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DIAL 2865

HAITI - Préval et les perspectives populaires

Marc-Arthur Fils-Aimé

mercredi 1er mars 2006, mis en ligne par Dial, Marc-Arthur Fils-Aimé

René Préval a été confortablemnt élu président de Haïti, malgré les difficultés lors du dépouillement du scrutin. L’existence d’une majorité est un événement important dans ce pays aux candidats multiples, pauvre, agité par trop de violences, dont les espérances ont été si souvent trompées. Dans un article qu’il nous a fait parvenir, daté du 20 février, Marc-Arthur Fils-Aimé, directeur général de l’Institut culturel Karl Lévêque (Port-au Prince, Haïti) nous fait part de ses réflexions sur la venue de René Préval au pouvoir, les raisons de sa victoire, les tâches qui l’attendent et ses chances de réussite.


D’où est sortie cette marée populaire qui a opté pour René Préval

Ce qu’il a à son actif

Ce soutien à l’ancien président ne relève pas du hasard malgré le caractère un peu taciturne de sa campagne électorale. Il a à son actif ses maigres réalisations, pourtant, supérieures à celles de beaucoup d’autres gouvernements antérieurs, au niveau de l’infrastructure routière et scolaire à travers le pays, sa réforme agraire malgré toutes ses limites, et son comportement non - hautain du pouvoir. Tout cela couronné par sa franchise et son honnêteté vis-à-vis des deniers publics. Sa mi-distance avec Aristide a contribué aussi à lui apporter le support de certaines fractions anti-aristidiennes des classes moyennes sans négliger paradoxalement non plus le poids d’Aristide dans la balance. La plupart des partisans de ce dernier, même ceux et celles qui ne rêvent plus à son retour, espèrent retrouver chez le nouvel élu la « sensibilité » et « l’amour des pauvres » de l’ancien prêtre salésien. D’aucuns supposent que Préval est le seul de tous les candidats en lice capable de mettre fin au cycle de la violence qui endeuille toutes les classes sociales.

L’échec du gouvernement technocrate

L’échec du gouvernement de transition a poussé aussi le peuple du côté de Préval. La nation n’a pas vraiment avancé sous la baguette de ce que l’on se plaît à appeler le gouvernement des technocrates, comme si la politique était soumise totalement à la technocratie. Ce gouvernement avait concédé 2 ans de franchise à la grande bourgeoisie pour compenser sa perte lors des turbulences anti-Aristide de 2004. Pourtant, la cherté de la vie n’avait jamais atteint ce pic. Les milieux populaires qui ont lié ces deux éléments (l’échec du gouvernement et l’égoïsme de la bourgeoisie), n’ont pas caché leur déception. Le choix ne se veut pas seulement une simple attitude sentimentale, il a clairement un caractère de classe. Il est très difficile pourtant d’affirmer qu’on s’achemine vers un pouvoir alternatif, consciemment choisi par un prolétariat ou par des classes populaires organisées sans nier quand même un certain véhicule favorisant la circulation et le respect des mots d’ordre donnés. C’est le rejet par un nombre impressionnant des défavorisés des quartiers populaires de la classe politique traditionnelle qui a propulsé à nouveau Préval au-devant de la scène politique haïtienne. L’absence remarquable d’un mouvement populaire fort et cohérent lui a aussi pavé la voie.

Préval et les perspectives populaires

Cette population n’a pas dépensé toute son énergie pour le simple retour de Préval à la première magistrature de l’Etat. Si son vote signifie le rejet de la classe politique traditionnelle et de ses alliés toujours composés des grands propriétaires fonciers, des tenants des banques et des grandes maisons commerciales et industrielles, elle attend de lui un mieux être réel, non démagogique, à court terme. Le cinquante -cinquième président de la République d’Haïti ne pourra plus continuer à chevaucher simultanément le camp populaire et celui de la bourgeoisie. Il lui faut, même s’il ne se sent pas prêt ou s’il refuse idéologiquement à mener une lutte frontale contre les classes dominantes haïtiennes conservatrices et récalcitrantes de par leur nature, prendre des mesures drastiques pour exiger de ces dernières de se conformer aux règlements fiscaux, et pour payer les impôts, une telle décision qu’elles n’ont jamais voulu accepter.

