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VENEZUELA - Que se passe-t-il au Venezuela ? Les notes de voyage de « Radio Mochila » (Argentine)

mardi 9 octobre 2012, mis en ligne par Thierry Deronne

6 octobre 2012

Après un séjour sur les terres de Bolívar, que nous estimions à deux mois et qui finalement en a pris cinq, nous nous permettons respectueusement, et sincèrement, de livrer quelques notes parmi tout ce que cette belle expérience nous a donné à penser.

Depuis quelques années dans l’inconscient collectif, dans les conversations de café et, surtout, dans les médias, le mot « Venezuela » circule comme un paradigme nouveau. Beaucoup parlent du Venezuela, pour le meilleur comme pour le pire, surtout pour le pire dans les médias internationaux. Tous racontent, tous savent. Ou disent savoir. Nous posons la question : combien d’entre eux connaissent-ils, ne serait-ce qu’un peu, le Venezuela ?

Communication populaire et radios communautaires

Dans l’effervescence politique qu’on vit chaque jour dans la République bolivarienne, et surtout avec les passions et les haines que génère un président comme Hugo Chávez Frías, il était logique de voir surgir ces dernières années de nombreuses radios communautaires, populaires, alternatives. Sauf qu’ici, à la différence d’autres pays d’Amérique Latine, le gouvernement appuie fortement ces processus populaires. Non seulement en leur transférant des équipements de la plus récente technologie (nous en sommes les témoins) mais aussi en organisant des formations et en contribuant, par exemple, à la rémunération des opérateurs techniques.

Un incrédule dira que dans ce cas l’État et le gouvernement en profitent sûrement pour « faire descendre leur ligne politique » ou pour décider de ce qui se diffuse ou non. Existe-t-il une machine d’État capable de contrôler tout ce que transmettent tant de médias populaires légalisés au Venezuela ? Certains peuvent penser que oui. Pour nous, et sur la base de ce que nous avons vécu, ce n’est pas le cas. Et même si c’était le cas, où donc les groupes éternellement oubliés par les grands médias, auraient-ils le plus de possibilités de s’exprimer ?

Il est illogique de penser que l’État qui a octroyé le plus de permis et d’appuis aux médias alternatifs et communautaires, le fasse par pur intérêt gouvernemental. Il est plus illogique encore de penser, ou de répéter comme des perroquets, qu’il y a censure.

Dans plusieurs des radios que nous avons visitées, il est vrai que la majorité appuie le processus de changement en cours dans le pays, par conviction. Cela n’en fait pas des médias « dépendants » du gouvernement ou liés à des partis. Dans ces radios, la dimension culturelle, communautaire, sociale de la communication est ce qui domine.

La majorité de ces radios sont nées à partir de 2002. Après le coup d’État d’avril. Ce n’est pas un détail, sachant que ce fut essentiellement un coup d’État médiatique, comme l’ont avoué les grands médias télévisés eux-mêmes. Vous ne nous croyez pas ? Alors ne manquez pas de regarder le documentaire : « La révolution ne sera pas transmise » :

Il est bon de dire également qu’il reste beaucoup de choses à faire, et il en restera toujours, dans la construction de médias populaires. Mais nous croyons que le Venezuela offre plus de champs et de possibilités pour ce faire que d’autres pays du Cône Sud.

Censure et liberté d’expression

Ça fait mal d’entendre qu’au Venezuela il n’y a pas de liberté d’expression ou qu’il y a censure. Non seulement pour ce que nous avons dit des radios communautaires. Ça fait mal d’entendre ce type de discours dans un pays comme le Venezuela où une députée est capable de se lever en plein Congrès pour crier au président de la nation : « voleur ». Et ce n’est pas qu’elle l’accuse d’être corrompu ou d’avoir empoché un pourboire, non. Elle lui dit « voleur » parce que, pour elle, réquisitionner des logements vides, « c’est voler ». Existe-t-il dans l’Histoire de l’Amérique Latine le cas de quelqu’un qui ait crié « voleur » à un dictateur et qui soit resté en vie ou ne soit pas allé en prison ? Eh bien, cette députée vénézuélienne jouit pleinement de sa liberté, continue à dire ce qui lui plaît, prépare sa candidate comme future présidente du Venezuela. Étrange dictature… comme dirait le maître Galeano.

