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DIAL 2964

GUATEMALA - Année caftaïenne, année kafkaienne

Umberto Mazzei

jeudi 1er novembre 2007, mis en ligne par Dial

Dial avait présenté les débats autour de la signature (2004) puis la ratification de l’accord de “libre-échange” entre l’Amérique centrale, la République dominicaine et les États-Unis [1], puis publié un premier bilan à sept mois de son entrée en vigueur à El Salvador [2]. L’article de Umberto Mazzei, publié le 9 août 2007 sur le site du Programa de las Americas, propose à son tour un bilan à un an de l’entrée en vigueur au Guatemala du DR-CAFTA, du nom de son sigle en anglais [3]. Les perspectives, plutôt sombres, différent largement de ce qu’avaient fait miroiter les partisans de l’accord.


Le CAFTA est entré en vigueur il y a un an et depuis lors se sont déroulés un certain nombre d’événements regrettables. Pour ne donner que quelques exemples : on a eu le culot de détourner 195 millions de quetzales (25 millions de dollars) sur des fonds du ministère de l’éducation vers l’Organisation de l’aviation civile internationale afin d’agrandir l’aéroport. Ceci en dit long sur la priorité, par rapport à l’école, du transport de marchandises. Puis il y a eu le cas scandaleux de l’assassinat avec acharnement de trois députés d’El Salvador et de leur chauffeur par des fonctionnaires guatémaltèques qui avaient à leur tête le chef de l’unité de lutte contre le crime organisé.

L’atmosphère politique traverse une période d’évidente détérioration. On pourrait dépenser beaucoup d’encre à révéler les scandales gouvernementaux, contentons nous d’analyser ceux de l’espace économique international qui relèvent de notre compétence. Un an après l’entrée en fonction du CAFTA, la prédiction de l’ambassadeur des États-Unis au Guatemala, James Dirham, – « Le Guatemala sera perçu comme une nation plus attractive pour les investissements à partir du 1er juillet » [4] – semble bien lointaine.

Investissements

On ne voit pas venir les investissements étrangers du CAFTA. PRONACOM (Programme national de compétitivité) peut – sans donner de précision – raconter que le Guatemala a reçu 839,5 millions de dollars en investissements extérieurs et que l’on a créé 17 000 emplois. Peut-être y a-t-il confusion entre nouvelles dettes et investissements. Ses chiffres ne correspondent pas avec ceux de la Banque du Guatemala ni avec ceux des associations du secteur privé. Ni, d’ailleurs, avec le témoignage quotidien des liquidations dans le secteur industriel, et du chômage.

Ce qu’a apporté le CAFTA ce sont des poursuites judiciaires auprès de tribunaux extraterritoriaux. Certaines proviennent d’étrangers qui étaient installés ici avant le CAFTA. L’article 10.16 1b du CAFTA concède avec effet rétroactif ses privilèges aux investissements étrangers faits avant son application, y compris s’agissant d’entreprises nationales établies. C’est par exemple le cas de Railroad Development Corporation (RDC) contre l’État guatémaltèque propriétaire de Ferrovías de Guatemala (FEGUA) [5]. En 1997 la RDC a obtenu une concession de 50 ans avec engagement de remise en état du fonctionnement. Maintenant cette compagnie réclame 65 millions de dollars – 15 millions pour investissement supposé et 50 millions pour les profits à venir, sans toutefois avoir en 10 ans fait fonctionner les trains. La RDC, peu importante aux États-Unis, est active dans d’autres pays : Argentine, Estonie, Pérou, Malawi et Mozambique et elle a déjà réalisé des poursuites de ce type : en Estonie, elle a réussi à forcer un arrangement [6]

Le motif de la poursuite judiciaire est l’expropriation indirecte parce que le Président Berger, un mois exactement après signature du CAFTA, a déclaré « préjudiciable » à la nation l’utilisation de 12 vieilles locomotives de FEGUA. C’est une étrange coïncidence – et une chance pour la RDC qui perdait de l’argent – que le Président Berger se soit préoccupé de quelques vieilles locomotives juste après l’entrée en vigueur du CAFTA, alors qu’il ne l’avait pas fait quand on les utilisait avant le CAFTA.

