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DIAL 2284

MEXIQUE - Trois ans après leur signature, les accords de San Andrés ne sont toujours pas appliqués

José Gil Olmos

lundi 1er mars 1999, mis en ligne par Dial

Les accords sur les droits et la culture indigènes, qui ont été signés le 16 février 1996 entre l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et le gouvernement fédéral mexicain ne sont toujours pas appliqués. Alors qu’ils avaient ouvert une grande espérance pour la paix, leur non-application par le gouvernement mexicain est devenue l’obstacle majeur à toute poursuite du dialogue et à tout progrès vers la paix. Les effectifs de l’armée fédérale n’ont fait qu’augmenter au Chiapas, avec son lot de violation quotidienne des droits de l’homme, de même que les groupes paramilitaires. L’EZLN va en appeler une fois de plus à la société civile lors d’une grande consultation populaire le 21 mars prochain. Article de José Gil Olmos, paru dans le quotidien mexicain La Jornada, 16 février 1999, complété de quelques textes en provenance d’autres sources.


Trois ans ont passé depuis que les accords de San Andrés sur les droits et la culture indigènes ont été signés et ils ne sont toujours pas appliqués [1]. Les conséquences en sont diverses : depuis la rupture du dialogue (il y a 30 mois), en passant par la disparition de la Commission nationale d’intermédiation, et jusqu’à la mort d’au moins 136 personnes exécutées par les groupes paramilitaires, le déplacement de 15 000 indigènes qui ont fui dans les montagnes pour échapper à d’autres tueries comme celle d’Acteal [2] ou la sortie de 300 étrangers, présents dans la zone du conflit, obligés de quitter le pays.

Les accords sur les droits et la culture indigènes signés le 16 février 1996 à la mairie de San Andrés Sacamch’en ont été considérés en leur temps comme un pas décisif en faveur de la signature de la paix au Chiapas ; cependant, ils se sont transformés en promesse inaccomplie et leur application est à présent la condition principale pour renouer le processus de paix.

Pour parvenir à la signature de ces premiers accords, l’Armée zapatiste de libération nationale et le gouvernement fédéral ont négocié pendant 25 mois à partir du moment où le groupe rebelle s’est manifesté publiquement. En concluant le premier accord, le gouvernement fédéral pensa que le chemin était dégagé pour la signature de la paix. C’est pour cela que le vendredi qui vit la signature des textes, le gouvernement se démenait pour obtenir que les zapatistes acceptent de se laisser prendre en photo pour attester que la paix était en germe.

Les noms des commandants David, Tacho et Zebedeo apparaissaient dans les 4 documents avec ceux de Marcos Antonio Bernal et Jorge Del Valle,

les représentants du gouvernement. Toutefois, la « photo historique » avec laquelle on prétendait montrer la réalité du processus de paix ne fut pas prise ce jour-là.

Cet acte resta privé, malgré l’insistance faite à l’égard des 17 commandants de l’EZLN pour qu’il soit public. À la sortie du lieu du dialogue, pour prendre congé des centaines d’indigènes qui attendaient sur la place du village tzotzil, le commandant David expliqua pourquoi ils n’avaient pas accepté d’être pris en photo avec les représentants gouvernementaux : « Nous sommes arrivés à un accord restreint ; on ne nous trompera pas en nous faisant croire que nous avons signé la paix. Si nous n’acceptons pas de signer ouvertement et publiquement c’est parce que nous avons raison (...). Notre lutte a toujours été payée de trahison. Nous ne pouvons pas parler de paix alors que, au-dessus de nos peuples, il y a des centaines de militaires avec leurs véhicules, leurs tanks et leurs avions. Ceci n’est pas la paix, c’est un signe de guerre », a-t-il déclaré avant d’exiger du gouvernement des preuves claires de détente.

La situation n’a pas changé. Les accords de San Andrés ont été reconnus pendant à peine 7 mois et leur non-application est à l’origine de nouvelles étapes du conflit. La première a commencé le 2 septembre de cette même année, lorsque l’EZLN a déclaré qu’elle suspendait le dialogue en réponse à la décision du président Ernesto Zedillo de ne pas accepter l’initiative de la Commission de concorde et pacification (COCOPA) élaborée sur la base des accords de San Andrés. L’exécutif fédéral a modifié la dite initiative en janvier 1997 et a envoyé sa propre initiative au sénat de la République le 14 mars 1998. Le secrétaire du gouvernement Francisco Labastida a déclaré en conséquence que ce fait apportait une solution à l’une des causes du conflit.