Pendant tous ces mois nous avons zappé de chaîne en chaîne. Nous avons vu par exemple une des grandes chaînes du Venezuela accuser le président de mentir sur sa maladie. Le jour suivant, la télé annonçait qu’il était en train de mourir, qu’il ne lui restait que quelques heures à vivre. Le jour d’après, ce fut autre chose. Diffamation, insultes, jamais la moindre preuve, tout est fait pour travailler l’inconscient d’une société.

Et quelle rage de voir l’utilisation, surtout à l’extérieur du Venezuela, du cas de RCTV, comme exemple du manque de liberté d’expression [1] ! Une chaîne de télévision qui fut une pièce centrale de coup d’État médiatique et qui en pleine résistance populaire pour exiger le retour de Chávez et de la démocratie, diffusait des dessins animés. Cette chaîne n’a pas été fermée par Chávez. Sa concession de vingt ans sur une fréquence du spectre radioélectrique arrivant à expiration, l’État a estimé avoir assez de raisons pour ne pas la renouveler.

Si une personne se fait passer pour un médecin, opère des personnes et les tue, et qu’on décide qu’il ne travaillera plus dans cet hôpital, qui s’opposera à ce qu’on ne lui renouvelle pas son contrat ? Plus d’un demandera sans doute qu’on l’emprisonne.
Maintenant, si à un groupe privé qui se dit « moyen de communication », l’État décide de ne pas renouveler la concession parce qu’en réalité il a empêché les gens de s’informer, leur a menti, a participé à la destruction de la démocratie en organisant un coup d’État après avoir monté un climat de violence qui a fini par produire des morts… là oui, certains s’horrifient et crient à la censure. Ils parlent de manque de liberté d’expression et pleurent pour RCTV, mais n’ont pas un mot pour les radios communautaires, qui ne sont pas nécessairement « chavistes » comme c’est le cas de la radio Fé y Alegría (jésuites progressistes, NdT.) et qui durant les 48 heures qu’a duré le gouvernement de facto de Carmona, a été menacée. Ses travailleurs ont exposé leurs vies pour informer les vénézuéliens sur ce qui se passait et que les grands médias occultaient. Lisez « Coup de radio » de José Ignacio López Vigil.

Même s’il est vrai qu’il y a beaucoup de choses que nous ne partageons pas comme par exemple la façon de gérer les médias publics, il est également vrai qu’au Venezuela on peut se plaindre de beaucoup de choses mais pas de ne pas avoir la liberté de se plaindre.

Démocratie participative

Depuis quelques années est mis en œuvre dans la République bolivarienne le modèle des « conseils communaux ». A la base, ce sont des groupes de voisins et de voisines qui s’organisent, décident de ce qui manque dans leurs communautés ou leurs quartiers et présentent leurs projets au gouvernement national. Ceux-ci une fois approuvés, l’État transfère directement les ressources aux habitants. Ce sont eux qui, à travers le conseil communal, réalisent, construisent alors le projet original, à travers une coopérative locale par exemple. On évite ainsi les éternels renards qui dans les gouvernements régionaux ou dans les mairies, sont à l’affût de commissions, ou le fait que les travaux ne soient jamais exécutés sauf au moment des élections.

Il y a des conseils communaux qui ont réussi beaucoup de choses. Nous en avons observé deux, très loin de Caracas, l’un à la frontière de la Colombie, l’autre au somment d’une montagne. Tous deux, par le biais de l’organisation populaire ont réussi notamment à installer des « infocentros » (centres de connexion à internet, publics et gratuits), dotés de la technologie la plus récente, avec software libre et internet par satellite (ce qui est extrêmement coûteux).

