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DIAL 3316
BRÉSIL - Exploitation minière et usines hydroélectriques sur les terres indiennes
Dom Roque Paloschi
mercredi 25 février 2015, mis en ligne par
Dans le numéro de janvier 2015, DIAL avait publié un entretien avec l’évêque du Xingu et président du Conseil indianiste missionnaire (CIMI), Dom Erwin Kräutler dénonçant l’aberration de la construction du barrage de Belo Monte. Le texte ci-dessous est la prise de position publique de l’évêque de l’État de Roraima, au nord du Brésil, contre la prolifération des projets d’exploitation minière et d’usines hydroélectriques sur les terres indiennes [1], sans consultation préalable des populations concernées. Texte publié sur le site de la Conférence nationale des evêques du Brésil le 9 juin 2014.
« L’Église est présente en Amazonie pas comme ceux qui ont les valises à la main, pour s’en aller après avoir exploité tout ce qu’ils ont pu ». (Le Pape François aux évêques du Brésil, Rio de Janeiro 27 juillet 2013)
Ces dernières années notre pays a intensifié une politique de croissance économique qui passe par l’exploitation des ressources naturelles à des fins d’exportation. Ce modèle économique n’est pas nouveau et a déjà laissé chez nous son empreinte : inégalités sociales et injustice environnementale. Les bénéfices restent dans de rares mains alors que les impacts et les préjudices, dont bon nombre sont irréversibles, pèsent sur les épaules des communautés indiennes, paysannes, ribeirinhas [2], quilombolas [3] et participent encore aujourd’hui à l’accroissement de beaucoup de nos villes. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un nouveau modèle, nous assistons à son intensification qui rappelle la politique du mal dénommé « développement » mis en œuvre par le régime militaire pendant la décennie 1970.
Cette réalité est encore plus criante en Amazonie. Des dizaines de projets de moyens et grands barrages hydroélectriques sont en cours de réalisation sur les cours d’eau du bassin de l’Amazone : Rio Teles Pires, Rio Branco, Rio Madeira, Rio Tapajos, Rio Xingu, mais aussi sur d’autres cours d’eau amazoniens de pays voisins comme le Pérou et la Bolivie. Les impacts de ces grands projets sur l’environnement sont incalculables et irréversibles, les études scientifiques et l’expérience même de projets antérieurs l’ont déjà suffisamment démontré. Les impacts sur les territoires et la vie de nombreuses communautés ribeirinhas et indiennes — tout particulièrement pour les peuples indiens isolés - seront gravissimes.
Les grands projets hydroélectriques ne sont pas pensés en fonction des communautés et des régions locales. Ils répondent à de plus gros intérêts, ceux d’entreprises nationales et transnationales et au culte de la croissance macroéconomique après laquelle s’acharne à courir la myopie politique. Les centrales hydroélectriques et l’exploitation minière ont toujours avancé ensemble : tout projet hydroélectrique ouvre la porte, favorise et alimente les grands projets d’exploitation minière pour l’exportation qui attendent dans toute l’Amazonie.
Le Gouvernement fédéral se propose de multiplier par quatre d’ici 2030 l’exploitation minière dans notre pays. Dans les années qui viennent il lancera de grands projets d’extraction, raison pour laquelle il s’applique, avec le Congrès national [4], à faire approuver le nouveau Code minier. La Chambre des Députés est saisie d’un projet de loi (n° 1610/99) dont l’objectif est de réglementer l’exploitation minière dans les terres indiennes, sans apporter de garantie quant à la sauvegarde de lieux sacrés ni de mesures pour protéger la vie des communautés.
L’Amazonie est, comme on le sait, une région convoitée par des intérêts miniers qui rassemblent de grandes entreprises transnationales et des acteurs politiques et économiques de notre pays. Rappelons-nous les 30 années d’exploitation du gisement de Carajás, preuve que l’activité minière à grande échelle a des conséquences funestes : c’est un type d’économie qui absorbe la plus grande partie des activités économiques sans parvenir à les diversifier ni à mettre en place une perspective de développement durable dans la région. Elle provoque l’afflux de milliers de travailleurs, la création spontanée de bourgs et de villes et l’accumulation de tonnes de déchets. Il n’y a pas de tentative réussie de politique préventive pour faire face à la fin d’une exploitation minière. Lorsque celle-ci s’épuise (souvent avant le délai prévu) les impacts laissés deviennent irréversibles et la réhabilitation sociale, économique et environnementale est compromise.
