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DIAL 2839

AMÉRIQUE LATINE - Déclaration finale du IIIe Sommet des peuples d’Amérique

mercredi 16 novembre 2005, par Dial

Alors que se tenait à Mar del Plata en Argentine le IVe Sommet des Amériques (4 et 5 novembre) regroupant l’ensemble des chefs d’Etat latino-américains et caraïbéens à l’exception de Cuba, se déroulait également le IIIè Sommet des peuples d’Amérique (2-5 novembre). On lira ci-dessous la déclaration finale de ce dernier, datée du samedi 5 novembre 2005, franchement opposée au premier, révélatrice du fort courant d’opposition aux Etats-Unis qui existe en Amérique latine.

Nous avions l’intention de publier simultanément des extraits de la déclaration finale officielle du Sommet des Amériques, mais l’ensemble du texte est fait de propos si généraux de la part des chefs d’Etat qu’il ne constitue pas un apport digne d’intérêt car dépourvu de tout engagement concret. Etant général à souhait, il peut aussi être généreux sans conséquences lorsqu’il évoque la pauvreté qui pèse sur le continent. Mais nous savons qu’aucune déclaration générale de bonnes intentions ne signifie un changement de direction politique.
Le sommet des chefs d’Etat s’est également terminé sur un échec pour le président Bush et les nombreux chefs d’Etat latino-américains qui, comme lui, souhaitaient que se poursuivent les travaux en faveur de l’ALCA (Aire de libre-échange des Amériques). Les cinq Etats latino-américains qui résistèrent jusqu’au bout sont les quatre membres du Mercosur (Marché commun du Sud, composé de l’Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) et le Venezuela.

Ces derniers pays exigent d’abord une avancée sur la question des subventions agricoles - aussi bien de la part des Etats-Unis que de l’Europe - avant de reprendre des négociations. Les subventions états-uniennes et européennes empêchent en effet les produits agricoles latino-américains d’avoir des prix compétitifs sur le marché par rapport aux produits en provenance des Etats-Unis et de l’Europe. Pour le président Chávez, du Venezuela, qui tente de promouvoir un projet alternatif, l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques), l’ALCA est mort. La position des quatre membres du Mercosur paraît plus nuancée puisqu’elle n’exclut pas toute reprise ultérieure de négociations si les Etats-Unis et l’Europe remettaient concrètement en cause leurs politiques des subventions agricoles.


Nous, déléguées et délégués d’organisations sociales de toutes les régions du continent, du Canada à la Patagonie, travailleurs et travailleuses, paysans, autochtones, jeunes et vieux, de toutes les races, femmes et hommes de dignité, nous sommes donné rendez-vous ici, à Mar del Plata, Argentine, pour faire entendre la voix de tous les peuples de notre Amérique, exclue par les puissants. Comme ce fut le cas précédemment au Chili et au Québec, nous nous trouvons à nouveau face au Sommet des Amériques qui réunit les chefs d’Etat du continent, à l’exclusion de Cuba, parce que même si les discours officiels continuent de lancer de beaux mots sur la démocratie et la lutte contre la pauvreté, les peuples continuent d’être exclus de la prise de décisions sur nos destinées. De plus, nous nous rencontrons ici, au sein du IIIe Sommet des peuples, pour consolider notre résistance face aux calamités orchestrées par l’empire du Nord et poursuivre la construction d’alternatives. Jour après jour nous démontrons qu’il est possible de changer le cours de l’histoire et nous nous engageons à avancer plus loin dans cette direction.

En 2001, lors du sommet officiel de Québec, alors que l’absolue majorité des gouvernements s’inclinaient encore aveuglément devant l’orthodoxie néolibérale et les diktats de Washington, avec l’honorable exception du Venezuela, les Etats-Unis ont réussi à ce que soit fixée au 1er janvier 2005 l’échéance ultime d’entrée en vigueur de son nouveau projet de domination intitulé Zone de libre-échange des Amériques (ALCA) et que le Quatrième Sommet des Amériques viendrait sceller en Argentine les négociations de ce projet pervers. Mais c’est sans l’ALCA que nous avons franchi l’année 2005 et le sommet officiel d’Argentine se réalise finalement avec la paralysie des négociations sur l’ALCA. Aujourd’hui nous sommes aussi ici pour célébrer cette impasse !