Commerce

Pour son premier anniversaire le CAFTA est loin d’honorer les promesses faites par ses promoteurs : AGEXPRONT, AM-Cham, VESTEX, FEDEFARMA, Camagro, CIG, parmi les plus connus. C’est le contraire qui s’est produit et dans le cadre du CAFTA le Guatemala a dû faire face à un grave revers avec le premier déficit de sa balance commerciale en 10 ans. C’est exactement ce qu’avaient annoncé ceux qui n’ont pas été consultés – les groupes populaires que la police a attaqués à coups de feu parce qu’ils protestaient, et auxquels les quotidiens n’ont pas laissé, pour exprimer leur opinion, beaucoup d’espace dans leurs colonnes.

Année Importations Exportations Balance
2007 (4 mois) 1,256.5 1,058.5 -198.1
2006 3,511.4 3,102.3 -409.1
2005 2,835.4 3,137.4 302.0
2004 2,551.3 3,154.0 602.7
2003 2,263.4 2,946.8 683.4
2002 2,044.4 2,796.4 752.0
2001 1,869.7 2,588.6 718.9
2000 1,900.7 2,607.5 706.8
1999 1,811.8 2,265.2 453.4
1998 1,937.8 2,071.6 133.8
1997 1,729.7 1,990.1 260.4

Importations et exportations du Guatemala et des États-Unis, 1997-2006
Source : U.S. Census Bureau, Foreign Trade Division, Data Dissemination Branch, Washington, DC.

Ce tableau montre que la balance commerciale entre le Guatemala et les États-Unis a toujours été favorable au Guatemala jusqu’à l’année 2006. Ensuite elle devient déficitaire de 409,1 millions de dollars. Dans les 4 premiers mois de 2007 le déficit atteint déjà 198 millions de dollars et une projection indique qu’ il dépassera sur l’ensemble de l’année les 800 millions de dollars. Il est évident que ce solde défavorable de l’échange commercial est dû au CAFTA.

Ces chiffres viennent des États-Unis et la presse continue à présenter des promoteurs du CAFTA en évoquant l’augmentation des exportations du Guatemala en direction des États-Unis. Ce sont des fantasmes publicitaires. Lorsque le Président Bush est passé par le Guatemala en mars, il a rendu visite à Mariano Canú, président de l’Association des producteurs maraîchers mayas dans le département de Chimaltenango [7]. Tout sourire tandis qu’il chargeait des caisses de salades, le président des États-Unis a présenté Canú comme quelqu’un qui profitait des bienfaits du CAFTA et dont l’entreprise, maintenant plus dynamique, exporte des légumes verts aux États-Unis. Il se trouve que Monsieur Canú exporte effectivement mais à El Salvador et lors d’une interview cette année, il a dit qu’il n’était pas parvenu jusqu’à présent à exporter ses produits vers les États-Unis.

Textiles

VESTEX a été, dans l’industrie textile et du vêtement, le groupe le plus actif pour la promotion du CAFTA. Il prétend désormais que c’est à une application inégalitaire qu’est dû son échec. Le traité est entré en vigueur plus tôt à El Salvador, au Honduras et au Nicaragua, ce qui a été source d’incertitude et a retardé des projets d’investissements au Guatemala, mais il affirme que le CAFTA tient ses promesses.

Une telle explication n’est pas crédible car avant le CAFTA, on appliquait les préférences de l’Initiative du bassin des Caraïbes (CBI en anglais, Caribbean Basin Initiative), qui sont identiques, et le bénéfice pour le marché états-unien est le même. À El Salvador et au Honduras, où le traité est entré en vigueur plus tôt, il n’y a pas plus de nouveaux investissements, et des emplois disparaissent également. Au Nicaragua seulement les exportations textiles sont en augmentation, mais c’est parce que pour le Nicaragua le CAFTA comprend des règles sur l’origine des textiles qui permettent l’utilisation de davantage de matières premières extrarégionales. Au Guatemala les exportations de textiles qui sont en augmentation n’appliquent pas la réglementation du CAFTA, chose que VESTEX sait mais omet de signaler.

