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DIAL 2317

BRÉSIL - Le travail des enfants dans la production de tabac

Clarinha Glock

mercredi 15 septembre 1999, mis en ligne par Dial

Après avoir présenté il y a quelque temps (cf. DIAL D 2223) une vue d’ensemble sur le travail des enfants au Brésil, DIAL donne ici un aperçu plus particulier sur le travail des enfants dans la production de tabac. Cette situation concerne tout particulièrement l’État de Rio Grande do Sul, où travaillent près de 520 000 jeunes âgés de moins de 18 ans, dont 32 % ont moins de 14 ans. Situation scolaire, composition de la famille, condition économique des unités de production, utilisation des produits toxiques, tentatives menées pour venir à bout de cette situation, tels sont les différents points évoqués dans cette présentation signée de Clarinha Glock, diffusée par IPS, janvier 1999.


Daniel Lopes Lencine, six ans, rassemble avec une habilité impressionnante les feuilles jaunes de tabac sec et, d’un geste, les lie dans une grande feuille.

Lier le tabac se dit « faire des poupées », quelque chose qui évoque les jouets et l’amusement. C’est ainsi qu’adultes et enfants de Camaquan, une municipalité du Río Grande do Sul, au Brésil, égayent le travail qu’ils font depuis longtemps.

Dans l’atelier plein de feuilles sèches, avec l’odeur presque suffocante du tabac, Daniel, ses deux petites sœurs et son cousin vivent une bonne partie de leur enfance. Au même endroit, son père, Manoel Herculano Lencine, 36 ans, déplore le jour où il est né planteur de tabac.

Il n’a que trop de raisons de se plaindre. Un jour, en ouvrant une boîte contenant du poison pour les plantations du tabac, le gaz soufflé par le vent a atteint ses jambes. La cicatrice est très visible, la peau a perdu sa couleur et les démangeaisons sont parfois insupportables.

« Le médecin a dit que c’était une mycose, mais moi je lui ai affirmé qu’il s’agissait d’une intoxication par un poison », se souvient Lencine, qui a des étourdissements et de fréquents maux de tête. Les enfants souffrent d’anémie et de bronchite mais ils aident quand même le père dans son travail.

L’aîné paraissait bien prédestiné à ne pas vivre vraiment son enfance. Il ne va pas encore à l’école, il consacre son temps à sortir le tabac de l’étuve ou à « faire des poupées ». En un seul jour, il a réussi à lier 30 kilogrammes de tabac, à la grande fierté de son père, qui assure ne pas l’obliger à travailler.

Il est rare qu’il joue au football ou regarde la télévision. Parfois, il a des vomissements et des maux de ventre, un malheur qui affecte aussi ses sœurs, Vanessa, quatre ans, et Daniela, deux ans, qui restent dans un coin de l’atelier, regardant leur frère empiler les feuilles.

« Je n’ai personne à qui les laisser, la terre n’est pas à moi, je cultive au pourcentage », dit le père. « Si tout le monde va faire des études, il ne reste personne dans l’agriculture » explique la grand-mère María, qui est fière d’avoir élevé dix enfants travaillant dans le tabac.

Des enfants qui n’achèvent pas l’année scolaire

Une étude du Bureau régional du ministère du travail montre que beaucoup d’enfants et d’adolescents sont retirés des collèges avant la fin de l’année scolaire pour travailler dans le tabac, dans des tâches aussi épuisantes que celles de leurs parents.

À présent, sous la pression des conseils municipaux de l’enfance et de l’adolescence, on essaye de les maintenir dans les études.

Au moyen de questionnaires remplis dans les salles de classe, les enquêteurs ont mis en évidence que les jeunes travaillent en moyenne près de quatre heures et demie tous les jours, pendant toute l’année.

Les données recueillies dans cinq municipalités - Camaquan, Candelaria, Río Pardo, São Lourenzo do Sul et Venancio Aires - toutes productrices de tabac, ont été remises au ministère de la santé pour qu’il prenne des mesures de lutte contre le travail des enfants, comme cela se fait déjà dans les mines de charbon et dans les champs de canne à sucre dans d’autres régions du Brésil.

Près de 520 000 jeunes âgés de moins de 18 ans travaillent dans le Río Grande do Sul, dont 32 % ont moins de 14 ans.

À 124 kilomètres de Porto Alegre, la capitale de l’État, Camaquan a 62 000 habitants. Ici les enfants commencent à travailler vers sept ans, mais ils font des journées plus longues à partir de 14 ans, ce qui diminue leur rendement scolaire.

Il est courant qu’ils travaillent même les samedis dans le tabac, surtout pendant les mois d’été, la période de la récolte.

Dans le système familial, les enfants ne sont pas considérés comme des employés

Le personnel du Bureau régional reconnaît qu’il est difficile de les retirer du travail, car le tabac permet le maintien des agriculteurs dans la région. À l’heure actuelle, 71 720 familles vivent de cette activité dans cet État.

Le revenu mensuel moyen des personnes est de 334,37 reales, ce qui correspondait à 278 dollars avant la dévaluation de la monnaie brésilienne, qui dépasse déjà 40 % depuis le 13 janvier.

Étant donné qu’il est impossible d’embaucher une main-d’œuvre salariée, les planteurs de tabac se voient obligés de faire participer leur famille aux travaux agricoles, qui demandent beaucoup d’efforts. Chaque cueillette exige 200 jours de travail par personne et par an, neuf fois plus que pour les haricots par exemple.

Il y a aussi une question culturelle. Les parents font valoir que les enfants ne voudront pas rester à la campagne s’ils n’apprennent pas à travailler tôt.

