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DIAL 2370
AMÉRIQUE LATINE - Enfants en danger. Les risques encourus, les combats nécessaires
John Ludwick
samedi 1er avril 2000, mis en ligne par
Article de John Ludwick, paru dans Noticias Aliadas, 28 juin 1999, Pérou (voir aussi les autres articles sur les enfants dans les dossiers : DIAL D 2365, 2366, 2367, 2368 et 2369).
On pensait que les graines du développement semées pendant la décennie précédente serviraient à assurer une enfance sûre, heureuse et saine aux garçons et aux filles d’Amérique latine et des Caraïbes. Mais cela ne s’est pas passé ainsi.
Les gouvernements nationaux et l’ONU ont essayé d’améliorer la vie des enfants en se fixant des objectifs pour réduire la pauvreté, assurer l’éducation et l’alphabétisation, et mettre en place des services de base pour la santé, le tout pour l’an 2000. Mais avec l’horloge du millénaire programmée pour sonner les douze coups du 31 décembre, les enfants sont maintenant dans une situation de risque pire qu’à n’importe quel moment de ces dernières années.
La Banque interaméricaine de développement (BID) estime que 43 millions d’enfants latino-américains et caribéens de moins de 8 ans vivent dans la pauvreté, 17 millions de plus qu’en 1980. « Un autre fait alarmant est que le taux de pauvreté est beaucoup plus important chez les enfants, où il atteint 44 %, alors qu’il est de 33 % dans l’ensemble de la population de la région », a déclaré Mayra Buvinic, chef du service de développement social du BID. Les experts affirment que la pauvreté est un terrain toxique d’où surgissent des milliers de problèmes pour les enfants. L’absence de foyer, le travail des enfants, l’exploitation sexuelle, la violence et l’analphabétisme sont les conséquences des difficultés économiques.
Bien que la pauvreté soit la principale cause, d’autres facteurs contribuent à la misère que beaucoup d’enfants subissent, selon l’UNICEF. Des normes culturelles justifient que des petits enfants passent de longues heures dans les champs avec leurs parents, en maniant des outils dangereux et exposés à être mordus par des vipères ou des insectes ; les intentions politiques échouent souvent à garantir les droits ; les systèmes judiciaires ferment les yeux quand la police tue, estropie ou incarcère des enfants parce qu’ils vivent dans la rue.
Les lois ne suffisent pas
Tous les gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes ont ratifié la Convention sur les droits de l’enfance, qui a été adoptée à l’unanimité en 1989 par l’Assemblée générale de l’ONU. La convention établit des normes minimales légales et morales pour la défense des droits des enfants, garantit une protection contre l’abus et la négligence, l’accès aux soins, à l’éducation et à la nourriture, une défense contre l’exploitation par le travail, l’exploitation sexuelle et le trafic d’enfants.
Ces droits se sont accrus dans le continent par des accords patronnés par l’UNICEF, le plus récent étant l’Accord de Lima, signé dans la capitale péruvienne l’année passée. On espérait que ces actions créeraient un climat pour que les enfants puissent en l’an 2000 vivre en sécurité et heureux.
Fatigués d’attendre que le monde adulte résolve leurs problèmes, des groupes d’enfants travailleurs se sont associés dans tout le continent pour s’efforcer de protéger leurs droits. Le Mouvement des adolescents et des enfants fils d’ouvriers chrétiens (MANTHOC), une organisation péruvienne formée par des enfants travailleurs en 1976, lutte pour le droit des mineurs à travailler en sécurité et sans exploitation tout en allant à l’école.
Il existe des groupes semblables dans d’autres pays. Au Mexique, les enfants qui lavent les pare-brise des voitures dans les rues de Guadalajara ont organisé en 1997 un syndicat pour se protéger et protéger leur travail. Les filles qui travaillent comme domestiques sont parmi les plus exploitées et les plus ignorées, et sont parfois traitées comme des esclaves, sans salaire et sans pouvoir quitter les maisons où elles travaillent. En Bolivie, celles qui effectuent des travaux domestiques - souvent des femmes et des filles indigènes - ont formé un syndicat pour se protéger des abus. De tels groupes disent que la nécessité économique rend inévitable le travail des enfants, soulevant le débat de savoir si les enfants doivent travailler. Casa Alianza, branche latino-américaine de Covenant House, groupe de défense des enfants, s’oppose à leur travail sous toutes ses formes.
