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DIAL 3715
BRÉSIL - Les changements de direction dans la vie d’Hélder Câmara
Eduardo Hoornaert
lundi 30 septembre 2024, mis en ligne par
Ce texte fort bref et suggestif sur la figure d’Hélder Câmara a été publié par Amerindia le 29 août 2024. Son auteur, l’historien Eduardo Hoornaert, est né en Belgique (1930). Il vit au Brésil depuis 1959. Au cours des 30 dernières années, il a été professeur d’histoire du christianisme dans plusieurs instituts théologiques du Brésil. Il est aussi membre cofondateur du Centre d’études de l’église en Amérique latine (CEHILA).
Tout au long de sa vie, Hélder Câmara est passé par trois changements majeurs de direction que je décris ici en quelques mots. Tous sont liés au thème de la liberté.
– 1.- Quand, en 1931, à l’âge de 22 ans, Hélder quitte le séminaire de Fortaleza, après avoir été ordonné prêtre, il plonge immédiatement dans la vie politique de la ville. Il suit essentiellement le catholicisme autoritaire de l’époque et s’inquiète de l’émergence d’une pensée « communiste » dans certains groupes. Il n’hésite pas à écrire, dans les journaux de l’époque, que les régimes d’Hitler (en Allemagne) et de Mussolini (en Italie) sont des modèles sûrs à suivre, il porte la chemise des intégralistes de Plinio Salgado et marche avec deux jeunes militaires dans les quartiers de la ville pour mettre en garde les gens contre le « péril rouge ».
Mais il n’a pas beaucoup de succès dans sa ville natale et, en 1936, Hélder est nommé à Rio de Janeiro, où il commence un processus lent et douloureux de révision de ses positions politiques, marqué par des lectures individuelles, principalement d’auteurs chrétiens français tels que Jacques Maritain, qui lui ouvrent une compréhension des valeurs de la démocratie. Il se sent « libéré » grâce à une ténacité intellectuelle inhabituelle et par une humilité qui lui fait remettre en cause ses positions. Et avec la mort du cardinal Leme en 1942 et la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, un nouveau chemin s’ouvre dans sa vie, un chemin de libération. C’est le premier changement de cap dans la vie d’Hélder.
– 2-. Des années plus tard, en 1955, alors qu’il est déjà évêque auxiliaire de Rio de Janeiro, celui que l’on appelle désormais « Dom » Hélder reçoit la tâche de collaborer à l’organisation du 36e Congrès eucharistique international, qui aura lieu dans la capitale du Brésil de cette époque. Ce congrès aura un énorme succès et mettra, pour la première fois, le Brésil sur la scène mondiale. Dom Hélder se révèle excellent organisateur, orateur passionnant et grand communicateur. Chéri et admiré, il connaît alors de bons moments.
Mais, à la fin de cet énorme succès, l’Évangile va soudain bousculer sa vie. Dom Hélder « découvre » la pauvreté qui règne dans la ville. Je ne raconte pas ici les détails intéressants [1]. Hélder opte pour les pauvres et cela change tout. Il était en route pour devenir un ecclésiastique prestigieux et soudainement il change le cours de sa vie. Il n’est plus pareil. Il y gagne en termes de liberté, mais son supérieur, le cardinal Jaime, commence à se méfier de son évêque-auxiliaire et le gouverneur Carlos Lacerda commence d’avoir des rapports tendus avec lui. Finalement toutes ses relations changent de manière significative.
Commence alors la période la plus connue de la vie de Hélder, marquée par une liberté souhaitable en des temps difficiles. En 1946, il avait unifié l’Action catholique au niveau national, en 1952 il réalise la même chose dans l’épiscopat, avec la création de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) et en 1955 il est à l’origine de la « Conférence épiscopale d’Amérique latine » (CELAM). Ces grandes réalisations sont élaborées sur le base des principes démocratiques. Entre 1962 et 1965, Hélder participe au Concile Vatican II, à la fin duquel il articule le « Pacte des catacombes [2] ». À partir des années 1960, sa renommée internationale croît de manière exponentielle, avec le succès de ses voyages internationaux qui font connaître son nom à l’ensemble du monde catholique (ce qui suscite des sentiments de jalousie au Vatican). En 1964, il est nommé archevêque de Recife, il tient tête au gouvernement militaire et en 1969 il est confronté à l’assassinat de l’un de ses prêtres. En 1970, il prononce à Paris, devant un public de dix mille personnes, un discours dans lequel il accuse le gouvernement brésilien de complicité dans des assassinats et des tortures d’opposants.
