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Opinion
BRÉSIL - Une droite paranoïaque, entre le Pape et un Oscar
Emir Sader
mercredi 19 février 2020, mis en ligne par
Mercredi 5 février 2020.
Dans le monde, la nouvelle extrême droite instrumentalise l’idée qu’elle est venue sauver un monde au bord du chaos, dont la responsabilité incombe aux gouvernements de gauche et à l’infiltration rampante du « communisme », du « marxisme », dans tous les interstices de la société. Le monde s’acheminait vers le pire si, eux les leaders messianiques de l’extrême droite n’étaient pas intervenus providentiellement.
C’est pour cette raison que ces gouvernements sont attaqués de toute part. On ne leur pardonne pas d’avoir assumé la responsabilité de sauver le monde du socialisme et du chaos – ce qui revient au même. Les medias, les leaders et les partis de gauche, les syndicats, le monde de la culture, l’éducation publique – sont mis dans le même sac, comme des ennemis qu’il faut combattre, insulter, agresser – quotidiennement. Ils doivent être anéantis, car ils sont les instruments de la destruction des valeurs et des organisations traditionnelles de la société, de la famille et avant tout de la religion.
Dans cette mission ils s’attaquent aux pouvoirs de la droite traditionnelle, battue systématiquement par la gauche qu’elle n’a pas été capable de combattre pour triompher. Les gouvernants de l’extrême droite mentent quotidiennement, peu leur importe qu’ils soient démentis, ils ont déjà créé des évènements, ils ont déjà imposé leur agenda dans le débat national.
La droite brésilienne, qui a pour gouvernant une caricature du président des États-Unis, souffre de la même paranoïa que celles qui, dans le monde, ont des leaders qui sont sur la même ligne. Mais elle agit dans des conditions passablement pires. Trump peut se vanter d’une économie en bonne voie, il proclame au monde son pouvoir, en dépit de l’isolement auquel il a condamné les États-Unis, et il a un soutien suffisant du parlement pour échapper à l’impeachment. Il se présente comme la seule voie pour que les États-Unis soient sauvés de la décadence à laquelle les démocrates les ont condamnés et il peut se vanter de ce que les États-Unis soient plus puissants que jamais. Trump bénéficie des meilleurs indicateurs de soutien de son gouvernement tandis que les démocrates s’enlisent dans le début de la campagne des primaires.
Bolsonaro est une pauvre caricature de Trump. Il s’efforce d’appliquer des méthodes similaires : le même discours pour sauver son pays du chaos, la même façon agressive de traiter les medias, le recours à des solutions violentes aux conflits, une politique économique ultra néolibérale. Mais, en dessous de l’équateur, les résultats ne sont pas identiques.
L’économie brésilienne est plus paralysée que jamais. Les indicateurs sociaux sont toujours déplorables. L’isolement politique du gouvernement est de plus en plus grand. Des sondages électoraux révèlent la faillite du gouvernement dont le soutien continue à baisser, il est à un tiers de celui qu’il a obtenu en 2018.
Les paranoïas ne font qu’augmenter dans une telle situation. La nomination, en lice pour les Oscars, du documentaire Democracia em vertigem [« Démocratie en danger »], de la jeune réalisatrice brésilienne Petra Costa, a provoqué un véritable tsunami au sein de la droite brésilienne. Le gouvernement a utilisé un espace public institutionnel pour attaquer Petra, utilisant ainsi des ressources publiques, pour l’accuser de nuire à l’image du pays dans le monde. Des journalistes de la droite ont tenté de faire des critiques négatives du film, en cachant mal qu’ils exprimaient un point de vue politique, en accusant Petra d’user de l’art à des fins politiques. En attente du résultat des Oscars, la droite est nerveuse, bien qu’elle pense que le film ne soit pas favori.
Comme si cela n’était pas suffisant, dans la nuit du dimanche, on apprend que, grâce à une démarche solidaire du Président de l’Argentine, Alberto Fernández, le Pape va recevoir Lula, le mercredi 13, peu de jours après la remise des Oscars. Lula a déclaré qu’il voulait voir le Pape « pour le remercier de tout ce qu’il a fait pour moi et pour le peuple opprimé » a-t-il dit.
Lula a demandé l’autorisation de voyager, car il devrait témoigner dans un procès absurde, prévu le 12 février, à Brasilia. Lula a reçu, entre autres hommages, le titre de Citoyen d’honneur de la Ville de Paris, remis par Anne Hidalgo, maire de Paris. Mais pour ce voyage, le premier qu’il entreprend depuis qu’il a été libéré, Lula préfère aller uniquement au Vatican et rentrer immédiatement au Brésil.
Hollywood et le Vatican s’ajoutent ainsi à la longue liste des institutions complaisantes à l’égard du communisme, ce qui alimente le discours paranoïaque de Bolsonaro.
Emir Sader, sociologue et politiste brésilien est coordinateur du Laboratoire des politiques publiques de l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/204602.