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DIAL 3559 - Communautés ecclésiales de base

EL SALVADOR - Quand les pauvres vivent l’Évangile de Jésus

Luis Van de Velde

jeudi 17 décembre 2020, mis en ligne par Dial

Ce texte relate la vie et les luttes de Santiago et Raquel, engagés au sein des communautés ecclésiales de base (CEB) de Mejicanos, au Salvador. Il a été rédigé par Luis Van de Velde, animateur dans le Mouvement œcuménique des CEB à Mejicanos.


Santiago Portillo Bonilla est né à Moncagua, dans le département de San Miguel, le 26 juillet 1935, il est le fils d’Ester Portillo et Pedro Bonilla. Paula Raquel Muñoz Orellana est née à Coatepeque, dans le département de Santa Ana, le 22 juin 1937, elle est la fille de Teresa Muñoz et Eleuterio Orellana.

Santiago et Raquel se sont rencontrés en 1959, quand elle avait déjà un fils. Ils se sont mariés le 26 avril 1964. Ils ont eu huit enfants de plus. Cinq sont encore en vie.

Ils vécurent un temps dans la zone rurale de Santa Ana, puis à La Libertad. En 1972 ils partirent vivre dans la zone marginale La Fosa à San Salvador, face à l’université nationale. Ils y découvrirent la CEB naissante de la zone. Un neveu le motiva pour qu’il se rapproche de la CEB en lui disant que « là-bas, quand il y a une possibilité de travail, on vous prévient ». C’était le 4 février 1973. « Nous vivions la douleur de l’autre. Nous parlions d’un Christ vivant, pas du Christ mort sur la croix. Nous avons commencé à nous faire des amis, nous avons parlé de la Bible, de nos vies et de la réalité nationale. Nous avons vu que toutes ces choses étaient liées [1] ». Ils participèrent ainsi aux conversations, à la rencontre d’initiation et s’engagèrent sur le chemin de Jésus, en servant la communauté, en servant leur peuple.

Dans La Fosa ils faisaient des travaux pour le bénéfice de toute la colonie. Une œuvre très importante était la construction d’une petite école, sous la conduite de quelques maçons de la colonie et les autres comme aides, travaillant la nuit et les fins de semaine. Ils mirent deux ans pour construire les deux premières salles. De la même manière ils construisirent dans la colonie un ermitage et un pont. Ensuite, ils allèrent aider la coopérative d’habitation d’une autre colonie (El Paraíso).

Ils se firent missionnaires, « portiers ». « Quand nous allions visiter les gens, nous faisons du porte à porte » dans la zone marginale « Tutunichapa ».

En 1975, Santiago et plusieurs personnes de sa CEB participèrent à la première occupation de cathédrale par des organisations populaires. « Les communautés de base prirent l’engagement solidaire de participer à la dénonciation de la répression. Nous sommes restés là presque huit jours ». Santiago, de même que d’autres membres de la communauté La Fosa, devinrent membres de l’organisation Habitants de taudis et se solidarisèrent avec d’autres zones marginales menacées d’expulsion. Avec la répression croissante Santiago se souvenait que « les gens avaient vraiment peur. Bien que ce soit logique qu’ils s’en aillent pour cette raison, cela nous faisait peine ».

Le fils de Santiago et Raquelita, Mario, leur disait « si je ne viens pas, ne me cherchez pas, parce que vous seriez en danger. Continuez plutôt à avancer en luttant ». Le 7 août 1980 il sortit pour une activité et ne revint pas. C’est ainsi que commença pour eux un long calvaire de recherche de leur fils, de garder vivant son souvenir, de participer à l’organisation des familles de disparus.

Durant plusieurs années Santiago et Raquelita participèrent chaque premier samedi du mois à une célébration commémorative des CEB dans le Parc Cuscatlán face au mur portant les noms des assassinés et disparus des années de répression et de guerre.

« Nous avons perdu tant de gens qu’à un moment donné j’avais dénombré quelque 600 frères morts. Les communautés chrétiennes ont souffert de n’être pas comme les catholiques traditionnels qui seulement s’agenouillaient et priaient. Nous, nous avons poursuivi l’histoire des Apôtres : la souffrance, la persécution, la doctrine véritable ». Après un massacre, le 26 juillet 1980, à La Fosa, Santiago, Raquelita et leur famille ne pouvaient plus rester vivre dans la colonie. Ils perdirent leur petite maison.

Santiago et Raquelita ne se découragèrent pas, malgré le départ de beaucoup de gens qui avaient peur. Ils formèrent la « communauté en exil » avec des membres de CEB de différents secteurs de la zone. « Nous travaillions avec ceux qui étaient là et nous avons tenté de récupérer les gens qui étaient partis. Nous formions nos enfants plus jeunes ». Toño, fils de Santiago et Raquelita, fut arrêté et par chance fut repéré par la Croix rouge. Santiago visita son fils à la prison chaque dimanche pendant six mois, jusqu’à ce qu’il parvienne à sortir.

