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Pourquoi un Pape sud-américain canonise un Pape anticommuniste ?
Ollantay Itzamná
jeudi 15 mai 2014, mis en ligne par
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Comme jamais auparavant dans son histoire, l’Église catholique connaît une désertion de ses fidèles en différents points de la planète. Jusqu’à la fin du siècle dernier, catholiques et protestants comptaient près de deux milliards de chrétiens, ce qui faisait de la religion chrétienne la plus importante du monde. Mais cette position hégémonique a chuté au cours du siècle présent parce que les adeptes de Allah (vaincus militairement par des rois catholiques au XVe siècle) totalisent plus de deux milliards de musulmans dans le monde et que le christianisme n’atteint actuellement plus ces deux milliards de fidèles.
En Amérique latine, le catholicisme folklorique se délite comme un vernis écaillé, non seulement parce que les rangs du néo-pentecôtisme évangélique grossissent mais aussi en raison de l’écho que connaissent les spiritualités indiennes millénaires, spiritualités en lien avec la Terre.
Beaucoup pourraient soutenir que la crise du catholicisme se résoudrait en démocratisant la monarchie ecclésiastique, en faisant la transparence sur les finances obscures de la Banque du Vatican, en punissant les milliers de pédophiles protégés par leur fonction sacerdotale, en ordonnant des femmes à la prêtrise etc… Certes, ces scandales et d’autres encore restés impunis, ces injustices consacrées, stupéfient à mesure qu’ils sortent au grand jour, mais la crise est beaucoup plus profonde.
L’humanité est dans une période de transition qui évolue des religions officielles vers les spiritualités libres. Beaucoup d’entre nous ne veulent plus de l’intermédiaire d’un Dieu sourd, muet, aveugle, insensible, et ami des riches et de despotes écocides. Une bonne part de l’humanité évolue de la phase de la croyance à celle de la pensée. Ceci est le produit de la mondialisation croissante des effets de la modernité. E. Kant dirait « L’humanité a atteint sa majorité ». Nous sommes devenus plus désobéissants et plus autonomes.
Mais cette maturité croissante de l’humanité suppose de sérieuses difficultés, non seulement pour le Vatican déclinant mais aussi pour la civilisation occidentale et surtout pour son système capitaliste. Le « système du monde occidental » a fonctionné dans la mesure où le christianisme ancrait dans la structure morale des personnes l’obéissance et la docilité au pouvoir établi, temporel et divin. Les différents empires, Rome, l’Espagne, L’Angleterre, les États Unis ont mis sous leur joug l’humanité dans la mesure où ils se sont appuyés sur le pouvoir hégémonique de la religion chrétienne, avec sa puissance de cohésion, de persuasion et de représentation. Mais ce pouvoir temporel et divin décroit progressivement sous l’effet de l’insubordination silencieuse et de la débandade des « brebis ».
La désobéissance au système monde-occidental- chrétien vient du Sud
Jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité, des régions soumises et croyantes comme l’Amérique latine, ne s’étaient opposées aux desseins des empires chrétiens. Non seulement du point de vue religieux mais surtout dans le domaine politique, économique et culturel.
L’empire yankee et la monarchie du Vatican sont inquiets des « mauvais exemples » que donnent le Venezuela, le Brésil, l’Équateur, l’Uruguay, l’Argentine, le Nicaragua, El Salvador et Cuba. Ils sont terriblement inquiets de la désoccidentalisation que promeuvent la Chine et les pays musulmans dans l’hémisphère occidental.
C’est la raison pour laquelle le « système-monde occidental chrétien » a joué cet atout stratégique, jamais vu dans son histoire. En lieu et place d’un pape allemand dogmatique, elle a élu un pape sud-américain pragmatique et sympathique. L’élection du Pape François I est pour le système du monde occidental ce que fut à l’époque le baptême de l’Empereur Constantin pour l’empire romain décadent.
Le système occidental et son empire états-unien, tous deux en crise et en perte de légitimité croissante, dans leur tentative de rénovation et de restauration de leur hégémonie, ont donc recours à une stratégie religieuse ancienne.