Cependant, force est de constater que les Etats-Unis poursuivent sans relâche leur stratégie d’imposer leur hégémonie sur le continent par l’entremise de traités de libre-échange bilatéraux ou régionaux, comme le démontrent l’approbation par quelques voix de l’accord avec l’Amérique centrale, ou encore le traité qu’ils tentent actuellement d’imposer aux pays andins. De plus, Washington a entrepris récemment de développer le Partenariat pour la sécurité et la prospérité de l’Amérique du Nord (PSP). Malgré l’évidence incontestable des conséquences désastreuses de l’application durant plus de dix ans de l’ALENA, ce projet d’intégration en profondeur (ALENA plus) prétend imposer la politique de « sécurité » des Etats-Unis à toute la région.

Le gouvernement des Etats-Unis ne se contente toutefois pas d’avancer ses pièces sur l’échiquier de son projet de domination du continent. Il persiste à les insérer dans un cadre hégémonique unique et n’a pas renoncé au projet de l’ALCA. Aussi, aux côtés de gouvernements qui lui sont inconditionnels, il vient à Mar del Plata avec la prétention de ressusciter le cadavre de l’ALCA, alors que nos populations ont clairement exprimé le rejet d’une telle intégration subordonnée aux Etats-Unis.

Si sa stratégie en faveur des grandes firmes nord-américaines s’est accompagnée d’une militarisation exponentielle du continent et de l’implantation de bases militaires états-uniennes, le génocide George W. Bush maintenant arrive au sommet de Mar del Plata avec la prétention d’élever à un niveau d’engagement continental sa politique de sécurité au nom de la lutte contre le terrorisme, alors que la meilleure façon de l’éliminer serait de renverser sa politique interventionniste et colonialiste.

La déclaration officielle qui a été soumise aux discussions des gouvernements révèle la menace réelle d’une possible adoption des pires intentions des Etats-Unis, même si elles arrivaient à être nuancées. Cette déclaration regorge de mots vides et de propositions démagogiques pour combattre la pauvreté et générer du travail décent. Les offres qui sont lancées perpétuent un modèle qui a fait de notre continent l’un des plus misérables et injustes, avec une distribution de la richesse la pire au monde.

Il s’agit d’un modèle qui bénéficie à une minorité, qui dégrade les conditions de travail, qui aggrave le mouvement migratoire, la destruction des communautés autochtones, la détérioration de l’environnement, la privatisation de la sécurité sociale et de l’éducation, l’application de normes qui protègent les intérêts des grandes entreprises au dépens des droits des citoyens, comme c’est le cas dans le domaine de la propriété intellectuelle.

Au-delà de l’ALCA, on persiste à aller de l’avant avec la Ronde de Doha afin d’attribuer plus de pouvoirs à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et imposer aux pays les moins développés des règles économiques inéquitables qui donnent préséance à l’agenda des grandes entreprises. On continue de favoriser le saccage de nos biens naturels, de nos ressources énergétiques ; on privatise la distribution et commercialisation de l’eau potable ; on stimule l’appropriation et la privatisation de nos réserves aquifères et hydrographiques, en convertissant le droit humain d’un accès à l’eau en une marchandise d’intérêt pour les transnationales.

Pour imposer ces politiques, l’empire et ses complices comptent sur le chantage que permet la dette extérieure, laquelle empêche le développement de nos peuples, violant tous nos droits humains. La déclaration des présidents n’offre aucune avenue alternative concrète, comme le seraient l’annulation et le non-paiement de la dette illégitime, la restitution de ce qui a été encaissé en trop, et la réparation des dettes historiques, sociales et écologiques à l’endroit des peuples de notre Amérique.

Nous, les délégué-e-s des divers peuples de l’Amérique, sommes venus ici non seulement pour dénoncer mais aussi pour démontrer que nous résistons aux politiques de l’empire et ses alliés. Nous construisons des alternatives populaires, fort de la solidarité et l’unité de nos peuples ; nous construisons un tissu social de bas en haut, à partir de l’autonomie et la diversité de nos mouvements, afin d’atteindre une société d’inclusion, juste et digne.