« En tant que chrétiens nous ne perdons pas la foi qu’un jour le monde va s’humaniser. Un peuple avec la foi, tôt ou tard, est un peuple triomphateur. Mais il faut dire qu’aujourd’hui c’est un défi de garder la foi ; le monde est complètement incompréhensible. Ce qui nous aidera dans le futur c’est de se souvenir d’où nous venons. Nous venons d’un peuple aux pieds nus, maintenant j’ai ces souliers, même s’ils sont abîmés. Je ne savais pas lire quand je suis devenu membre de la communauté et maintenant je sais lire et écrire. […] Un jour il y aura un monde où nous nous verrons tous comme égaux et aurons tous de quoi manger. Je vais mourir et jamais je ne vais perdre cette foi – tenez-le pour sûr. »

Une nouvelle expérience de CEB a commencé quand ils furent expulsés de la paroisse de Zacamil. Ils parvinrent à récupérer quelques symboles du chemin, des photos de martyrs. Des membres de la CEB en exil se réunissaient dans l’ancien local du secteur des 400 à Zacamil chaque dimanche après être allés à la messe dans la crypte de la cathédrale autour de la tombe de Monseigneur Romero. Durant plusieurs années ils sont restés sans accompagnement pastoral. Santiago a toujours été un homme fidèle, ponctuel et serviable. Il continait à visiter les familles, ainsi que ceux qui ne pouvaient plus venir. Il encourageait, rappelait les engagements. Il savait partager et passer du temps avec les autres.

À partir de 2011, comme d’autres expériences de CEB (à San Ramón, à El Paraíso, et depuis 2018, de nouveau à La Fosa), ils rejoignent le Mouvement œcuménique de CEB dans la ville de Mejicanos. Beaucoup de membres de la CEB Zacamil sont morts. Santiago fit fabriquer un grand panneau avec toutes leurs photos. Ses membres actuels sont des personnes âgées, la majorité depuis les débuts des CEB à Zacamil, avec parmi eux deux des premières professeures dans la petite école de la Fosa.

Jusqu’avant la pandémie Santiago, et Raquelita – quand sa santé le lui permettait – participèrent activement à l’eucharistie mensuelle que nous célébrions au Centre foyer à San Ramón. Ils faisaient partie des premiers à arriver, pour aider à tout préparer. Ils apportaient toujours des produits de la corbeille basique solidaire qu’ils donnaient pour les actions de Noël solidaire et du jeûne de Carême.

Santiago était toujours présent dans les activités de luttes pour le droit à l’eau ou contre l’extraction minière, dans les journées des disparus… Ces dernières années il était déçu de l’évolution politique du parti FMLN [2] et les maigres résultats des vies sacrifiées. En homme de foi, il participait aussi de temps en temps aux célébrations de l’Eucharistie dans l’Église anglicane. C’était un homme, chrétien œcuménique, ouvert, désireux de suivre Jésus. Il participait fidèlement aux célébrations mémorielles lors des anniversaires des hommes et femmes martyrs.

En avril 2014 nous avons célébré avec nos CEB les noces d’or de Santiago et Raquelita. C’était une grande joie mêlée de profonde reconnaissance devant ce témoignage de vie matrimoniale et familiale au service des CEB et du mouvement populaire.

En mai 2020 Santiago et Raquelita tombèrent malades contaminés par le coronavirus. Leurs filles leur prodiguèrent toute l’attention possible à la maison. Ni Santiago ni Raquelita ne voulaient aller à un hôpital parce qu’ils ne voulaient pas abandonner l’autre. Jusqu’à ce que leur état s’aggrave et qu’ils soient amenés ensemble à l’hôpital pour des soins intensifs. Malgré quelques signes d’amélioration momentanée, Raquelita est morte le 11 juin 2020 et 8 heures après, le même jour, Santiago est mort aussi. Ils vécurent ensemble, servirent ensemble, souffrirent ensemble, moururent ensemble et ressuscitèrent ensemble.

La CEB de Zacamil en exil a changé son nom pour : « CEB Santiago et Raquelita – Zacamil ». Ils continueront à être des témoins de l’Évangile, des lumières sur notre chemin dans les traces de Jésus.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3559.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : Amerindia en la red, 2 octobre 2020.

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[1Ces citations sont tirées du livre La Semilla que cayó en tierra fértil [« La Semence qui est tombée en terre fertile »] : Témoignages de membres de communautés chrétiennes. Publication du conseil de femmes missionnaires pour la paix, San Salvador, 1996, p. 15-44. Dans ce texte Santiago est appelé « El Negro ».

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