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DIAL 2863 - Dossier El Salvador : Les victimes des catastrophes dites « naturelles »

EL SALVADOR - II. L’« option pour les riches » et le « peuple crucifié »

Jon Sobrino

mercredi 1er mars 2006, mis en ligne par Dial

Jon Sobrino est l’un des théologiens majeurs d’Amérique latine aujourd’hui, qui s’inscrit dans le courant de la théologie de la libération. Outre les atrocités de la guerre civile en El Salvador, il a été particulièrement marqué par le drame de l’assassinat dont ont été sauvagement victimes les autres jésuites de sa communauté à San Salvador, ainsi que deux autres personnes vivant sur place. La question des victimes est un thème central de sa théologie. Il s’interroge donc ici sur l’attribution à la nature de catastrophes dont les hommes sont largement responsables et relit dans une autre perspective l’essentiel du message chrétien. Texte paru dans la revue CLAR, (Colombie), publiée par la Confédération latino-américaine des religieux et religieuses, octobre-décembre 2005.


Les victimes d’octobre

En El Salvador il y a toujours des martyrs à garder en mémoire. Maintenant nous nous sentons tout proches de ceux de la UCA [1], des quatre religieuses nord-américaines en décembre [2] et des innombrables martyrs de toujours. Mais octobre dernier a fourni d’autres victimes, oeuvre de la nature - ouragan et éruption d’un volcan - et de l’iniquité humaine. A San Marcos toute une famille, les parents et trois enfants, est morte ensevelie. Le commentaire fut laconique et pertinent : « Ce n’est pas la nature qui les a tués mais la pauvreté. »

Sur ces victimes et les responsables, sur ce qu’elles exigent de nous et aussi sur ce qu’elles nous offrent - si nous nous ouvrons au mystère de la vie - nous voulons faire quelques brèves réflexions.

« C’est toujours la même chose avec les mêmes gens »

Le peuple crucifié

Les scènes de souffrance et de cruauté sont bouleversantes, et leur ampleur est effrayante. Les morts sont plus de 70, les hommes et femmes sinistrés, d’une manière ou d’une autre, dépassent les 70 000 et les dégâts matériels représentent peut-être l’équivalent de trois ou quatre fois le budget national. La catastrophe s’étend au Mexique, au Nicaragua et surtout au Guatemala. Le village de Panabaj a été déclaré cimetière : 3 000 personnes environ sont mortes ensevelies. « Un village maya gît sous 12 mètres de boue », disait l’information. Au moment d’écrire ces lignes, s’est produit le tremblement de terre au Cachemire : 30 000 victimes et 2 millions et demi de sinistrés.

Devant cela, notre première réflexion est la suivante. Ces terribles réalités ne nous offrent rien que nous n’ayons déjà vu. Avec des nuances différentes, elles nous disent toujours la même chose : dans leur immense majorité, les victimes sont toujours les pauvres. Les catastrophes montrent la pauvreté de notre monde, et, à son tour, cette pauvreté est, pour une bonne part, à l’origine des catastrophes et de leurs conséquences. Nous nous sommes habitués à cela tout naturellement, afin que la psychologie, l’insensibilité ou la mauvaise conscience des êtres humains puissent cohabiter avec la catastrophe. Sans prononcer les mots, cela revient à dire : « C’est normal que eux, les pauvres, souffrent car les choses sont ainsi. Il serait anormal que nous, hommes et femmes, qui ne sommes pas pauvres, souffrions de ce genre de malheurs. »

Ceux qui souffrent dans les inondations, les tremblements de terre et l’éruption des volcans - comme maintenant celui de Santa Ana - ceux qui n’ont pas de travail ou sont licenciés, les mojados [3] et les expulsés des Etats-Unis, ceux qui perdent leur petite maison et leurs maigres biens, ceux qui voient mourir leurs fils et leurs filles ou leurs parents, ce sont toujours les mêmes, les pauvres. Et bien souvent, en majorité, ce sont les plus faibles d’entre eux : enfants, femmes et vieillards. Il en allait de même au temps de la répression et de la guerre : la majorité des torturés, disparus, morts, étaient des pauvres. Il manque un Roque Dalton pour pouvoir bien chanter cette litanie.