Les fonctionnaires du ministère du travail reviendront cette année dans la région pour organiser des discussions sur les risques du travail des enfants et l’importance de l’éducation scolaire. On met en avant le statut de l’enfant et de l’adolescent, une loi qui interdit le travail nocturne et insalubre aux moins de 18 ans.

Le problème est que, dans le système familial, les enfants ne sont pas considérés comme des employés et l’accord des entreprises de tabac avec les agriculteurs se fait de manière à ne pas signer un contrat agricole ou de louage.

Cela rend plus difficile la tâche du ministère du travail qui s’occupe des infractions, fait remarquer l’inspecteur Claudio Carvalho Menezes, pour qui une action efficace pour supprimer l’utilisation de main-d’œuvre infantile dépend du ministère public et des municipalités.

Les produits toxiques menacent la santé des enfants

Les garçons et les filles de la région productrice de tabac dans le sud du Brésil souffrent fréquemment d’intoxications par des poisons agricoles qui s’ajoutent à leur exploitation dans un travail illicite.

Un des cas a été celui de Natalia Konflanz qui, à un an, mit sa sucette dans un endroit où s’accumulait un pesticide et a survécu parce que ses parents l’emmenèrent d’urgence dans une clinique. Aujourd’hui, à quatorze ans, sa vie est encore en danger.

Natalia va à l’école le matin et récolte le tabac l’après-midi. Elle dit que le travail ne lui plaît pas et qu’elle préfère regarder la télévision. Parfois, elle prétexte qu’elle a des compositions à l’école, afin de ne pas aller travailler ; elle essaye de faire ce qui lui plaît le plus : étudier pour obtenir le diplôme de professeur.

Son père, Evaldo Konflanz, qui a quarante ans, raconte qu’il souffre de diabète, d’hypertension, de stress et de vertiges, pendant qu’il travaille dans le patio de sa maison, entouré de feuilles de tabac. Il habite depuis longtemps dans la campagne de Camaquan, une municipalité de l’État de Río do Sul. Il a grandi pratiquement dans un berceau de tabac, travaillant dans l’exploitation familiale depuis l’enfance. Il ne se rend pas compte qu’il souffre très probablement d’une intoxication chronique à cause des produits agricoles toxiques employés dans la culture du tabac.

Evaldo Konflanz a dû interrompre momentanément son travail, il y a deux ans, à cause de vomissements et d’une fatigue générale. Mais il ne demande pas toujours une aide médicale. Comme les autres travailleurs du tabac qui souffrent des mêmes problèmes, il prend parfois un médicament contre les vertiges et continue à travailler. Le médecin est seulement consulté dans les situations critiques.

Des symptômes semblables sont apparus dans le reste de la famille. La femme de Konflanz a le dos couvert de petits points rouges, à cause d’une allergie au tabac, et elle vomit quand elle s’approche des feuilles vertes. Pourtant, elle travaillait encore dans les champs quelques jours avant la naissance de sa première fille, Natalia.

La maladie des adultes affecte aussi les enfants, car ceux-ci doivent se charger de tout le travail quand leurs parents ne peuvent pas le faire.

L’intoxication n’est pas le seul risque pour la santé. La posture adoptée pour faire la récolte de novembre à février, les mouvements répétitifs et la fatigue, associés aux températures élevées, font que ces travailleurs sont plus vulnérables aux maladies.

L’exposition permanente aux produits agricoles toxiques peut provoquer des troubles mentaux et des problèmes neurologiques, comme la dépression, des tremblements et la perte des réflexes, selon un rapport publié en 1998 par le Bureau régional du ministère du travail sur les enfants et les adolescents dans les plantations de tabac.

« On constate que le nombre de personnes atteintes de cancer a augmenté, ainsi que la naissance de bébés sans cerveaux », note le document, qui prévient aussi que la contamination du sol pourrait affecter les générations futures.

Sur les 64 690 cas d’intoxication enregistrés en 1996 au Brésil, 26,7 % concernent les États du sud.

Dans le Río Grande do Sul, grand producteur de tabac, il y a eu 10 285 personnes affectées par les produits agricoles toxiques, mais on estime que les chiffres seraient plus importants si tous les cas étaient signalés.

L’application incorrecte des pesticides, sans équipements de protection ni connaissances techniques, accroît les intoxications des travailleurs.

Sur 1 298 écoliers interrogés par le Bureau régional du travail dans cinq municipalités cultivant le tabac, 120 ont dit avoir participé à l’application de produits chimiques, bien que la législation brésilienne interdise que cette activité soit exercée par des enfants et adolescents. Dix-huit de ces travailleurs mineurs ont été hospitalisés à cause du contact avec les produits agricoles toxiques, six d’entre eux avaient moins de douze ans.

« Il est courant que ces cas soient traités à la maison avec des anti-

allergiques, des médicaments familiaux et du repos », a fait remarquer Claudio Carvalho Menezes, inspecteur du Bureau régional du travail.

Le représentant local du ministère du travail, Mauro Moura de Azevedo, a fait savoir que l’étude faite par Menezes et la sociologue Eridan Moreira Magalhaes a pour but la planification des actions de lutte contre le travail des enfants dans des situations à risques dans les plantations de tabac.

Le mal de dos est la plainte la plus fréquente des jeunes. Cela est dû à la répétition du mouvement d’inclinaison pour ramasser les feuilles de tabac et les transporter, ce qui force les colonnes vertébrales encore en formation.

Maux de tête et vertiges occupent la deuxième et la troisième place et sont attribués à la longue exposition au soleil ou à la forte odeur des produits toxiques. Les irritations de la peau, les difficultés d’apprentissage et l’insomnie sont les autres problèmes signalés par les garçons et les filles de la région.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2317.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : IPS, septembre 1999.

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