Selon Olga Rivera Román, présidente de MATHOC, les enfants de cette organisation ne travaillent pas seulement pour gagner de l’argent, mais pour grandir dans leur propre estime et apprendre à être responsables. Le travail des enfants « ne sert pas seulement pour gagner de l’argent ou pour survivre. Le travail aide les gens à se développer, qu’ils soient adultes ou enfants », dit Rivera.
Casa Alianza sait qu’éliminer le travail des enfants dans un futur proche est impossible, aussi s’est-elle fixée des objectifs plus réalistes. En liaison avec l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’UNICEF, Casa Alianza s’attaque aux travaux les plus dangereux, comme la prostitution, les mines, l’agriculture et la fabrication d’explosifs.
« La vision terrifiante de garçons et de filles travaillant dans les mines, vendus pour la prostitution et la pornographie, réduits en esclavage, et commercialisés ou exposés à des travaux dangereux a placé la question du travail des enfants au premier plan du programme », a déclaré Juan Somavía, directeur général de l’OIT.
Le risque d’abus sexuel
Des organisations comme l’OIT et Casa Alianza mettent à jour les côtés obscurs de l’humanité, où proxénètes et exploitants sexuels se jettent sur les enfants pour les obliger à se prostituer. Des endroits comme l’Amérique centrale et le Brésil sont en train de se faire une réputation semblable à celle de la Thaïlande comme pays de destination pour touristes pédophiles. « Comme la Thaïlande et d’autres pays d’Asie sont en train d’augmenter les restrictions au tourisme sexuel, beaucoup de ces visiteurs qui cherchent à satisfaire leur vice viennent en Amérique centrale et en d’autres endroits d’Amérique latine », a assuré Bruce Harris, directeur pour l’Amérique latine de Casa Alianza.
Au Costa Rica, le gouvernement a lancé une campagne pour prévenir le nombre croissant de touristes sexuels des conséquences auxquelles ils s’exposent en impliquant des mineurs dans la prostitution. Les critiques considèrent que ces efforts ne sont pas suffisants pour faire face à l’exploitation sexuelle des enfants qui « a souvent lieu dans un contexte d’impunité », a déclaré Heimo Laakonen, représentant de l’UNICEF au Costa Rica.
Au Guatemala, la frontière nord est devenu un paradis pour les pédophiles mexicains. Un rapport de l’Église catholique décrit comment les enfants sont achetés et vendus, et finalement obligés à se prostituer. Plus au sud, Interpol estime qu’environ 35 000 enfants et adolescents colombiens sont liés à la prostitution, et il existe au moins 54 réseaux de trafic d’enfants. En Bolivie, des clients riches peuvent acheter par téléphone les services de mineurs jusqu’à 10 ans, alors que les clients moins aisés accostent les enfants de la rue.
La travailleuse sociale brésilienne María Pinto Leal - qui souligne que les filles pauvres, noires ou métisses sont les plus recherchées pour le commerce sexuel dans son pays - explique que l’exploitation sexuelle et la violence contre les mineurs est « le produit de relations sociales inégales qui détruisent la personne se trouvant en situation de désavantage physique, émotionnel et social. »
L’abus sexuel n’est pas la seule forme de violence. Les enfants sont aussi soumis à de mauvais traitements dans leurs foyers, dans les écoles et dans la rue. Selon l’UNICEF, l’attitude culturelle qui prévaut est que les enfants « sont jeunes et n’ont pas d’opinion. Ce sont nous les adultes qui décidons ce qu’il faut faire. »
Échapper à la mort
Les plus vulnérables face à la violence sont les enfants de la rue, qui ont abandonné leurs foyers où ils étaient souvent victimes d’abus physiques, pour ensuite devenir la cible de la police, des commerçants et d’une société indolente.
Selon Casa Alianza, qui travaille avec des enfants de la rue en Amérique centrale, les mineurs tombent rapidement dans la culture de la rue, le vol et la prostitution, et l’inhalation de colle. Des policiers corrompus exercent la justice pour leur propre compte en frappant ces enfants. Étant donné qu’en général personne ne sait ou ne dénonce, les raclées sont de plus en plus fortes et de plus en plus fréquentes, jusqu’à la mort des enfants. « La police nationale du Guatemala tue impunément » assure un fonctionnaire de Casa Alianza. Parfois, les citoyens s’autodésignent juges et exécuteurs, comme on le soupçonne dans le cas de Denis Misael García Ramírez, âgé de 11 ans, dont le corps a été abandonné au bord du chemin dans la localité de Retalhueleu, dans le sud-ouest. García était un enfant de la rue qui mendiait dans les restaurants, et on croit que le propriétaire de l’un d’entre eux l’a abattu, bien que l’assassin n’ait jamais été arrêté.
