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UE-MERCOSUR - Un traité de libre-échange fake qui pourrait bien être appliqué « provisoirement »
Claudio Della Croce
lundi 15 juillet 2019, mis en ligne par
Mardi 2 juillet 2019.
Le traité de libre-échange (TLE) entre l’Union européenne et le Mercosur n’a peut-être été qu’une annonce politique à un moment de changements, alors qu’une Commission européenne se retire, et que des présidents sud-américains sont désireux de remporter quelques victoires, mais le plus probable est que l’accord s’applique provisoirement avant que soit envisagée sa ratification par des instances législatives.
L’annonce de l’accord, dont le texte n’a pas été communiqué, a suscité une énorme confusion parmi les chefs d’entreprise, les travailleurs et les forces progressistes du Mercosur qui ont estimé que cette annonce n’a aucune importance car le traité est encore au niveau des intentions, que c’est du « vent ».
Sans fondement non plus, ils affirment, peut-être sous l’influence d’ONG européennes, qu’il n’y a pas de danger dans l’immédiat car l’accord n’entrerait pas en vigueur avant que tous les parlements du Mercosur et d’Europe l’approuvent, sans considérer la possibilité qu’il soit appliqué de façon provisoire avant de passer par les instances législatives, ni non plus qu’aucun TLE européen n’a été bloqué par des parlements.
Plus encore, quand surgissent des contestations / des hésitations dans le débat législatif européen, l’accord pourrait bien rester dans les tiroirs, vu qu’il n’y a pas urgence tant qu’il s’applique « provisoirement ». Par exemple le Parlement européen n’a toujours pas approuvé l’accord avec la Colombie qui a été signé en 2012.
Ces mêmes arguments fallacieux ont été avancés quand l’Équateur a signé l’accord avec l’UE, quand un fort lobbying européen et de droite s’y est opposé. Le président Rafael Correa a accepté son application provisoire à partir de janvier 2017, après qu’il ait été approuvé sans difficulté aucune à l’Assemblée nationale par une impressionnante majorité de partisans de Correa, avec l’excuse qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Il faut rappeler que les parlements ne peuvent qu’approuver ou rejeter mais pas modifier les accords.
L’ordre du processus d’approbation de l’accord date de 1999, avec le mandat de négociation, s’est prolongé par des négociations infructueuses durant 20 ans jusqu’à ce que, vendredi dernier, les négociations aient été mises à l’ordre du jour. Maintenant viendra la révision légale par les Européens, ce qui suppose des changements (dans l’accord avec le Canada, le CETA, 19% du contenu a été revu).
Les Européens espèrent qu’en 2020 soit signé l’accord de libre échange par les gouvernements sud-américains et le Conseil de l’UE et qu’à partir de cet acte soit autorisé immédiatement l’application provisoire du traité. Après quoi interviendra la ratification parlementaire : si un pays européen ne le ratifie pas le traité est abandonné (il n’y a pas d’antécédent que cela se soit produit). La conclusion formelle et l’entrée en vigueur définitive, selon les projets de l’UE seraient pour 2025.
L’interprétation des forces progressistes est qu’en réalité l’accord n’a pas été signé, mais que les lignes générales ont été définies qui bénéficient essentiellement aux européens, avec l’espoir illusoire des présidents du Mercosur de susciter l’intérêt des capitaux étrangers à investir dans leurs pays. L’important n’était pas l’accord mais de faire l’annonce d’un « succès historique » et de créer un imaginaire collectif sur ce sujet.
Il est vrai que nous sommes à l’époque de la vérité a posteriori et des fake news. Faisant preuve de peu de sérieux et de beaucoup d’opacité, l’Union européenne a fait l’annonce, alors que les progrès supposés, après 20 ans de négociations qui peuvent définir la matrice productive des pays, sont tenus secret et surtout ceux qui sont concernés (industriels, travailleurs, paysans) n’ont jamais été consultés. Personne ne sait de quoi il s’agit mais peu importe il y en a qui s’en réjouissent.
Après les contestations des travailleurs et des chefs d’entreprise d’Argentine, d’Uruguay, du Brésil et du Paraguay, c’est la porte-parole du gouvernement français, Sibeth Ndiaye, qui a annoncé que la France « n’est pas prête » pour ratifier l’accord commercial. Du côté sud-américain, un des motifs indiqués pour expliquer l’accord éventuel est que les gouvernements satisfont les intérêts des secteurs de l’agro-alimentaire transnational, qui semblent être certains d’être bénéficiaires de l’accord avec l’UE.
