl Vera, son coadjuteur avec droit de succession. Mais le lendemain, les évêques, de retour de Mexico, recevaient une semonce sévère de la nonciature parce qu’ils auraient été complices ingénument d’une prise de possession du successeur de Don Samuel. En un communiqué, le nonce et le président de la Conférence épiscopale, évidemment sur instruction vaticane, demandaient des excuses publiques en faisant entendre que le pape ne s’était pas encore prononcé sur l’avenir de Mgr Raúl Vera. En clair, Rome ne veut pas que ses relations diplomatiques avec l’État mexicain soient compromises par un continuateur de don Samuel.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2311.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : INAREMAC, août 1999.
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