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DIAL 2283

AMÉRIQUE LATINE - Un processus inéluctable. La migration hispanique vers les États-unis

Alejandro Aguilera

lundi 1er mars 1999, mis en ligne par Dial

Les mouvements migratoires d’Amérique latine et des Caraïbes vers les États-Unis se sont accrus depuis de nombreuses années et rien ne permet de penser que leur pression diminuera à l’avenir. Des mesures législatives restrictives ont été prises, mais beaucoup continuent de risquer leur vie au passage de la frontière. La forte proportion d’Hispaniques contribue à modifier profondément la composition de la population des États-Unis. Article de Alejandro Aguilera Titus, directeur associé du Secrétariat des affaires hispaniques de la Conférence épiscopale des États-Unis, paru dans Cencos, juillet 1998 (Mexique).


Les années 90 ont été particulièrement difficiles pour les immigrants qui résident ou veulent résider aux États-Unis. La récession économique du début de cette décennie et un accroissement surprenant de l’émigration vers le pays du Nord ont provoqué la résurgence de l’attitude anti-immigrant si caractéristique de cette nation aux périodes de difficultés économiques. Cette attitude a donné lieu à la formulation et à l’approbation d’initiatives d’État, comme la proposition 187 en Californie, ainsi qu’à des réformes de la loi d’immigration et du système de l’assistance publique. Dans chacun de ces cas, il s’agit de législation sans précédent et aux conséquences alarmantes, surtout pour les immigrants les plus pauvres. La loi 187 exclut les sans-papiers de l’éducation scolaire et des services médicaux, et transforme les agents de l’État en informateurs du Service d’immigration et de naturalisation. La réforme de la loi sur l’immigration ouvre la porte à la possibilité d’expulsions massives et renforce la police des frontières. De son côté, la réforme du système d’assistance publique prive les résidents légaux de bénéfices comme le droit au revenu de l’assurance complémentaire, à l’assistance médicale et aux cartes d’alimentation.

Solidarité avec les immigrants

En réponse à ce déferlement de législation anti-immigrant, le Comité des évêques pour les affaires hispaniques de la Conférence épiscopale des États-Unis a publié un message de solidarité avec les immigrants. Dans ce message pastoral, les évêques s’engagent à continuer à défendre le droit inaliénable de tout être humain à rechercher une vie digne et heureuse. Ils s’engagent à continuer leurs efforts pour réduire l’impact appauvrissant et désintégrateur des récentes lois et à poursuivre leur dénonciation contre la propagande politique qui présente les immigrants comme une charge pour le pays, les convertissant en « boucs émissaires ». Les évêques mettent en garde contre ces nouvelles lois qui peuvent avoir des effets dévastateurs et même tragiques. Dans ce document, les évêques avertissent : « Il est fréquent de rencontrer des immigrés soumis à des statuts différents dans un même foyer. L’expulsion produit des ravages dans l’unité familiale. Elle prive ses membres de protection tant au plan économique que psychologique et limite les possibilités de regroupement familial. L’angoisse ressentie est énorme et le manque du plus élémentaire comme le logement, la nourriture, la santé et l’éducation se fait plus grave et plus difficile. De plus, ces familles doivent affronter la discrimination, les préjugés et le racisme, alimentés par une propagande négative. »

Police des frontières, passeurs et immigrants

Les conséquences les plus dramatiques des récentes mesures législatives frappent les sans-papiers surtout mexicains. Les nouvelles lois ont renforcé la police des frontières, augmentant les sanctions pour l’entrée illégale dans le pays, et ont transformé plusieurs agences gouvernementales en agences virtuelles d’immigration. Une étude réalisée par l’Université de Houston indique qu’au moins 1 185 sans-papiers sont morts en essayant de passer la frontière entre 1993 et 1996. Parmi eux, 72 % des victimes sont mortes noyées, 8 % de coups et blessures, 5 % de déshydratation ou de froid, le reste pour d’autres raisons. Le renforcement des patrouilles de la police des frontières à des points cruciaux comme San Diego, Brownsville et El Paso, a contraint les sans-papiers à traverser la frontière dans des zones plus éloignées - hautes montagnes, déserts, rivières à fort courant - le plus souvent à pied, dans l’obscurité de la nuit et à la merci de « coyotes » [1] dont ils ne sont pas sûrs et qui les abandonnent s’ils tombent malades ou ne vont pas assez vite. L’immense majorité des victimes est d’origine mexicaine.

