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DIAL 3477

BOLIVIE - Processus accéléré d’« étrangérisation » des terres

Noticias Aliadas

vendredi 21 décembre 2018, mis en ligne par Dial

Les deux premiers articles du dernier numéro de 2018 documentent les effets ravageurs sur l’agriculture paysanne et l’environnement de la marchandisation des terres agricoles devenues un terrain de jeu pour les investissements du grand capital international. Textes publiés sur le site de Noticias Aliadas le 14 août 2018.


Les meilleures terres pour l’agriculture et l’élevage sont aux mains de propriétaires étrangers qui imposent un modèle agro-extractiviste qui n’est pas tenable dans le temps et affecte l’environnement.

En décembre dernier, le gouvernement du président Evo Morales a signé un accord avec des entrepreneurs agro-industriels du département oriental de Santa Cruz qui, au dire de la Fondation Tierra, dédiée à la promotion du développement rural, « a pris ses distances avec la Constitution et l’environnement ».

L’accord permet la nouvelle délimitation de la Réserve forestière de Guarayos, la régularisation des incendies illégaux de forêts depuis 2009, la libre exportation de soja, sorgo, viande de bétail, sucre et sous-produits, l’usage de semences transgéniques de maïs, coton et canne à sucre, ainsi que d’agrochimiques, la création d’associations public-privé pour le lancement de grands projets, comme Puerto Busch sur le Río Paraguay, et que les ports privés sur le canal Tamengo accèdent à la catégorie de ports nationaux.

Selon Gonzalo Colque, directeur de la Fondation Tierra, « la réserve Guarayos, de plus d’1 million d’ha, plus grande que le Territoire indien et Parc national Isidoro Sécure (TIPNIS), sera éliminée presque en totalité dans l’unique but de reconnaître « installations » et « investissements » illégaux.

« Les agro-entrepreneurs se désormais blindés pour que leurs titres de propriété agraire avec vices de nullité ne soient pas contestés et révisés juridiquement par le vice-ministre des terres et autres instances de contrôle, ce qui signifie que 126 domaines mesurés comportant plus de 5 000 ha chacun, limite maximale établie dans l’article 398 de la Constitution, sont régularisés », a indiqué Colque.

Miguel Urioste, chercheur de la Fondation Tierra, a précisé dans le rapport Un demi-siècle de l’agriculture bolivienne, publié le 30 juillet, que la ville de Santa Cruz est actuellement « le principal pôle de développement économique national, où l’agrobusiness joue un rôle central ».

« La réforme agraire radicale de 1953 a rendu les terres aux communautés de la région andine des vallées et de l’Altiplano, mis fin au régime de servitude, rendu leurs terres aux communautés quechuas et aymaras et en a terminé avec le modèle du propriétaire terrien semi-féodal qui avait caractérisé les relations sociales de l’agro andin-républicain jusqu’alors », a-t-il ajouté.

Cependant, la construction dans la décennie 1960 de la route Cochabamba – Santa Cruz a permis de relier l’occident avec l’orient bolivien, provoquant la migration vers cette région d’agriculteurs andins, à qui furent attribués 50 ha et une maigre assistance technique et financière.

Bien que la demande internationale de soja ait promu la culture et la production de cet oléagineux à Santa Cruz, si l’on en croit Urioste, les rendements du soja bolivien sont moindres que ceux des autres pays du Cône Sud, ce à quoi s’ajoute la distance jusqu’aux ports et le coût élevé des frets qui diminue sa compétitivité.

« Dans le futur et avec le changement climatique, on s’attend à des variations de température et de précipitations, ce qui réduira encore plus les rendements ; cela signifie que la demande d’expansion de la frontière agricole va encore augmenter. Tout cela nous permet de déduire que l’agrobusiness en Bolivie fonctionne sur le modèle “agroextractiviste” typique dont l’expansion se réalise exclusivement aux dépens de l’environnement. C’est un système insoutenable dans la durée », prévient Urioste.

Agriculture sous contrat

Depuis 2009 sont arrivées en Bolivie des transnationales comme Archer Daniels Midland (ADM), Bunger et Cargill qui contrôlent 60% des terres les plus productives de Santa Cruz, camouflées en petites et moyennes propriétés, associations de producteurs et entreprises agricoles et d’élevage.

Un des systèmes d’accumulation utilisés est « l’agriculture par contrat » par laquelle les investisseurs additionnent les parcelles de petits et moyens agriculteurs pour une culture déterminée, en leur imposant les conditions de production et de commercialisation.

Colque considère que non seulement il existe une sorte d’« étrangérisation » de la terre, mais aussi « la transnationalisation de l’agriculture commerciale à grande échelle » par des entrepreneurs étrangers qui « achètent des propriétés moyennes et grandes pour établir l’agriculture commerciale ».

Le rapport Entreprises transnationales dans l’agrobusiness du soja, publié en juin 2017 par la Fondation Tierra, note que l’agriculture par contrat « a reconfiguré la dynamique productive en externalisant les risques vers les producteurs, ainsi que les coûts d’adoption de standards exigés par les marchés internationaux, un processus qui frappe de manière inégale les petits producteurs paysans ».

« Selon l’Association de producteurs d’oléagineuses et de blé (ANAPO 2010), sur les 14 000 producteurs de soja enregistrés à Santa Cruz, les grands producteurs avec des propriétés de plus de 500 ha représentent à peine 2 % du total et pourtant ils contrôleraient près de 52 % de la superficie semée en soja, tandis que les petits producteurs – en majorité des familles paysannes – représentent 74 % du total mais contrôlent seulement 28 % environ de la superficie cultivée en soja », peut-on lire dans l’étude.

Ces données révèlent les inégalités dans la possession de la terre et les clauses commerciales défavorables que les entreprises imposent aux paysans qui acceptent l’agriculture sous contrat.

Pourtant, soutient la Fondation Tierra, « les organisations paysannes ont démontré jouer un rôle important dans l’amélioration des clauses d’échange entre paysans et entreprises ».

Depuis 2006 ont commencé à apparaitre en série des organisations productives locales pour négocier en groupe avec les entreprises. En 2009 ces organisations locales ont fusionné dans la Cámara Agropecuaria de Pequeños Productores del Oriente (CAPPO)[Chambre d’agriculture et d’élevage des petits producteurs de l’Orient] qui représente quelque 10 000 familles paysannes dans tout le département de Santa Cruz, principalement dans des zones de production de soja.

En 2015, la production des familles sociétaires de la CAPPO fut d’environ 730 000 tonnes de soja par campagne agricole, soit 34 % de la production totale à Santa Cruz.

Pourtant, comme l’indique Colque, le contrôle de l’agrobusiness de Santa Cruz de la part de transnationales a pour conséquence que la production alimentaire, l’activité agricole, la marchandisation de la terre et tous les processus agraires sont dirigés par ces capitaux dans un processus qui « dépaysannise » l’agriculture, car la production à grande échelle n’a pas besoin de travailleurs.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3477.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 14 août 2018.

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