Le gouvernement argentin a frappé un grand coup de marketing politique dans le but d’avoir un argument, dans ces mois de campagne électorale, dans un contexte d’accumulation de fiascos retentissants, lors de ces trois dernières années et demie de l’économie selon la vision de Macri : la répétition des slogans, sur le caractère historique d’un accord qui n’a pas été signé, qui sont diffusés par le réseau de propagande publique et privée est grossière, souligne l’analyste Alfredo Zaiat dans Página 12.
L’ancien ministre des affaires étrangères argentin, Jorge Taiana a déclaré : « l’opacité est grande pour ce qui est de la manière dont le gouvernement argentin a négocié cet accord. Ce que nous savons c’est que, eux ont beaucoup à y gagner et nous, nous avons peu à y gagner : le bénéfice de l’Union européenne est dix fois plus important que celui du Mercosur ; elle ne baisse pas les droits de douane mais modifie les quotas. » « Un bon accord avec l’UE serait positif mais celui-ci est un mauvais accord. Le gouvernement a annoncé cet accord, alors que ce n’est pas encore un accord et qu’il est mauvais, uniquement pour des raisons électoralistes. » « S’il s’applique, il finira par détruire l’industrie nationale » a ajouté Taiana.
Les forces progressistes doivent utiliser aussi l’accord à des fins électoralistes, mais pour exiger des gouvernements qu’ils fassent connaître publiquement tout ce qui est négocié. Les révélations sont partielles, au compte-goutte, et dues essentiellement aux communiqués des Européens.
Il faut que nous sachions concrètement et non par une information biaisée ou des rumeurs ce qui a été négocié car « le diable se toujours cache dans les détails » ; le manque de transparence est évident de la part des gouvernements qui gardent secret les documents concernant les dispositions qui ont une énorme importance stratégique pour leurs pays.
Les demies teintes n’ont pas leur place : l’intention des fake news (chose fausse contrairement aux apparences), les mensonges, sont l’art de manipuler de tromper, d’induire en erreur, pour obtenir un bénéfice économique ou politique. Il y a certes une avancée, mais elle est maintenue secrète, certainement parce qu’il s’agit d’une capitulation des Sud-Américains, que les gouvernements du Mercosur sont capables de célébrer.
La France n’est pas d’accord non plus, pour les mêmes raisons
« Nous allons regarder les détails et en fonction de ces détails, nous déciderons. Pour le moment, la France n’est pas prête à ratifier le traité », a déclaré Ndiaye la porte-parole du gouvernement français, qui a indiqué que les pays du Mercosur devront donner des garanties à la France pour qu’elle ratifie cet accord, comme cela a été le cas avec le Canada avant que soit ratifié son accord commercial avec l’UE, le CETA. « Aujourd’hui je ne peux pas affirmer que nous allons le ratifier ».
L’annonce du TLE a déclenché une vague de critiques en France. Mais pas par solidarité avec le Sud ou la défense des sociétés des pays du Mercosur. Des agriculteurs très bien subventionnés et des écologistes ont été les premiers à réagir : ils ne critiquent pas l’accord pour les dommages créés à l’économie des pays du Mercosur ou la liquidation de leur souveraineté, mais pour les conséquences négatives qu’ils vont subir.
Les agriculteurs redoutent les conséquences économiques qu’un tel accord peut occasionner pour leurs productions agricoles, liées aux importations de viande et de sucre ; les écologistes parce qu’ils dénoncent la déforestation de l’Amazonie en marche depuis des décennies avec la complicité occidentale et qui s’est accrue depuis que Jair Bolsonaro est arrivé au pouvoir.
De toute évidence, les écologistes français oublient de mentionner la complicité des entreprises européennes et états-uniennes dans la déforestation, l’usage intensif des pesticides et des fertilisants dans la production européenne et les énormes subventions agricoles de l’Union européenne qui ont toujours été les instruments des déséquilibres des marchés au détriment des pays producteurs du Sud.
Un rapport du mois d’avril de cette année, élaboré par l’organisation Amazon Watch, a accusé les entreprises européennes et états-uniennes de participer à la destruction de l’Amazonie et de contribuer, par conséquent, à la perturbation de l’équilibre climatique de la planète. Personne ne mentionne la destruction des forêts européennes.
Le ministre français de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a souligné qu’une des « conséquences indirectes » du pacte est que le Brésil s’est engagé à ne pas se retirer de l’Accord de Paris sur le climat. Il a rappelé que l’accord commercial « n’a pas encore été ratifié » et il a ajouté qu’il est conditionné à ce que le Brésil respecte ses engagements en matière d’écologie. « Il n’y aura pas de ratification si le Brésil poursuit la déforestation », a assuré Rugy.
Claudio della Croce est un économiste et enseignant argentin, chercheur associé au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE, www.estrategia.la)
Traduction française : Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : http://estrategia.la/2019/07/02/ue-mercosur-un-fake-tlc-que-bien-puede-ser-aplicado-provisionalmente/.