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DIAL 3524

BRÉSIL - La mort invisible des travailleurs de l’agroindustrie

Antônio Canuto

mardi 31 mars 2020, mis en ligne par Dial

L’agroindustrie laisse sur son passage une série de morts et de destructions, souvent passées sous silence. Cet article d’Antônio Canuto, journaliste et collaborateur de la Commission pastorale de la terre (CPT) a paru dans le rapport annuel 2018 publié par la CPT sur les conflits agraires au Brésil [1].


Tous les jours nous sommes bombardés par une campagne qui nous donne à croire que l’agroindustrie est le grand moteur du développement et du progrès du Brésil.

Mais le secrétaire exécutif du Conseil indianiste missionnaire (CIMI), Cleber Buzzatto, avait montré dès 2016 qu’en vérité l’agroindustrie devrait se voir adjoindre le suffixe « cide », pour « homicide », compte tenu du grand nombre « d’assassinats d’Indiens et de paysans » qui se produisent chaque année.

Or, au-delà des morts violentes dans les conflits de la terre, que la CPT enregistre chaque année, dans la chaîne de l’agroindustrie, il y a aussi un grand nombre de morts dans des accidents du travail qui demeurent invisibles aux yeux de la société.

Morts dans les entrepôts de céréales

Le 28 août 2018, la chaîne BBC News Brasil a levé le voile sur l’une des causes de ces morts invisibles en publiant une liste, établie par elle, du nombre d’accidents mortels survenus dans les silos de stockage de céréales. Ce long reportage avait comme titre : « Les morts silencieuses de Brésiliens ensevelis dans les silos de céréales ».

Les silos sont de grandes structures métalliques utilisées pour stocker les céréales de toutes sortes, afin d’éviter qu’elles se dégradent et, en même temps, d’attendre le meilleur moment pour les mettre sur le marché et obtenir ainsi un meilleur profit.

Les accidents dans ces silos provoquent des morts par asphyxie, lorsque les travailleurs sont recouverts par des tonnes de céréales – soja, maïs, riz… Le reportage dit que ces morts « sont un effet collatéral peu connu de la modernisation de l’agriculture ».

Le recensement fait état d’au moins 106 morts dans des silos, de 2009 à juillet 2018. Ces 106 morts sont celles qui, d’une façon ou de l’autre, sont parvenues à la connaissance de la presse. Bien d’autres morts peuvent avoir eu lieu sans qu’on le sache.

L’année 2017 est celle qui a enregistré le plus grand nombre d’accidents, avec 24 morts. De janvier à juillet 2018 ont été recensés 13 morts.

Les États où se sont produits le plus de morts dans de tels accidents sont : le Mato Grosso (28), le Paraná (20), le Rio Grande do Sul (16) et le Goiás (9). Il y a eu aussi des morts dans 13 autres États dans toutes les régions du pays.

Le reportage désigne les communes de Sorriso et Canarana, dans le Mato Grosso, comme celles où se sont produits le plus d’accidents mortels : 7 dans chacune d’elles.

Le 9 août 2018, Geraldo José da Silva, 46 ans, ouvrier de l’usine Vitamilho à Campina Grande (Paraiba) est décédé après avoir été enseveli sous des grains de maïs.

Le 28 août, Clodomiro Silva Corrêa, 53 ans, et Wilson do Nascimento Aires, 54 ans, sont décédés en travaillant dans un silo de riz, près de Candelária, dans le Vale do Rio Pardo (Rio grande do Sul).

Le 12 octobre, deux travailleurs sont morts ensevelis dans une fazenda au bord de la route MG-427, à Planura (Minas Gerais). Ils travaillaient à l’excavation d’une fosse destinée à créer un stockage de céréales.

Le 29 octobre, Luiz Vieira da Silva, 53 ans, est mort après l’écroulement d’un silo de 17 tonnes de maïs dans la commune de Vicentina (Mato grosso do Sul).

Le 6 novembre, Francisco Vivaldino Lopes, 60 ans, est mort enseveli dans un silo de soja, sur la commune de Barracão (Rio grande do Sul).

Ces sept accidents mortels viennent s’ajouter aux treize de la liste de BBC News, sans compter d’autres accidents nombreux mais non mortels.

Carbonisés dans les plantations de canne

D’autres décès se produisent pendant la cueillette de la canne. Depuis quelques années ont été rendues publiques les décès de travailleurs pendant la coupe de la canne, morts d’épuisement par excès de travail.

Presque chaque année d’autres morts sont causées par l’action du feu pendant la cueillette de la canne. En 2018 on a dénombré trois morts dans ces circonstances, toutes trois dans l’État du Goiás.

Deux employés de l’usine Anicuns, dans la commune d’Itaberaí, Fernando José Gonçalves, 42 ans, et Divino Valdeci Soares, 55 ans, après avoir mis le feu à la canne, se sont retrouvés entourés par les flammes et sont morts carbonisés. C’était le 6 septembre 2018.

Quatre jours auparavant, le 2 septembre, Sebastião Gomes Pereira, 39 ans, est mort brûlé également en tentant d’éteindre un incendie dans la plantation de l’usine Vale do Verdão, sur la commune de Santa Helena de Goiás. Il faisait partie de la brigade des pompiers de l’usine.

En vérité, la chaîne de l’agroindustrie est, comme le dit Buzatto, une chaîne de mort, mais qui est présentée à la société comme le summum du développement. Au-delà des homicides, explique Buzatto, l’agroindustrie est responsable d’autres « cides » : avec le nombre élevé de suicides, provoqués, surtout, par l’usage de produits agrotoxiques qui engendrent la dépression et conduisent à se donner la mort ; avec l’écocide, car l’agroindustrie est la grande responsable de la déforestation et de la destruction de l’environnement ; avec l’« hydrocide », parce que chaque année des sources sont détruites, des cours d’eau sont taris, des puits artésiens prélèvent les eaux souterraines pour l’irrigation, provoquant l’assèchement de centaines de cours d’eau et de zones humides alors qu’en même temps les eaux sont contaminées par toutes sortes de produits chimiques utilisés dans les cultures.

Il est nécessaire que la société brésilienne prenne connaissance de cette chaîne de morts dont l’agroindustrie est responsable. Il faut que soit mis en lumière le grand nombre de personnes qui meurent dans les zones rurales chaque année, alors qu’elles luttent pour un emploi qui leur permette de survivre.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3524.
 Traduction de Lucile et Martial Lesay pour Dial.
 Source (portugais) : CPT, Conflitos no campo Brasil 2018, 2019, p. 184-185.

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