Au IVe siècle, l’Empereur Constantin, voyant décliner l’hégémonie de Rome, mise à mal par l’immoralité du système, se fait baptiser et fait de la secte mystique subversive des chrétiens persécutés la religion de l’empire. C’est ainsi qu’il réussit à unir ses sujets et restaurer l’hégémonie pour les quelques siècles à venir. Le jeu politico-religieux de l’Occident chrétien avec François I n’est destiné qu’à freiner l’éclatement et, en jouant sur les symboles émouvants, à ramener en douceur les « brebis » rebelles au système du monde occidental chrétien capitaliste.
Pourquoi canonise-t-on un pape ennemi des luttes sociales ?
Si vous doutez de ce coup de grand roque vital sur l’échiquier politico-religieux, il suffit de considérer avec d’autres yeux la canonisation précipitée du Pape Jean Paul II, l’anticommuniste, qui fit échec au système soviétique « sans tirer un seul projectile ».
Ce n’est pas pour rien que dans les années 80 du siècle dernier, le président des États-Unis de l’époque, Ronald Reagan, en guerre ouverte contre le communisme, fit référence au Pape Jean Paul II : « C’est mon meilleur ami. Vous savez que je suis protestant et que lui est catholique, mais c’est mon meilleur ami ».
Et ainsi fut fait. Le meilleur ami de l’empereur états-unien de l’époque non seulement appuya le dictateur assassin Augusto Pinochet et se fit photographier à ses côtés (en 1987), mais il fustigea durement les catholiques, hommes et femmes, engagées dans les luttes révolutionnaires d’Amérique centrale. Il humilia l’Archevêque du Salvador, Oscar Arnulfo Romero, activiste de la libération populaire et permit son assassinat. Il censura et fit taire une vingtaine de théologiens de la théologie de la libération. Non seulement il fut ouvertement homophobe mais il protégea ouvertement les prêtres et évêques pédophiles. Il récompensa les banquiers « criminels » en lien avec l’Opus Dei en leur octroyant une Prélature personnelle en échange d’injections de substantielles sommes d’argent dans l’obscur Institut pour les œuvres religieuses.
Pour séduire quelques croyants innocents, François I canonise un pape lié au système capitaliste, Jean-Paul II, au côté du « bon » Pape Jean XXIII. Ce dernier fut béatifié en 2000, au côté du pape Pie IX, le pape plus opposé à la modernité et aux droits humains, au XIXe siècle.
La finalité de cette canonisation est de conforter dans l’imaginaire catholique, chez les croyants, la figure et la pensée de Jean-Paul II, comme archétype et modèle de vie à imiter. La même chose se produisit avec Pie IX ; il s’agit d’inscrire une symbolique religieuse performante pro-capitaliste et opposée à la modernité dans les structures morales des croyantes et des croyants. Le système « monde occidental chrétien » et son empire ont besoin d’icônes consacrées — à la hauteur de leurs intérêts — pour démobiliser et castrer l’insubordination sociopolitique croissante, et prolonger ainsi un tant soit peu leur hégémonie.
Ollantay Itzamná est avocat et anthropologue quechua. Il accompagne les organisations autochtones et sociales en terres maya. Il écrit depuis dix ans, pour partager ses réflexions, reflet de ce que pensent beaucoup d’autres qui n’ont pas le droit à l’écriture. « Qu’on nous laisse seulement dire notre vérité. »
Traduction française de Françoise Couedel (fcouedel[AT]wanadoo.fr).
Messages
1. Pourquoi un Pape sud-américain canonise un Pape anticommuniste ?, 25 février 2015, 15:10, mis en ligne par Chaidron Monique
Merci pour cet article qui exprime si bien ce que je pense, mais le formule beaucoup mieux que je ne l’aurais fait.
Par ailleurs, je suis passionnée d’archéologie pré-colombienne et de découverte de la culture Quechua actuelle.
2. Pourquoi un Pape sud-américain canonise un Pape anticommuniste ?, 25 février 2015, 15:15, mis en ligne par Chaidron Monique
Merci pour cet article de Mr Ollantay Itzamná qui exprime très bien ce que je pense, mais le formule bien mieux que je ne l’aurais fait.
Par ailleurs, je suis passionnée d’archéologie pré-colombienne et de découverte de Culture Quechua actuelle.