À qui peut donc être profitable une telle croissance économique ? Est-ce le développement auquel nous croyons, celui qui crée la vie pour tous, la vie en abondance ?
Pendant le mois de mai, les peuples indiens de l’État de Roraima, du Guyana et du Venezuela, ainsi que le CIMI [5], l’ISA [6] et d’autres se sont réunis dans la communauté de Tabalascada pour le Premier Séminaire au sur l’exploitation minière et les usines hydroélectriques sur les terres indiennes. Lors de cette rencontre, les peuples indiens se sont élevés d’une voix ferme et claire contre ces grands projets sur leurs territoires. « Ce qui est important pour nous c’est la terre, la vie, les forêts, les animaux, la culture, la tranquillité et que ce mode de vie soit assuré pour nos générations futures » affirme le document final de la rencontre. Au Guyana, 68 % du territoire est susceptible d’être affecté par des projets miniers et hydroélectriques. Au Venezuela, les concessions de vastes zones de l’Amazonie à des entreprises chinoises sont en cours, alors que 90 % des terres indiennes n’ont pas encore été démarquées. Au Brésil, en plus de faire avancer des propositions législatives visant à permettre et faciliter de tels projets sur les territoires indiens, des fonds publics (de nous tous !) sont déjà engagés pour financer de grands projets dans des pays voisins : Pérou, Bolivie et Guyana.
Les peuples indiens ont le droit d’être consultés et de décider librement du chemin qu’ils veulent suivre. Dans une note de l’Association yanomami Hutukara (HAY, Hutukara Associação Yanomami) Davi Kopenawa Yanomami affirme sagement : « Nous ne sommes pas contre le développement. Nous sommes uniquement contre le développement que vous, les blancs, voulez nous imposer [...]. Nous, Yanomamis, avons d’autres richesses que nous ont légué nos ancêtres et que vous, les blancs, n’arrivez pas à entrevoir : la terre qui nous donne la vie, l’eau pure que nous buvons, nos enfants rassasiés ». Les États quant à eux ont le devoir légal et moral de consulter les peuples indiens sur toute entreprise ou initiative législative les concernant et, par suite, de respecter leur décision.
Les peuples d’Amazonie apportent une très grande contribution à la vie et à notre avenir. Leur spiritualité profonde, leur relation à la Terre-Mère, aux forêts, aux rivières et à toutes les formes de vie au milieu desquelles ils vivent ; leur impressionnante accumulation de connaissances pointent vers des chemins différents et humanisant pour nous tous.
Les exploitations minières et hydroélectriques constituent les faces d’un projet économique qui lèse non seulement les peuples indiens mais toute la société et la planète. Il agresse la Vie et met en danger les générations qui viendront après nous. Ainsi que l’indique le Document d’Aparecida, conclusion de la Ve Conférence épiscopale d’Amérique latine et des Caraïbes : « Notre sœur la terre mère est notre maison. Mépriser les relations et l’équilibre que Dieu lui-même a établis au sein de la réalité créée est une offense au Créateur, un crime contre la biodiversité et en définitive contre la vie ». (DA, p.125)
Boa Vista, Roraima, juin 2014.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3316.
– Traduction de Jean-Luc Pelletier pour Dial.
– Source (portugais) : site de la Conférence nationale des evêques du Brésil, 9 juin 2014.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] L’expression « terres indiennes » désigne des territoires (dont le propriétaire est l’État brésilien) qui sont attribuées par la loi aux communautés indiennes et sur lesquels elles ont des droits — NdT.
[2] Ribeirinhas se dit des communautés de familles vivant au bord des grands cours d’eau amazoniens — NdT.
[3] les communautés quilombolas — ou simplement quilombos — sont des communautés de descendants d’esclaves fugitifs — NdT.
[4] Comprenant députés et sénateurs — NdT.
[5] Conseil indianiste missionair : organisme lié à la CNBB assurant une présence auprès des peuples indiens — NdT.
[6] L’Instituto Socio-Ambiental (Institut socio-environnemental) est une ONG brésilienne d’intérêt public de défense des droits sociaux et environnementaux — NdT.