– 3.- Grâce à ces réalisations, Hélder acquiert une figure de « prophète ». Mais il ne s’arrête pas là. Ses plus grandes contributions sont à venir. Elles apparaissent dans les premiers jours de 1971, sous les titres des Lettres circulaires qu’il a l’habitude d’envoyer chaque jour à des groupes de femmes qui, à Rio et à Recife, accompagnent ses actions et réflexions. Il s’agit souvent de méditations faites durant ses veillées nocturnes, de réflexions sur les « minorités abrahamiques » [3]. Que signifient ces développements ? Ils signifient qu’Hélder navigue désormais vers de nouveaux horizons au-delà des thématiques démocratiques. Il adopte cette attitude parce qu’il a expérimenté douloureusement que la démocratie ne fonctionne que par des arrangements politiques, qui finissent par perdre une grande partie de leurs intentions initiales. Concrètement, la démocratie n’est faite que d’arrangements et elle ne fonctionne que lorsque de grandes propositions sont en capacité de remettre en question efficacement et directement le « système ». Comme l’a dit Churchill, « la démocratie est un mauvais système, mais il n’en existe pas de meilleur ».
Une longue expérience a appris à Hélder que les petits groupes, librement réunis, sont capables d’accomplir ce que la « démocratie » ne peut accomplir. Il connaît des groupes qui agissent en faveur des plus démunis, les femmes et les enfants sans défense, les peuples autochtones et les quilombolas [4], les personnes sans terre ou sans foyer, etc. En fait, c’est l’idée de Jésus quand il compare le Royaume de Dieu à une graine jetée en terre, à un levain dans la pâte, au sel dans la nourriture ou à une lumière au milieu des ténèbres.
Pour caractériser son intuition, Hélder creuse profondément dans la tradition biblique et découvre la figure d’Abraham, l’homme qui se désinstalle pour aller librement là où Dieu l’appelle.
***
Je considère la proposition d’Hélder Câmara de former des « minorités abrahamiques » comme sa principale contribution dans les débats et les réflexions chrétiennes encore aujourd’hui, 25 ans après sa mort. Hélder est toujours là. Je termine par une suggestion : lire et relire ses lettres circulaires, car elles ont inspiré ses actions et contiennent la clé de compréhension de ses initiatives.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3031.
– Traduction de Pedro Picho.
– Source (portugais du Brésil) : Amerindia, 29 août 2024.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Que vous pouvez retrouver dans mon livre Helder Câmara, quando a vida se faz Dom [Hélder Câmara, quand la vie se fait Dom], Paulus Editora, 2022, chapitre 4.
[2] « Le 16 novembre 1965, moins d’un mois avant la clôture du concile Vatican II, une quarantaine de pères conciliaires célèbrent l’eucharistie dans les catacombes de Sainte-Domitille, à Rome. À l’issue de la messe, ils signent un document par lequel ils s’engagent à une vie de pauvreté et de lutte pour la justice : c’est le « Pacte pour une Église servante et pauvre ». En référence à ce pacte, le 20 octobre 2019, à la fin du Synode pour l’Amazonie et à l’issue d’une messe dans les catacombes Sainte-Domitille, un groupe d’évêques et de membres synodaux ont signé un nouveau Pacte des catacombes pour la Maison commune » (Vatican News, https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2019-10/pacte-des-catacombes.html) – NdT.
[3] Pour plus de détails, voir le chapitre 11 du livre cité ci-dessus.
[4] Les quilombolas sont les descendants des esclaves fugitifs – NdT.