Les garçons et les filles de la région courent aussi des risques à cause des problèmes de pollution. La contamination est particulièrement grave dans les aires métropolitaines en croissance et où les véhicules émettent des gaz et où les usines ne réduisent pas leurs dangereuses émissions dans l’air.
« La couleur du ciel ici est très laide » dit Hiram González, 8 ans, à propos de la couche marron qui s’étend sur Mexico, une des villes les plus contaminées du monde et particulièrement dangereuse pour les plus jeunes.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) pense que 80% environ de tous les décès liés à des infections pulmonaires provoquées par la contamination de l’air ont lieu parmi les enfants de moins de cinq ans dans les pays en voie de développement.
Dans la ville mexicaine de Torreón, les enfants ont des problèmes de santé causés par les fortes émissions de plomb d’une usine qui traite du minerai. Les efforts des habitants pour que le responsable, Met Mex Penoles, résolve le problème, ont eu très peu d’effets.
L’empoisonnement par le plomb menace aussi les enfants des quartiers les plus pauvres de Lima. Le principal responsable est l’essence au plomb que plus de 700 000 véhicules utilisent dans la ville. Le ministre de la santé péruvien a déclaré qu’il espère que la conversion à l’essence sans plomb prévue pour 2004 réduira le danger. Pour l’instant, les habitants de Lima, en particulier les enfants qui sont les plus sujets à l’empoisonnement par ce métal, doivent respirer un air avec des taux de plomb de 1,13 microgrammes par mètre cube, plus du double du taux maximal prévu par l’OMS, sans parler de l’émission de 400 autres gaz toxiques.
Dans les campagnes brésiliennes, les enfants sont exposés à des produits agrochimiques dangereux dans la région productrice de tabac. Une étude de 1998 du ministère du travail du Rio Grande do Sul, la principale région productrice de tabac du Brésil, a établi que - sur un échantillon d’environ 1 300 enfants et adolescents - 120 d’entre eux avaient aidé à appliquer des produits agrochimiques bien que ce soit illégal. Le rapport dit que 18 d’entre eux, dont 6 ayant moins de douze ans, avaient été hospitalisés pour cette raison. L’exposition prolongée à ces substances toxiques peuvent causer des vomissements, une tension élevée, des nausées et des dommages neurologiques qui évoluent vers la dépression et la perte des réflexes. [1]
Espoirs pour l’avenir
Devant une réalité aussi déprimante, le seul réconfort est de prendre des mesures de précaution et de protection envers les enfants dans toute la région pour leur offrir un meilleur avenir.
Les 150 enfants qui vivent dans le foyer Santa María, une institution privée qui agit dans un quartier pauvre de Lima, viennent de foyers dont les mères sont en général si pauvres qu’elles ne peuvent plus les nourrir. En plus de la nourriture, de l’hébergement et de l’éducation qu’ils reçoivent dans l’école locale, les enfants apprennent à utiliser des ordinateurs - ce qui est inhabituel pour la majorité des enfants péruviens pauvres - et ils ont des cours de musique.
Cependant, en raison de l’éducation limitée donnée par les écoles publiques et des barrières économiques pour accéder à l’éducation supérieure, la possibilité pour qu’un de ces enfants - ou la majorité des enfants péruviens - parvienne à l’université « est parfaitement nulle », dit le Rév. Pete Byrne, un prêtre maryknoll qui travaille avec les enfants de Santa María. Pourtant, beaucoup des enfants du foyer sont reconnaissants pour leur chance relative. Tous les samedis soirs, quand Byrne célèbre la messe, il y a toujours un enfant qui demande à Dieu de s’occuper des milliers d’enfants de la rue qui n’ont pas autant de chance.
Cette demande désintéressée est presque suffisante pour ne pas perdre l’espérance.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2370.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Noticias Aliadas, juin 1999.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Cf. DIAL D 2317 (NdT)