À partir de la suspension du dialogue de paix, la table des négociations a été close et il y eut une recrudescence du conflit armé au Chiapas : on l’a appelé « guerre de basse intensité » et il a donné lieu à une spirale de violence qui a provoqué la mort d’au moins 136 personnes exécutées par une dizaine de groupes paramilitaires identifiés dans le rapport Chiapas, la guerre en cours, élaboré par le Centre des droits de l’homme Miguel Agustín Pro Juárez et publié en février dernier, ainsi que dans l’enquête réalisée par le Centre des droits de l’homme Fray Bartolomé de Las Casas et intitulée La légalité de l’injustice.

Le nouveau visage du conflit

La suspension du dialogue entre l’EZLN et le gouvernement fédéral le 2 septembre 1996 en raison de la non-application des accords de San Andrés a ouvert les portes de la violence dans la moitié du territoire chiapanèque et a conduit le gouvernement à durcir sa politique.

La CONAI, présidée par l’évêque Samuel Ruiz García s’est elle-même dissoute [3] après une campagne de dénigrement contre le diocèse de San Cristóbal avec la participation de l’exécutif fédéral lui-même. Au cours de cette période, 300 étrangers qui étaient dans la zone du conflit quittèrent également le pays ; 87 furent expulsés pour être intervenus soi-disant dans la politique nationale et le gouvernement a présenté sa nouvelle stratégie pour le Chiapas dans laquelle il réduit le conflit à seulement quatre municipalités.

Lors de sa démission de la CONAI, Samuel Ruiz résuma ainsi les agressions contre le diocèse de San Cristóbal : « Expulsion de sept prêtres pour fausses accusations, refus effectif du droit de résider aux agents de pastorale étrangers, emprisonnement de quatre prêtres faussement accusés et en violation flagrante de leurs droits humains, fermeture de quelque quarante églises (dont certaines sont occupées par l’armée), mandats d’arrêt à l’encontre de nombreux prêtres, religieuses et missionnaires, pressions exercées sur différents paysans pour qu’ils affirment que le diocèse remet des armes aux communautés, directives données à différents moyens de communication pour qu’ils manipulent les informations, création d’un climat de lynchage, profanation du Très Saint-Sacrement dans différentes églises par la police de sécurité. » [4]

La tuerie de 45 indigènes à Acteal effectuée par les groupes paramilitaires de Chenalhó, le 22 décembre 1997 reflète fidèlement cette situation de violence, de même que le déplacement dans Los Altos et le Nord du Chiapas de 15 000 indigènes, selon les données des organisations non gouvernementales, ou de 7 000 selon les chiffres officiels.

L’absence de médiation se fit immédiatement sentir dans 25 municipalités où se trouvent les communautés indigènes sympathisantes de l’EZLN : les groupes paramilitaires commirent des assassinats, des enlèvements et des détentions illégales, ils blessèrent et menacèrent toute personne qui refusait l’aide officielle ou exprimait de la sympathie pour le groupe rebelle. Ainsi, parallèlement aux efforts que faisaient la CONAI et la COCOPA pour renouveler le dialogue, dans la moitié du territoire du Chiapas les groupes paramilitaires commencèrent à mener des actions d’intimidation que les organismes de droits de l’homme ont appelé « guerre de basse intensité ». Selon le rapport du Centre des droits de l’homme Miguel Agustín Pro, ces groupes ont commencé d’agir à partir de 1993, mais ils ont intensifié leurs activités à partir de 1996 dans les municipalités de Chenalhó, Larráinzar, Chamula, Pantelhó, Yajalón, Ocosingo, Venustiano Carranza, Tila, Sabanilla, Tumbalá, Salto de Agua, Palenque, Las Margaritas, Oxchuc, Huixtán, Altamirano, Sitalá, San Juan Cancuc, Simojovel, Huitiupan, El Bosque, Frontera Comalapa et Pueblo Nuevo Solistahuacán.

Les principaux groupes armés ont créé une nouvelle géographie policière et militaire au Chiapas, car ils se sont intégrés aux positions militaires prises à partir de février 1995, lorsque les troupes firent des incursions dans la Forêt lacandone, Los Altos et la zone nord, à la recherche des leaders.

Divers rapports indiquent de façon convergente que les principaux groupes paramilitaires en action sont les Chinchulines, le Masque rouge, la Première force, l’Alliance San Bartolomé, les Forces armées du peuple, Paix et justice, le Mouvement indigène révolutionnaire antizapatiste, les Égorgeurs et Thomas Munzer [5]. De plus, on en a détecté quatre autres qui n’ont pas de nom.

Le massacre du 22 décembre 1997 à Acteal a non seulement mis en évidence le nouveau visage du conflit chiapanèque mais il a aussi permis à l’armée mexicaine de prendre de nouvelles positions et de s’étendre encore plus qu’en décembre 1994, en réponse à l’extension de la zone d’influence de l’EZLN à 38 « municipalités rebelles », et en février 1995 avec l’opération Force de travail Arco Iris, grâce à laquelle il prétendit encercler et appréhender les dirigeants rebelles dans les gorges de la Forêt lacandone.