C’est, de manière précise, ce que disait Ellacuría. Ce qui caractérise notre pays, c’est le « peuple crucifié ». Et il ajoutait deux choses, qui chacune rivalise avec l’autre en force et lucidité. L’une est qu’à ce peuple on arrache « la vie », le plus fondamental, l’essentiel. Et l’autre est que le signe qui nous caractérise est « toujours » le peuple crucifié. Nous l’avons déjà dit : avec des nuances et des exceptions, tremblements de terre, inondations, éboulements - auparavant tortures, morts, disparitions - s’abattent toujours sur les mêmes, les pauvres. Et ils produisent toujours la même chose, la mort ou la proximité de la mort. Cela provoque l’indignation, bien que de nos jours s’indigner ne soit pas très bien vu, même si les puissants tolèrent lamentations et appels à la solidarité, appels mi-convaincus mi-routiniers. Et l’indignation est moindre quand on répète, comme dans notre pays, que les choses vont bien, ou qu’elles suivent la bonne voie. Mais au-delà de l’indignation, la catastrophe donne à réfléchir.

On présente la mondialisation comme une promesse ferme et sûre de salut, mais cette mondialisation, en contradiction flagrante avec le concept et la formulation, reste, lorsque surviennent les grandes tragédies, absolument sélective : toujours contre les pauvres, jamais - ou rarement - contre les riches. Lors du tsunami, on a été surpris de voir souffrir des Européens et Nord-Américains, mais on n’a pas été surpris que les pauvres d’Asie souffrent. Et durant l’ouragan Katrina, on n’a pas été surpris que les riches quittent la Nouvelle-Orléans en jets privés, ni que d’autres fassent de longues queues sur les routes pour obtenir de l’essence. Ni que bien d’autres personnes de race noire, hommes et femmes, soient restées au milieu des inondations dans le quartier pauvre de la ville. C’est la stratification naturelle de la société. Comme le disait Aristote, « le lieu naturel » des pauvres est la pauvreté. Ni la Banque mondiale, ni le Fonds monétaire, ni le G8, ni ceux qui proclament le défi du millénaire ne sont capables de penser et de décider vraiment pour une mondialisation réelle de la vie. Il n’est pas question que tous souffrent mais que personne ne souffre.

Ce qui se passe en ce moment est un scandale de lèse-humanité. Nelson Mandela, dans le cadre de la présentation du tout dernier rapport des Nations unies, a dit que l’immense pauvreté et l’obscène inégalité sont les fléaux de notre époque, aussi effroyables que l’apartheid ou l’esclavage le furent à des époques antérieures. Et Eduardo Galeano, arrivé dans notre pays au milieu des inondations, a dit : « J’espère qu’elles serviront au moins à souligner que nous devons cesser de les appeler catastrophes naturelles. Oui, ce sont des catastrophes, mais elles sont le résultat du système de pouvoir qui a envoyé le climat à l’asile de fous. »

« L’option pour les riches »

Le pêché du monde

Si la tragédie n’est pas le simple produit de catastrophes naturelles et si la litanie « c’est toujours la même chose et les mêmes gens » n’est pas un hasard, quelque chose de très mauvais reste présent dans notre pays. Avant, on l’appelait le péché structurel. Les chrétiens parlaient de « péché du monde », citaient les prophètes d’Israël, Jésus de Nazareth et la lettre d’un certain Jacques en colère. Maintenant on n’utilise plus beaucoup ce langage, pas même dans les Eglises. Et le monde démocratique occidental, en partie laïque et séculier, c’est parfaitement son droit, n’en finit pas de trouver - et je ne sais si cela l’intéresse - des mots équivalents qui expriment la tragédie et la responsabilité. Et il trouvera des mots moins forts si cela l’éclabousse. Pour cette raison, il parle des « moins favorisés », « des pays en voie de développement »... Euphémismes.

La tragédie récente montre, une fois de plus, l’injustice des structures existant dans le pays. Avant la tragédie, suivant une pratique séculaire, on continuait à ne pas protéger correctement les routes lors de leur construction, on ne se souciait pas de l’habitat, très vulnérable, des secteurs les plus pauvres. Et tout cela est encore plus scandaleux, lorsque l’on n’a pas empêché les millionnaires de déboiser et de construire leurs maisons à leur gré. Les promesses de prévention n’ont été que papier mouillé.

Maintenant, face à la tragédie, il faut se demander combien ont souffert les uns et combien d’argent ont gagné les autres, en construisant dans les zones interdites par la loi ou par la conscience. Et que font les responsables pour l’empêcher ? Où en est l’option pour les pauvres, pour « les plus pauvres », comme le disait, imperturbable, le président Christiani ? Les catastrophes mettent en évidence ce que tout le monde sait. L’option de ceux qui donnent sa configuration au pays va dans la direction opposée : c’est, en ligne droite, l’option pour ceux qui ont de l’argent et ce qui rapporte de l’argent. Opter pour les pauvres peut répondre à quelque vague sentiment éthique ou à une stratégie afin que la situation continue à favoriser les riches. Mais il n’y a pas d’option, on ne pense pas aux pauvres mais bien aux riches lorsqu’on donne sa configuration au pays.

