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DIAL 2908
HAÏTI - La Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) fait des victimes civiles
Camille Chalmers
jeudi 1er février 2007, mis en ligne par
Ce texte de Camille Chalmers, directeur exécutif de la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA) a été publié en espagnol par Adital le 4 janvier. L’auteur revient sur la situation actuelle de l’île et notamment sur la journée du 22 décembre 2006 : une intervention de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) dans le quartier de Cité Soleil a provoqué la mort de plusieurs personnes. Un autre article sur la situation actuelle en Haïti est disponible en espagnol sur AlterInfos (HAITI - ONU acusada de una segunda masacre en Cité Soleil ).
Les mois de novembre et décembre ont été marqué par l’augmentation du nombre d’enlèvements, suivis dans de nombreux cas d’assassinats sanglants. Une jeune fille de 20 ans, étudiante à l’École normale supérieure, Farah Kerbie Dessources, a ainsi été torturée et tuée, bien que sa mère ait payée une partie de la rançon réclamée par ses ravisseurs. Un enfant de 7 ans, victime d’un kidnapping, a été lui aussi assassiné. Pendant le mois de décembre, une dizaine d’enfants, garçons et filles, ont été enlevés à la sortie de leurs écoles, créant un climat de panique dans la population, les parents étant terrorisés à la perspective de voir leurs fils ou leurs filles enlevés, torturés et tués. La panique fut telle que la majorité des écoles décidèrent de fermer leurs portes une ou deux semaines avant les vacances de Noël.
Quand on regarde de près le calendrier des faits, il est évident qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une campagne de terreur et de guerre psychologique contre la population, le gouvernement et le pays lui-même. Les secteurs de droite les ont largement utilisés pour projeter une image chaotique du pays et se venger ainsi, au moins en partie, de leur déroute électorale du 7 février 2006. Les médias les ont utilisé eux aussi pour critiquer et délégitimer le gouvernement, en l’accusant même de complicité avec les ravisseurs. Il faut signaler à ce propos les déclarations très maladroites du Premier ministre, affirmant qu’il négociait avec les ravisseurs. Et, malgré ce climat de tension et de terreur à Port au Prince, le gouvernement n’avait, jusqu’à la mi-décembre, donné aucune réponse efficace à cette nouvelle vague de déstabilisation.
Deux faits importants peuvent nous aider à comprendre ce qui est en jeu dans cette conjoncture. Une forte polémique a eu lieu entre le Premier ministre, Jacques Edouard Alexis, et l’ambassadrice des États-Unis en Haïti, Janet Sanderson, au sujet du rapatriement des criminels d’origine haïtienne depuis le territoire des États-Unis. Le Premier ministre affirmait que ces criminels jouent un rôle crucial dans le maintien d’un climat d’insécurité en ville et qu’il était urgent de prendre les moyens appropriés pour faire face à l’augmentation du nombre de criminels rapatriés (100 par mois), en créant par exemple une nouvelle prison spécialisée. Le Premier ministre a déclaré que l’ambassadrice avait menacé le gouvernement de mettre fin à l’aide financière s’il demandait la fin ou la diminution de ce flux de rapatriements. L’ambassadrice a alors démenti ces déclarations et affirmé que le Premier ministre était un menteur.
Le second fait important a eu lieu pendant la conférence de Madrid sur Haïti : le Ministre des affaires étrangères de la République dominicaine, qui ne figurait pas dans la liste des invités acceptés par le gouvernement haïtien, prit la parole pour affirmer qu’Haïti était incapable de se gouverner seul et que son pays et son gouvernement étaient prêts à assurer la gestion d’Haïti face à la communauté internationale. Le Premier ministre haïtien réagit très fermement face à cette manoeuvre inacceptable et dangereuse pour l’autodétermination du peuple haïtien.
Mardi 19 décembre, une manifestation spontanée a eu lieu devant un commissariat de la Police nationale d’Haïti (PNH), à Delmas, pour demander justice contre un groupe de ravisseurs. Des tirs, venus d’un détachement de la MINUSTAH, firent 5 blessés graves parmi les manifestants.
Le 21 Décembre, les troupes de la MINUSTAH se présentèrent dans la banlieue de “Cité Soleil”, dans un quartier appelé “Bois Neuf”. S’ensuivit une situation confuse sur laquelle les versions divergent. Un véhicule blindé fut abandonné par les forces de la MINUSTAH parce qu’il ne pouvait plus avancer (d’après le porte parole des troupes de l’ONU). Une bande de la zone s’en empare après qu’il est tombé dans un piège, sans pouvoir reculer, tous ses pneus ayant été crevés. Après le départ des hommes de la MINUSTAH (qui fuyaient, d’après l’une des versions), la bande de Bois Neuf s’empara d’une mitrailleuse M50, avec une quantité importante de munitions et d’explosifs. Ils déclarèrent à la presse que ces armes appartenaient désormais à la population de Bois Neuf.
Le 22 décembre, à 4h du matin, plus de 400 soldats de la MINUSTAH, appartenant au contingent brésilien, se présentèrent à Bois Neuf pour récupérer le véhicule blindé et lancèrent une opération punitive, dans le plus pur style des “tontons macoutes” [1] de Duvalier ou de troupes fascistes. Ils tirèrent sans discernement et firent un nombre important de victimes. Selon la presse, 9 à 10 tués et plus de 40 blessés. Selon d’autres témoignages, au moins 17 morts et plus de 100 blessés. Ce qui est sûr, c’est que de nombreux civils ont été tués alors qu’ils n’avaient rien à voir avec les gangs de ravisseurs. Parmi les victimes, des vieillards et des enfants : un des blessés graves, transporté à l’hôpital de Médecins sans frontières était un bébé de 4 ans. Durant l’opération, les militaires de la MINUSTAH empêchèrent l’entrée des véhicules de la Croix Rouge qui cherchaient à porter assistance aux blessés.
Dans la déclaration officielle du porte-parole de la MINUSTAH, il n’y a aucune information sur le nombre des victimes civiles. Le communiqué dit seulement qu’il n’y a eu ni mort ni blessé dans les troupes de la MINUSTAH. Ils justifient l’opération en disant qu’ils avaient le feu vert du gouvernement de Préval [2], et que ce fut une opération conjointe avec la police haïtienne. Selon la presse, c’est faux, il n’y avait aucune présence policière haïtienne sur le terrain. Ils disent que ce fut une opération contre ceux qui pratiquent les enlèvements. Mais, durant l’opération ou après, ils n’ont libéré personne. Il est peu probable que l’opération ait un impact quelconque sur la vague d’enlèvements. Ce fut une opération avec un risque minimum pour les militaires, mais beaucoup de violence envers la population. Le 23, une manifestation de rue rassembla de nombreux habitants du quartier pour dénoncer la nature criminelle de l’action de la MINUSTAH.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2908.
– Traduction de Jean-Claude Thomas pour Dial.
– Source (espagnol) : Adital, 4 janvier 2007.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Surnom des Volontaires de la sécurité nationale (VSN), milice paramilitaire mis en place par le régime de Jean-Claude Duvalier (1957-1971).
[2] René Préval a été élu Président de la République d’Haïti lors des élections du 7 février 2006.