« Polarisation totale de la société »

On dit qu’au Venezuela il existe une polarisation totale, et c’est bien le moins. De tous les pays du cône Sud c’est le seul où sont réellement abordées des questions de fond, où nous avons senti que sont vraiment touchés les intérêts du capital national et transnational. Si elle ne générait pas de polarisation, cette avancée ne serait sans doute pas très authentique. Par ailleurs, lorsqu’on vivait la situation inverse, quand c’étaient les ressources de l’État et des vénézuéliens ordinaires qui étaient affectés, dans quels médias entendait-on dire que l’on attentait à l’État de droit ?

La plupart des médias mènent une campagne systématique et continue. Chávez est le grand coupable de tout, même de la pluie. Comme si dans les 200 années antérieures, la pauvreté, l’exclusion, la corruption et tout ce dont on accuse aujourd’hui le gouvernement, n’avaient jamais existé. Bien sûr qu’il faut continuer à exiger les solutions aux nombreux problèmes qui subsistent, mais sans mensonges.

Et puis, quel est le problème, si la « polarisation » apporte la discussion de modèles, le débat d’idées ? La pluralité des regards, la confrontation de projets ne sont-elles pas au coeur de la démocratie ? De quoi a-t-on peur ? De la confrontation ? Et quand ce fut l’inverse ? Quand tout était « calme », « tranquille » parce qu’il ne restait à beaucoup de vénézuéliens que le droit de se résigner en silence ?

Solidarité

Il semble que le Venezuela soit un des seuls pays qui s’intéresse vraiment à l’intégrité et à l’intégration du continent latino-américain. On peut le mesurer dans la création de la chaîne Telesur mais aussi dans de très nombreux projets que ce pays non seulement défend mais finance.

Nous ne disons pas que les peuples ne portent pas ces liens de fraternité et de solidarité – nous avons pu vérifier que si, ils existent vraiment – mais on peut observer aujourd’hui la même attitude de la part de plusieurs gouvernements. Le Venezuela ne représente pas seulement une autre manière de comprendre le monde d’aujourd’hui : il a aussi la force et l’envie nécessaires pour assumer ce que cela signifie. C’est vrai que c’est le pays le plus riche de la région. Et dans cette phase du capitalisme, la logique voudrait qu’il se ferme et cherche son avantage à tout prix, comme le fait l’Allemagne dans l’Union européenne, écrasant au maximum les autres pays pour éviter de plonger dans la crise qui frappe l’Europe. Mais c’est en partant d’une vision sociale que le Venezuela fait primer la solidarité avec les pays frères. Cela va plus loin qu’un gouvernement. Ce sentiment solidaire envers les autres pays nous l’avons ressenti de la part de nombreux citoyens vénézuéliens.

Les yeux du monde

Ne nous étonnons pas si, pour toutes ces raisons et parce que ce pays abrite la plus grande réserve de pétrole du monde jadis sous contrôle états-unien, le monde tourne les yeux ce dimanche vers le Venezuela. Le pays où dans les dix dernières années du gouvernement de Chávez on a voté plus que dans les vingt années antérieures. Où tout est suspendu à un fil pour que le continent continue d’avancer sans autre miroir que le plus proche, libéré du besoin de traverser l’océan pour chercher des remèdes à nos problèmes.

Peut-être qu’on parle autant du Venezuela parce que comme nous l’a dit un jour un ami vénézuélien, ses citoyens ont appris « qu’ils avaient beaucoup de droits mais qu’ils n’avaient jamais été respectés », et parce que quoi qu’il arrive « la majorité des vénézuéliens ne seront plus jamais idiots ».


 Source (espagnol) : http://www.bitacoradeviajeproyectoradiomochila.blogspot.com/2012/10/que-pasa-en-venezuela-algunas.html
 Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne
 Première publication : http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/10/06/que-se-passe-t-il-au-venezuela-les-notes-de-voyage-de-radio-mochila-argentine/

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Portfolio


[1Sur cette campagne de désinformation à propos de RCTV (entre autres), voir le dossier très complet d’ACRIMED : http://www.acrimed.org/rubrique179.html.

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