Cela existe depuis toujours car les racines sont structurelles. Maintenant, pourtant, avec les catastrophes, d’autres maux conjoncturels se font jour qui, eux aussi, sont récurrents. Certes, il n’est pas facile de faire connaître la vérité sur tout ce qui s’est passé, mais les membres du gouvernement ne paraissent pas être préparés à informer. C’est une forme d’irresponsabilité gouvernementale. Et l’on veut encore moins connaître la vérité sur les causes des événements, car alors émergeraient en pleine lumière des responsables et des coupables.

Il est facile de dissimuler, fuir les responsabilités, exagérer ce que l’on a fait pour pallier la catastrophe, promettre la transparence, ou simplement se taire, ne pas dire la vérité. Tout cela pour que les autorités, les politiques et les gens fortunés s’en tirent bien. C’est la dissimulation de la réalité, pratique si familière au président Bush, jusqu’à ce que les cercueils apparaissent à la télévision et que la réalité devienne impossible à cacher. Nous, citoyens et citoyennes, ne devrions pas nous étonner de cette impudence de ne pas dire la vérité. Aujourd’hui encore, 25 ans après, les gouvernements ne disent pas la vérité sur l’assassinat de Mgr Romero, alors que la Commission de la vérité des Nations unies a déjà émis son jugement il y a douze ans. Et par ailleurs, on fait l’éloge, publiquement et sans aucun scrupule, de responsables des escadrons de la mort.

Autre apparition : l’immoralité de la propagande partisane. Le parti au pouvoir capitalise la tragédie à son profit. A la télévision, sur une chaîne - privée -, sont présentés des microprogrammes du parti Arena, qui durent cinq à dix minutes, au cours desquels apparaissent ses candidats à la charge de maire ou de député en pleine distribution de vêtements, de tee-shirts...

On voit apparaître la toute puissance de quelques magnats du capital, photographiés dans les journaux, en train de remettre des chèques au profit des sinistrés. Ils ignorent ce que disait Jésus : « Que ta main droite ne sache pas ce que fait ta main gauche. »

Enfin apparaît la déshumanisation de l’industrie des medias. Quelques-uns d’entre eux se disputent le scoop de la nouvelle, la photo du cadavre d’une fillette que l’on a retrouvée. La réussite professionnelle, l’audimat intéressent plus que faire connaître la douleur et les sentiments des gens.

Pourtant, en dépit d’une forte opposition, la vérité est parvenue à se frayer un passage : dans les clameurs des gens qui souffrent, chez des personnes sensées qui se demandent, incrédules, comment il est possible d’avoir un pays dans un tel état. A l’entrée de la YSUCA [4], tout en recueillant et organisant l’aide d’urgence, un prêtre de Sonsonate l’a très bien dit : « Au quotidien, elle passe inaperçue, mais voilà la vérité du pays : la pauvreté ».

« Le cœur de chair »

Solidarité

Au milieu de la tragédie, émerge toujours la force de la vie, de l’espérance, de l’amour. Et en ces circonstances, elle prend la forme de la solidarité.

Bien des personnes collaborent pour soulager la souffrance ; la réponse aux appels de la YSUCA et d’autres organismes est vraiment impressionnante. Des gens arrivent avec des quintaux de maïs, de haricots - parfois de simples femmes portent ces denrées sur la tête -, du sucre, de la maseca, des boîtes de lait, des centaines de ballots de vêtements, des douzaines de matelas, des couvertures, des médicaments... Ce sont des gens simples, normaux, qui tout de suite se mettent à aider pour faire parvenir l’aide. Il y a aussi quelques personnes plus aisées qui viennent faire des dons importants. Parfois des employé(e)s d’entreprises connues ont organisé entre eux une collecte de l’aide. Un constructeur a même offert du matériel lourd pour déblayer les décombres. Et arrivent médecins, infirmières, religieuses... C’est l’aide et le service qui jaillissent comme une évidence, comme ce qui sauvegarde en nous un minimum d’humanité.