Nous décelons ici une première source de confrontation entre cette classe rétrograde et le nouveau gouvernement, vu cette franchise douanière mentionnée plus haut. S’il entend imprimer une nouvelle facette à son nouveau mandat, différente du premier, ses premiers ennemis se recruteront aussi dans l’administration publique parmi la plupart de ses membres rompus à la corruption. Pourtant, ces recettes devraient constituer sa première source de financements pour répondre à certains besoins urgents et populaires et pour empêcher que cette même popularité ne soit retournée contre lui en faveur de l’exilé d’Afrique du Sud et de ses plus fidèles alliés toujours à l’affût bien que le président Préval ne puisse assumer ou du moins tout au début de son administration son retour que ne souhaitent pas de larges couches nationales et beaucoup de dirigeants des grandes puissances. La secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Condoleeza Rice, s’est opposée publiquement à la présence de l’hôte de Nelson Mandela sur sa terre natale.

L’argent ne sera pas versé à flots au nouveau président

Le Cadre de coopération international (le CCI), a déjà hypothéqué plus d’un an et demi de son mandat. La dernière entente conclue entre le binôme Alexandre/Latortue le lie jusqu’en septembre 2007, bien que cette communauté internationale n’ait répondu que très partiellement à tous ses engagements envers ses poulains de la transition. Pourquoi cette communauté internationale deviendrait subitement plus conciliante avec Préval qu’avec le gouvernement intérimaire qui est le résultat immédiat de ses démarches ? Ce n’est pas d’aujourd’hui que se déploie une tendance au niveau d’un certain courant dirigeant international pour mettre Haïti sous tutelle sous prétexte que ce pays est devenu une entité chaotique et ingouvernable. Cependant les évènements du 7 février de cette année ont déjoué cette fois encore ce plan concocté de longue date dans certaines ambassades étrangères.

Une autre attente populaire qui semblera orientée à très court terme le gouvernement de Préval est son attitude vis-à-vis de l’occupation qui n’a rien apporté de bénéfique au pays. Il avait promis pendant sa campagne électorale de garder la présence de ces troupes sur le territoire national tout en modifiant son mandat s’il arrivait à gagner les élections. Les supporteurs de cette force font croire que sans la MINUSTAH, il y aurait déjà au moins un coup d’Etat. De qui ? Qui fomente généralement ces coups d’Etat ici et ailleurs ? Pourtant, pour tous les courants progressistes nationaux et internationaux, pour la grande majorité des organisations populaires, les forces occupantes n’ont pas leur place dans le pays qui a besoin d’autres aides plus conséquentes que les chars et les fusils étrangers.

En guise de conclusion

Préval a devant lui 5 longues années difficiles. Ses limites idéologiques et matérielles ne l’aideront pas à satisfaire la plupart des revendications populaires. Ses ennemis politiques de divers horizons ne tarderont pas non plus à lui mettre le bâton dans les roues d’autant que tout indique qu’il n’aura pas la majorité des deux Chambres pour soutenir ses initiatives. L’opposition, vu sa peur du peuple, se pencherait davantage vers le boycott latent ou violent pour faire écran à lavalasse [1] pour mieux se positionner aux prochaines élections. Sa seule planche de survie demeure le soutien infaillible politique des masses qui viennent de donner une leçon de lucidité à l’ensemble des classes dominantes et dirigeantes du monde entier qui ne se débarrasseront pas bientôt de tous leurs préjugés et stéréotypes anti-populaires. A la seule condition que Préval maintienne le cap de ses prétentions : changer ou du moins améliorer la vie de la majorité avec la promotion de la production nationale, une prétention malheureusement qui est incompatible avec le choix néolibéral de son premier quinquennat.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2865.
 Texte (français) envoyé par l’auteur et daté du 20 février 2006.

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[1Parti de l’ex-président Aristide.

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