Des milliers de personnes risquent leur vie

Paradoxalement, ces mesures n’ont pas empêché que des milliers de personnes risquent leur vie. Au cours des cinq premiers jours de mai, la police des frontières a arrêté 5 195 personnes qui essayaient de passer la frontière par le désert près de Nogales et Douglas, dans l’Arizona ; cela représente plus de 1 000 personnes par jour.

Parmi les familles de résidents légaux, l’angoisse a diminué à la fin de ces dix dernières années. Grâce au travail infatigable de la communauté catholique et d’autres groupes solidaires, le Congrès a accepté de rétablir l’accès au revenu de l’assurance complémentaire et à l’assistance médicale pour ceux qui résidaient dans le pays avant le 22 août 1996. Mais ce changement est arrivé trop tard pour certains qui, après avoir travaillé toute leur vie aux États-Unis, n’ont pas supporté de se voir privés de ce qui est le plus élémentaire et ont préféré se suicider.

Pour ce qui est des bons d’alimentation, presqu’un million de personnes a connu la faim et les privations depuis l’application de la réforme. On prévoit cependant que ces bons seront rétablis pour 250 000 résidents légaux, entre autres ceux de plus de 65 ans et de moins de 18 ans, les réfugiés politiques et les personnes souffrant d’une déficience physique ou mentale. Quant au risque d’expulsion massive, des milliers de Nicaraguayens et de Guatémaltèques, dont la qualité de réfugiés politiques a été suspendue avec la nouvelle réforme, peuvent maintenant solliciter la carte de résident permanent. Mais l’application de la loi 187 est incertaine parce qu’elle est considérée comme anticonstitutionnelle. Cela n’a pas évité l’augmentation d’actes discriminatoires, surtout à l’encontre de la population mexicaine, et l’angoisse quotidienne due à la crainte de l’expulsion et du mauvais traitement.

La présence hispanique aux États-Unis peut être décisive électoralement

La sagesse populaire dit que « il n’y a pas de mal dont on ne puisse tirer du bien ». Le climat anti-immigrant des dernières années a contribué au réveil d’un géant endormi. La suppression d’avantages pour les résidents légaux et la reconnaissance de la « double nationalité » de la part du gouvernement mexicain ont provoqué une avalanche de demandes de naturalisation nord-américaine. Cela augmente encore plus le nombre d’hispano-latinos ayant droit de vote et renforce leur pouvoir politique. Selon les calculs du Bureau national du recensement des États-Unis, la présence hispano-latine dans ce pays a déjà dépassé les 30 millions d’habitants. Sur ce total, 39 % sont de nouveaux immigrants, le plus grand nombre nés au Mexique. En 2050, la communauté hispano-latine constituera le quart de la population totale de cette nation. Par contre la population « blanche » représentera moins de 50 %, ce qui constitue une grande inconnue pour l’identité nationale des États-Unis dans le futur.

Sans aucun doute, l’influence politique hispano-latine augmentera rapidement dans les prochaines années,

ne serait-ce que par le nombre. Cependant il serait erroné de prétendre que toute la population hispano-latine a une position politique homogène. D’un autre côté, il est évident que le problème de l’immigration est celui qui les rassemble le plus. Lors des récentes élections présidentielles, des États traditionnellement républicains comme le Texas et la Floride ont appuyé des candidats démocrates, précisément en raison de la politique anti-immigration du parti conservateur. Des analystes politiques ont affirmé que le vote hispano-latin a été décisif dans les changements de clientèle électorale et qu’un tel changement a influé de manière significative sur le résultat final des élections.