Pays 2005 2006  % variation 2005-2006  % variation avril 2006 - avril 2007
Total des importations états-uniennes 68,713 71,630 4.25 8.53
Guatemala 1,816 1,666 - 8.26 -10.04
Costa Rica 482 465 - 3.53 -7.51
Mexique 6,078 5,297 -12.85 -13.58
Chine 15,143 18,518 22.23 47.91

Montant des importations textiles des États-Unis, par origine (en millions de dollars)
Source : Office of Textiles and Apparel (OTEXA), États-Unis, juin 2007.

Ce tableau montre que le marché textile des États-Unis augmente peu et que les importations en provenance de Chine augmentent beaucoup plus que le marché. Les producteurs qui ont joué le jeu de la préférence de l’accord de libre-échange avec les États-Unis sont ainsi évincés. Le principal atout local est la main d’œuvre bon marché qui n’arrive malgré tout pas à rendre la production compétitive en même temps qu’elle propage la misère.

Agriculture

En une année d’application du CAFTA, l’importation de céréales a augmenté et également, par conséquent, les prix à la consommation. Cela s’avère dommageable pour l’agriculteur et le consommateur mais bénéfique pour l’importateur. De 2005 à 2006 le montant des importations s’est envolé : le blé de 55 à 125 millions de dollars, le maïs de 77 à 99.6 millions de dollars, le riz de 17.9 à 20.9 millions de dollars.
Depuis 2005 le prix du pain est monté de 23,6%, celui du maïs de 26,2% et celui du riz de 10,5%.

Propriété intellectuelle

La première poursuite judiciaire de l’ère CAFTA fut à l’encontre de l’industrie, encore fragile, des médicaments génériques, avec la plainte déposée par Pfizer contre Biocros au sujet du viagra. Le composant actif est le Sildenafil et Biocros l’utilise dans sa fabrication du Laris. Au Guatemala il est utilisé dans 9 produits, au Venezuela dans 14, en Colombie dans 31, en Équateur dans 15. Pfizer n’a jamais obtenu que lui soient reconnus des droits parce que la molécule n’est pas brevetée. Le Guatemala est le seul pays à avoir reçu la plainte. Biocros a fait appel et gagné mais cet incident montre que la dernière loi sur la propriété industrielle exigée par les États-Unis facilite les abus.

Il y a peu, lorsque les démocrates du Congrès des États-Unis ont annoncé qu’ils voulaient obtenir la garantie du fait que la législation du Panama est en accord avec celle de l’accord de libre-échange, Susan Schwab, la représentante des États-Unis pour le commerce extérieur [8], répondit que « demander unilatéralement à un pays souverain de changer ses lois serait une rupture fondamentale d’avec les lois, la politique et les pratiques des États-Unis ».

Souvenons-nous bien de ce que le Congrès du Guatemala a voté successivement en deux ans 5 lois sur la Propriété industrielle [9] parce qu’aucune ne donnait satisfaction aux exigences croissantes du Bureau du représentant des États-Unis pour le commerce extérieur.

Nous sommes d’accord avec Mme Schwab mais ses scrupules sont sélectifs et sans fondements car le dictat unilatéral a caractérisé la politique et la pratique de son bureau.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2964.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Programa de las Americas, 9 août 2007.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[3mis pour Dominican Republic-Central America Free Trade Agreement.

[4Prensa libre, 29 juin 2007.

[5Voies ferrées du Guatemala – note Dial.

[6« Arbitration claims withdrawn after Estonia pays to renationalize railway », ITN, 1er février 2007, accessible en ligne à l’adresse : http://www.iisd.org/pdf/2007/itn_feb1_2007.pdf.

[7Région centrale du Guatemala – note Dial.

[8United States Trade Representative (USTR).

[9Décret 09-2003 – priorité de la propriété intellectuelle sur la santé publique –, prérequis pour entamer les négociations de l’accord de libre-échange ; Décret 34-2004, projet législatif dénoncé par l’USTR comme une violation de l’Accord de libre-échange, qui n’était pas encore signé ; Accord de gouvernance 3-2005, rejeté par l’USTR ; Décret 30-2005, modification de l’article 177(b) formellement exigée par l’USTR avec un document intitulé Preliminary list of implementation deficiencies daté du 16 novembre 2005.

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