Beaucoup de refuges sont pris en charge par les Eglises. L’aide gouvernementale, quand elle arrive, arrive tard et bien maigre, et parfois même elle est refusée par les gens. Beaucoup de paroisses et communautés catholiques et protestantes, de communautés religieuses, d’agents de pastorale, de pasteurs... se mettent en quatre en ce moment. Et ils le font avec simplicité et une grande créativité, considérant que cela leur permet d’être des chrétiens et des chrétiennes parce que ces hommes et ces femmes se montrent humains. Et ils le font sans attendre ni dépendre beaucoup des orientations d’en haut.

Il y a aussi des propositions d’aide venues de l’étranger. Selon une tradition séculaire, certaines arriveront effectivement à destination et dans leur intégralité, fruit de la douleur et de l’affection. Ce sont « les solidaires de toujours » - personnes et institutions - qui aident aussi en temps normal à la promotion des communautés et soutiennent les institutions qui veillent sur les droits des pauvres et celles qui analysent et disent la vérité. Ces solidaires, bien sûr, viennent aussi dans notre pays quand le peuple célèbre Mgr Romero et ses martyrs. C’est la solidarité « salvadoriennisée ».

D’autres aides arriveront avec davantage de bureaucratie, un intérêt plus politique et de plus forts soupçons qu’elles ne parviendront pas à destination comme Dieu le veut. Qu’elles soient les bienvenues, au moins pour les urgences. Mais ajoutons un souhait : que les donateurs n’oublient pas que s’ils n’aident pas à changer nos structures injustes, pire encore s’ils les consolident et s’en servent pour faire une bonne affaire, l’aide lors des catastrophes est une routine dépourvue d’humanité. Elle peut même être une insulte. C’est comme garder moribond le pauvre Lazare à côté du richard, de plus en plus vigoureux et opulent.

« Sainteté primordiale »

L’héroïcité de vivre

Faisons maintenant quelques réflexions au-delà du visible et du constatable. Elles sont audacieuses. Les accepter ou non, cela dépendra de la sensibilité et de la foi de chacun - foi religieuse ou humaine - avec laquelle on regarde la réalité. Et devant les victimes, nous pouvons seulement faire ces réflexions avec le maximum de respect.

Sur les lieux touchés par les catastrophes, les scènes sont déchirantes. Comme chez le Serviteur souffrant de Yahvé [5], il n’y a là aucune beauté. Quand on voit les victimes crier, protéger leurs fils et leurs filles, leurs petits, pleurer sur leurs cadavres, s’agripper à une chaise - la seule chose qui leur reste - pour que l’eau ne les emporte pas, prier aussi, protester contre ce que fait ou ne fait pas le gouvernement, bien d’autres catastrophes reviennent en mémoire. Chez nous, tremblements de terre, répression et misère quotidienne ; ailleurs, au Niger, en Afrique du Sud, dans la région des Grands Lacs, des mères et des enfants, garçonnets, fillettes, faméliques, avec le SIDA, marchant en immenses caravanes sur des centaines de kilomètres pratiquement sans rien. Mais il peut arriver - et cela arrive - le grand miracle : les victimes veulent vivre, s’aider mutuellement pour vivre. Et alors au beau milieu de la catastrophe apparaissent dignité, amour, espérance et même une organisation populaire, religieuse et civile - de femmes surtout - pour dire ce qu’elles ont à dire et garder leur dignité. Au Salvador, on connaît bien la détermination des victimes pour refaire leur vie après les catastrophes.

Je ne crois pas qu’il existe des mots capables de décrire cela, mais ceux qui suivent pourront peut-être servir. « Cette aspiration à survivre au milieu de grandes souffrances, les tribulations pour y parvenir à force de créativité, de résistance et de courage sans limites, en dépit d’immenses obstacles, voilà ce que nous appelons la sainteté primordiale.

Comparons-la avec l’officielle : s’agissant de celle-là, on ne discute pas encore sur la part de liberté ou de nécessité qu’elle renferme, la part de vertu ou d’obligation, de grâce ou de mérite. Elle n’a pas besoin d’être accompagnée de vertus héroïques, car elle exprime une vie tout entière héroïque. Cette sainteté primordiale invite à se recevoir les uns les autres, à recevoir les uns des autres, et invite à la joie de se montrer humains les uns envers les autres ».

« Où est Dieu ? »

Sur la croix. Ce mystère d’espérance et de dignité au milieu des catastrophes nous conduit au mystère de Dieu. Commençons par rappeler, au cas où quelque lecteur ou lectrice le penserait, que Dieu n’envoie pas des catastrophes pour châtier les êtres humains, comme le proclament certains. Ni qu’elles sont annoncées dans la Bible, comme d’autres le prêchent. La prédiction la plus sûre est celle de Mathieu 25 : « le salut et la damnation dépendent d’avoir été ou non serviteur des pauvres. » Certes, on a bien souvent le sentiment religieux que « les voies de Dieu sont impénétrables ». C’est la foi respectueuse. Mais elle n’empêche pas de l’interroger et de lui poser des questions, comme Job, comme Jésus sur la croix, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi nous as-tu abandonnés ? » C’est la théodicée [6] dont parlent les théologiens et les théologiennes.