Jusqu’à maintenant, l’histoire centenaire de l’immigration mexicaine aux États-Unis a été marquée par deux échecs inéluctables. D’un côté, le gouvernement mexicain n’a pas pu défendre ses citoyens contre les abus subis dans le pays du Nord. De leur côté, les États-Unis n’ont pas atteint l’objectif fortement recherché de protéger leurs frontières de ce que certains appellent l’invasion silencieuse. Affrontée maintenant au troisième millénaire, cette histoire prend indéniablement un tournant important. Quel rôle joueront les millions d’Hispano-Latinos dans le phénomène migratoire et comment cela affectera-t-il les tendances politico-législatives qui prétendront la contrôler au XXIème siècle ? Dans leur message pastoral, les évêques se réjouissent du nombre croissant d’Hispano-Latinos qui ont choisi de devenir citoyens des États-Unis, et ils soulignent l’importance de leur participation dans le processus politique et législatif du pays, surtout pour la défense des immigrants les plus pauvres. Pour cela, disent les évêques, « nous prenons en compte la lumière de l’évangile et l’enseignement social de l’Église. » Quelle réponse y donneront les 30 millions d’Hispano-Latinos qui résident aux États-Unis dont 24 millions sont catholiques ? Jusqu’à quel point ont-ils conscience que le futur de cette nation dépendra en grande partie d’eux ? Le géant endormi est en train de se réveiller, nous verrons jusqu’où il va nous emmener.


L’afflux de sans-papiers mexicains aux États-Unis

Selon le gouvernement mexicain, au cours de l’année 1998, 271 Mexicains ont trouvé la mort en tentant de rentrer illégalement aux États-Unis, 89 ont été tués, frappés ou blessés par les agents étasuniens des patrouilles des frontières.

Au cours de l’année dernière, le gouvernement des États-Unis a expulsé 1,2 million d’immigrants mexicains sans papiers. D’après le ministère mexicain des affaires étrangères, bien que les chiffres concernant les expulsions sont similaires à ceux des années précédentes, le nombre de morts a augmenté de 41 % par rapport à 1997, et les violations des droits de l’homme ont presque doublé.

Le gouvernement du président Ernesto Zedillo, les parlementaires et les analystes attribuent le nombre de morts et d’exactions au durcissement des lois d’immigration et des contrôles migratoires aux États-Unis.

Le rapport laisse entendre que sur la frontière le nombre de victimes pourrait s’avérer plus élevé. Des agents étatsuniens et mexicains des frontières ont réussi à sauver 595 immigrants qui risquaient de mourir à cause de la faim, d’asphyxie ou d’épuisement.

Les immigrants sans papiers sont trompés par des trafiquants qui les déplacent à travers des routes dangereuses au milieu du désert ou les transportent dans des véhicules sans aération.

Ce rapport signale que chaque année plus de 315 000 Mexicains sans papiers parviennent à entrer aux États-Unis et y trouvent du travail.

IPS /Noticias Aliadas

18 janvier 1999.


Les causes multiples du phénomène migratoire

Il faut rechercher les raisons principales de l’émigration de l’Amérique latine et des Caraïbes vers l’extérieur dans la pauvreté structurelle qui atteint aujourd’hui des taux sans précédent en raison de l’imposition du néolibéralisme, des abus commis par des régimes despotiques qui ont couvert des dizaines de milliers de personnes assassinées, disparues, exilées, réfugiées et déplacées. Il faut y ajouter ceux qui ont fui les lieux où se déroulaient les guerres locales - comme celle d’Amérique centrale -, et ceux qui recherchaient de nouveaux horizons pour entretenir et regrouper leur famille.

Les populations qui vivent dans des situations de marginalité et d’injustice sociale tentent de se déplacer en allant d’un pôle de pauvreté plus grande vers un pôle de moindre pauvreté relative, que ce soit de la campagne à la ville, d’un pays à un autre dans la même région, ou bien ces populations aspirent avant tout à émigrer vers des pays dont les avantages comparatifs sont supérieurs.

Il s’ensuit une croissance systématique du flux migratoire qui a été stimulée par les conséquences néfastes du modèle néolibéral et de la globalisation économique à l’échelle planétaire, accentuant les inégalités de sociétés déjà appauvries par une dette extérieure impayable et augmentant les niveaux de pauvreté comme jamais auparavant dans notre région, laissant 210 millions de personnes dans la misère et 17 millions d’enfants qui travaillent dans les rues.

Document final de la rencontre internationale « Amérique centrale et Caraïbes : émigration et droits humains », Guatemala, 15-16 mai 1998.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2283.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Cencos, juillet 1998.
 
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[1Passeurs (NdT).

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