D’une seule voix, réunis au sein du IIIe Sommet des peuples de l’Amérique, nous déclarons :

1) Les négociations visant la création d’une Zone de libre-échange des Amériques (ALCA) doivent être SUSPENDUES IMMEDIATEMENT ET DEFINITIVEMENT, ainsi que tout traité de libre-échange bilatéral ou régional. Nous endossons la résistance des peuples andins et du Costa Rica contre le Traité de libre-échange, celle des peuples des Caraïbes pour que les EPA (Economic Partnership Agreement) ne signifient pas une nouvelle ère de colonialisme déguisé, ainsi que la lutte des peuples d’Amérique du Nord, du Chili et d’Amérique centrale pour renverser les accords de cette nature qui les oppriment.

2) Tout accord entre les nations doit être fondé sur les principes du respect des droits humains, la dimension sociale, le respect de la souveraineté, la complémentarité, la coopération, la solidarité, la prise en compte des asymétries économiques afin de favoriser les pays moins développés.

3) Nous nous engageons à favoriser et promouvoir des processus alternatifs d’intégration régionale, comme peut l’être l’Alternative bolivarienne des Amériques (ALBA).

4) Nous assumons les conclusions et actions issues des forums, ateliers et rencontres qui se sont tenues pendant le Sommet et nous nous engageons à continuer de consolider notre processus de construction d’alternatives.

5) Il est incontournable d’annuler la dette extérieure illégitime, injuste et impayable du Sud, de façon immédiate et sans condition. Nous nous assumons comme créditeurs et exigeons le paiement de la dette sociale, écologique et historique envers nos peuples.

6) Nous assumons la lutte de nos peuples pour la répartition équitable de la richesse, avec un travail digne et la justice sociale, en vue de l’élimination de la pauvreté, du chômage et de l’exclusion sociale.

7) Nous endossons la promotion d’une diversification de la production, la protection des semences originaires que nous considérons comme patrimoine des peuples au service de l’humanité, la souveraineté alimentaire des peuples, l’agriculture durable et une réforme agraire intégrale.

8) Nous rejetons de façon énergique la militarisation du continent dont l’empire du Nord fait la promotion. Nous dénonçons la doctrine de la supposée coopération pour la sécurité hémisphérique que nous considérons comme un mécanisme de répression des luttes populaires. Nous rejetons la présence de troupes des Etats-Unis sur notre continent, nous ne voulons ni bases ni enclaves militaires. Nous condamnons le terrorisme mondial d’Etat de l’Administration Bush, qui prétend mettre à sang la rébellion légitime de nos peuples. Nous nous engageons à défendre notre souveraineté dans la région de la Triple Frontière, cœur des ressources aquifères guaranis. En ce sens, nous exigeons le retrait des troupes états-uniennes de la République du Paraguay.

9) Nous condamnons l’immoralité du gouvernement des Etats-Unis qui, pendant qu’il parle de combattre le terrorisme, protège le terroriste Posada Carriles [1] et détient en prison cinq militants patriotes cubains. Nous exigeons leur libération immédiate !

10) Nous répudions la présence de George W. Bush en ces dignes terres latino-américaines, principal promoteur de la guerre dans le monde et de la doctrine néolibérale qui affecte même les intérêts de son propre peuple. D’ici nous transmettons un message de solidarité aux femmes et aux hommes états-uniens qui, dans leur dignité, sentent de la honte à l’égard de leur gouvernement que condamne l’humanité, et qui lui résistent contre vents et marées.

Après Québec, nous avons construit une grande campagne et consultation populaire continentales contre l’ALCA, et nous avons réussi à l’arrêter. Aujourd’hui, face aux prétentions de ressusciter les négociations de l’ALCA et d’y ajouter les objectifs militaristes des Etats-Unis, au sein de ce IIIe Sommet des peuples des Amériques nous assumons l’engagement de redoubler notre résistance, de consolider notre unité dans la diversité, et de convoquer à une nouvelle mobilisation continentale, plus importante encore, pour enterrer l’ALCA à jamais. Fort de cet effort, nous nous engageons à construire simultanément notre alternative d’une Amérique juste, libre et solidaire.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2839.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol).

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Militant cubain anticastriste mis en cause dans l’attentat contre un avion reliant Caracas à La Havane ayant fait 73 morts. Arrêté à Miami, le 17 mai 2005, le Venezuela demande en vain son extradition.

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