En se réclamant de l’application de la Loi fédérale sur les armes à feu et explosifs, les militaires installèrent à partir de la fin de 1997 davantage de postes, renouèrent avec les incursions dans les communautés zapatistes et continuèrent les rondes de surveillance aériennes et terrestres qui avaient été suspendues. De sources non officielles, on estime à 40 000 soldats la présence militaire dans la zone de conflit du Chiapas. Avant la tuerie de 45 indigènes à Acteal, les troupes étaient concentrées à San Cristóbal de Las Casas, Comitán, Altamirano, Ocosingo, Las Margaritas, Larráinzar, Palenque et Sabanilla. Ensuite elles ont étendu leur présence à El Bosque, Chenalhó, Pantelhó, Simojovel, Huitiupan, Bachajón, Mitontic, Sitalá, Nuevo Solistahuacán, Socoltenango, Tecpatán, Jitotol, Tecpatán et Ostuacan. C’est-à-dire à presque la moitié du Chiapas.


L’EZLN organise une consultation populaire le 21 mars 1999

Convaincu que le dialogue avec la société civile est le passage obligé pour la paix, l’EZLN organise une consultation de la population mexicaine appelée à répondre aux quatre questions suivantes :

1. Es-tu d’accord pour que les peuples indigènes soient inclus, avec toutes leurs forces et leurs richesses, dans le projet national et prennent une part active dans la construction d’un Mexique nouveau ?

2. Es-tu d’accord pour que les droits indigènes soient reconnus dans la Constitution mexicaine conformément aux Accords de la Commission de concorde et de pacification du Congrès de l’Union ?

3. Es-tu d’accord pour que nous atteignions la paix véritable par la voie du dialogue, en démilitarisant le pays avec le retour des soldats dans leur caserne comme le veulent la Constitution et les lois ?

4. Es-tu d’accord pour que le peuple s’organise et exige du gouvernement qu’il « commande en obéissant » dans tous les aspects de la vie nationale ?

L’EZLN appelle également à célébrer ce même jour une journée internationale pour les exclus dans le monde.


Des propos extravagants

Ce n’est que dans les limites de l’État [du Chiapas] qu’a trouvé un peu d’écho la position de la Fédération des propriétaires ruraux du Chiapas et du Front civique de San Cristóbal qui font une série d’affirmations extravagantes dans leur document intitulé Lettre des catholiques du Chiapas au pape Jean-Paul II, signé en janvier 1999 : « Les convictions marxistes de l’évêque Samuel Ruiz concernant son incitation tenace à la lutte des classes et des races par tout le continent (...), son alliance publique avec les guérilleros et les leaders communistes de toute l’Amérique et de l’Europe (...) il se propose de démanteler le Mexique et de lui imposer un régime totalitaire. » De la même façon, il fait référence à l’évêque coadjuteur Raul Vera : « Nous avions rendu grâce à Dieu pour la nomination d’un évêque auxiliaire qui était supposé venir rectifier les chemins d’un apostolat équivoque, mais ce fut une grande déception qu’il n’en soit pas ainsi puisque sa présence n’a servi qu’à renforcer dans le diocèse la ligne de la théologie hérétique de la libération et l’appui à la guérilla armée. »

L’attitude raciste et une vision politique extrêmement étroite des causes qui sont à l’origine du conflit se manifestent dans le document lorsqu’il est affirmé que « l’endoctrinement et l’action du dit évêque Ruiz Garcia ont provoqué une série de spoliations et préjudices à l’encontre principalement des petits propriétaires ruraux atteints dans leur patrimoine, augmentant la haine de l’indigène à l’égard du métis, ce qui a provoqué les faits sanglants qui sont connus, ainsi qu’une productivité encore plus faible dans la campagne chiapanèque, une plus grande pauvreté et une perte d’emplois pour ceux qui s’adonnent au travail de la terre. »

Chiapas Al Día, n° 143, bulletin du Centre de recherches économiques et politiques d’action communautaire (CIEPAC, ciepac[AT]laneta.apc.org)


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2284.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : La Jornada, février 1999.
 
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[1Texte intégral des Accords dans DIAL D 2074, 2076, 2080, 2081, 2082 (NdT).

[2Cf. DIAL D 2195, 2254, 2268 (NdT).

[3Cf. DIAL D 2229 (NdT).

[4Sur ces différentes agressions, on pourra lire DIAL D 2001, 2171, 2187, 2245 (NdT).

[5Cf. DIAL D 2090, 2206, 2208 (NdT).

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