Quelle que soit la réponse, ou le silence de Dieu que nous entendons, il est bon de se rappeler, dans ces situations, ce que disait Rutilio Grande aux paysans de Aguilares :

« Dieu n’est pas dans un hamac au ciel ». A notre époque, Il est au milieu de la souffrance et des victimes. Non pour la bénir et la justifier, mais pour dire que lui ne veut pas rester paisiblement au ciel tandis que ses enfants, ceux qui lui sont le plus chers, les pauvres, souffrent sur cette terre.

Voilà un langage symbolique, à travers lequel on veut dire que Dieu aime en vérité les victimes de ce monde. On pourra croire ou non en ce Dieu, on pourra lui demander « pourquoi ? », sutout ceux qui se sont retrouvés sans rien, sans leur petite maison, sans leurs enfants, sans leurs parents. On pourra douter de sa toute puissance, mais on ne pourra pas l’accuser d’indifférence. Un grand théologien allemand disait au milieu des horreurs de la Seconde Guerre mondiale : « seul un tel Dieu, souffrant avec nous, peut nous sauver ».

« Descendre de la croix les crucifiés »

Le commandement de Dieu

Ce que nous venons de dire n’est pas le dernier mot de Dieu à notre époque. Son dernier mot - et pour qui n’est pas croyant le dernier mot de la conscience - est une exigence qui - pardonnez-nous cette audace - pourrait être celle-ci : « Sauvez ce monde. Rien n’est plus urgent ni important. Ne croyez pas que c’est m’oublier que d’accueillir les sinistré(e)s, recueillir et enterrer les cadavres, consoler les familles. Vous êtes plus près de moi que jamais... Etudiez, recherchez, inventez, par amour de mon nom, de véritables solutions pour prévenir et pallier les catastrophes... Finissez-en avec la corruption et le mensonge, gouvernez avec justice et honnêteté, sans échappatoires... Et que votre bouche ne crie plus à pleine voix démocratie, mondialisation. Et apprenez de mon envoyé Jérémie. Il stigmatisa ceux qui agissaient mal et se disculpaient en criant « temple de Jérusalem, temple de Jérusalem ». A vous, je dis ce que Jérémie leur a dit : « Ce que veut Yahvé, c’est que vous réformiez votre conduite et vos oeuvres, que vous fassiez justice, que vous n’opprimiez pas l’étranger, ni l’orphelin, ni la veuve ». Aujourd’hui je vous dis : « Descendez de la croix les crucifiés. »

« Et les anniversaires des martyrs ? »

Mes réflexions allaient porter sur les martyrs de la UCA du 16 novembre et sur les quatre religieuses nord-américaines du 2 décembre. A cette époque-là, les victimes mouraient de mort violente aux mains des tortionnaires. De nos jours, celles qui sont mortes, ou continuent à souffrir, sont mortes en grande partie de l’inertie, de la corruption, de l’ambition égoïste, qui lentement érodent notre pays. Et c’est d’elles dont nous avons parlé.

Mais n’oublions pas qu’il y a des années, il y eut des martyrs parce qu’il y avait des victimes, et que ceux-là les défendirent jusqu’au bout, juqu’à donner leur vie. Maintenant, la meilleure façon d’évoquer leur souvenir est de secourir et consoler les victimes de la nature, de les défendre des structures ineptes et injustes et de toute forme d’égoïsme, en œuvrant pour la justice et la vie, et surtout l’espérance.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2863.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : CLAR, octobre-décembre 2005.

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[1Université centraméricaine de San Salvador, tenue par les jésuites et où furent massacrés 5 d’entre eux, plus la cuisière et sa fille le 16 novembre 1989.

[2Assassinées en El Salvador en décembre 1980.

[3Littéralement : ‘mouillés’, terme servant à désigner les personnes passant clandestinement aux Etats-Unis en traversant le Rio Grande à la frontière avec le Mexique.

[4Radio catholique de l’Université centraméricaine de San Salvador.

[5Figure évoquée par le prophète Isaïe, qui représente le peuple souffrant et, dans la tradition chrétienne, le Christ dans sa Passion.

[6Traité portant sur la question de Dieu à partir des questions posées par le mal.

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