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DIAL 2389

BRÉSIL - Justice dans le sud du Pará : un premier pas la condamnation du « fazendeiro » Jerônimo Alves de Amorim

Commission pastorale de la terre de Rio Maria

vendredi 16 juin 2000, mis en ligne par Dial

Une victoire incontestable vient d’être remportée dans le sud du Pará : victoire de la justice et victoire des paysans dont la vie est menacée par les grands propriétaires terriens, victoire aussi de tous ceux qui luttent contre l’impunité. Ci-dessous, on pourra lire le communiqué de la Commission pastorale de la terre de Rio Maria, relatif à la condamnation de Jerônimo Alves de Amorim (cf. DIAL D 2384).


Le fazendeiro Jerônimo Alves de Amorim a été condamné, le 6 juin 2000, à 19 ans et 6 mois de prison. Par 6 voix contre une, les jurés de la Cour d’assises de Belèm ont conclu que Jerônimo a de fait commandité le meurtre du dirigeant syndical Ribeiro de Souza, le 2 février 1991, dans la ville de Rio Maria, dans le sud du Pará.

Le jugement a été conclu par la lecture de la sentence de condamnation au terme d’approximativement 10 heures et demi de débats. Les avocats de la défense n’ont pas réussi à renverser la thèse très claire de l’accusation, fondée sur plusieurs dépositions. Parmi celles-ci, celles du tueur à gages qui a déclaré avoir reçu 200 mille cruzeiros pour « faire le service ». L’accusation, conduite par le procureur Edson Cardoso et assistée par l’avocat Luiz Eduardo Greenhalg (ainsi que Me Mary Nolan, fr. Henri Burin des Roziers, Carlos Cabral, Jorge Farias et Egídio Sales Filho), a cité comme témoin le journaliste José Vanildo Mendes de Silva qui travaillait à l’époque des faits au Jornal do Brasil et avait réalisé une interview du gendre de Jerônimo, Sergio Moraes. Celui-ci avait confirmé l’implication de Jerônimo Alves dans ce crime tout en niant que l’accusé ait accepté la proposition faite par le tueur Barreirito.

La preuve présentée par l’accusation n’a laissé toutefois aucun doute sur cette implication : il s’agit d’un carnet de chèques trouvé au siège de la fazenda de Jerônimo portant les noms d’Expedito et de Paulo Vilartes (autre dirigeant syndicaliste de Rio Maria « à abattre »). L’expertise graphologique devait confirmer que l’écriture était celle du gérant de la fazenda de Jerônimo : Francisco Assis Ferreira, surnommé « Grilo », qui confessa la participation de Jerônimo dans le crime.

Face à l’évidence des faits, la défense a usé de plusieurs subterfuges, s’efforçant de minimiser la portée des témoignages, affirmant que ceux-ci avaient été recueillis sous la torture, thèse véhémentement réfutée par l’accusation. Par ailleurs, l’avocat de la défense, Americo Leal (Leal = loyal... ironie du destin de certains noms !) essaya de créer la confusion parmi les jurés en présentant un film et des photos visant à suggérer l’implication des paysans dans les crimes intervenus dans la fazenda Nazaré, propriété de l’accusé. N’obtenant pas l’effet escompté, la défense commença à accuser le Frère Henri Burin des Roziers d’être lui-même impliqué dans l’assassinat de fermiers de la région. Tentant d’expliquer pourquoi Jerônimo était resté en fuite depuis 1994, y compris hors du Brésil, la défense a comparé cette attitude avec celle adoptée par les exilés politiques poursuivis au Brésil sous le régime militaire : « Jerônimo a fait comme Caetano Veloso et Fernando Henrique Cardoso. Jerônimo a fui pour ne pas mourir. Ceux qui ont choisi de ne pas partir sont morts, comme João Goulart », s’est exclamé l’avocat, suscitant les rires du public qui assistait au jugement.

Essayant de donner une connotation politique au procès, la défense présenta un article récent de la revue Veja, élaboré contre le Mouvement des sans-terre, et essaya de montrer que les armes trouvées dans la maison de Jerônimo, sous le lit du gérant « Grilo » sont d’usage « normal » entre les fazendeiros et que les sans-terre, eux oui, utilisent des armes pour commettre leurs crimes, comme indiqué dans la revue.

Après le jugement, l’ambiance était au soulagement. Tandis que Jerônimo sortait par la porte du fond, menottes aux mains pour être mis dans le fourgon cellulaire, parmi les cris de « assassin » et les prières de la soeur d’Expedito (la victime), Dona Izabel de Souza, âgée de 67 ans, un groupe de travailleurs/ses et de dirigeants se réunissait sur la place devant le Tribunal de justice. Il y eut des chants et des prises de parole de plusieurs personnalités, parmi elles : le père Ricardo Rezende (ex-curé de Rio Maria), Dom Tomás Balduíno, op, (président national de la CPT), Frei Pablo Romo (assistant du maître général des dominicains pour les questions de justice et paix) et les artistes de télévision Marcos Winter et Dira Paes. Le peuple célébrait sa victoire contre l’impunité. « Ce n’est pas la victoire de la justice, mais la victoire des gens », dit, ému, le frère Henri Burin des Roziers. Beaucoup rappelèrent toutefois que ce n’est que le premier jugement, obtenu après 10 longues années d’attente. La lutte pour la justice dans les campagnes du Brésil continue, parce que d’innombrables crimes continuent d’être impunis, et que continuent les menaces et le climat de tension dans le Pará et dans d’autres États du Brésil.

Cette victoire, obtenue après tant d’années de lutte et de pression de la part de la société civile organisée, tant au plan local et régional que national et international, est un pas décisif, encore que ce ne soit d’un début, dans le sud du Pará. Pour l’avancée réalisée, nous, membres du Comité Rio Maria et de la Commission pastorale de la terre, adressons nos remerciements pour la solidarité reçue et pour toutes les initiatives assumées un peu partout par les groupes et organisations, par les personnes et les communautés. Pour ce qui reste à conquérir dans cette lutte contre la violence, contre l’impunité et pour la Vie, ici dans le Pará comme dans le reste du Brésil, nous savons pouvoir compter sur l’engagement de vous tous et vous toutes. Dans l’immédiat, dans ce contexte de violences et de menaces - y compris contre certains de nos compagnons - nous continuerons mobilisés pour protéger la vie, exigeant des autorités des mesures efficaces pour arrêter les forces de mort.

C’est un moment particulièrement opportun pour réaffirmer notre foi dans notre peuple comme sujet de l’histoire et pour augmenter notre espérance, nous qui, à la suite d’Expedito et appuyés sur la promesse du Seigneur de la Vie, croyons que « la paix est fruit de la justice ».

« La paix sera le fruit de la justice. De fait, le travail de la justice produira la tranquillité et la sécurité pour toujours. » (Is.32,17)

Xinguara, le 8 juin 2000

Comité Rio Maria

Commission pastorale de la terre du sud du Pará


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2389.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : communiqué de la Commission pastorale de la terre de Rio Maria, juin 2000.
 
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