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BOLIVIE-CHILI - Deux votes qui sont des signaux importants pour la région

Jaime Osorio

lundi 2 novembre 2020, par Françoise Couëdel

29 octobre 2020.

La proximité temporelle entre le triomphe du MAS aux élections présidentielles en Bolivie et l’approbation du plébiscite sur la nouvelle constitution au Chili ont une similitude d’une importance politique significative.

Cette simultanéité entre les processus de l’un et l’autre pays s’est manifestée à partir de 2019, bien que sous des formes différentes. C’est en octobre de cette année-là que débutèrent les mobilisations semi-insurrectionnelles au Chili, qui ont entraîné postérieurement les accords pour organiser le récent plébiscite. Et c’est un peu moins d’un mois plus tard de cette même année que le coup de force a mis fin au gouvernement d’Evo Morales et du MAS en Bolivie.

La période sur laquelle s’étendent les deux processus en marche en 2020 est très brève. Avec raison on pourrait soutenir que les jugements précipités présentent d’énormes dangers. Mais certains éléments permettent de penser que nous sommes au seuil d’une nouvelle ère et de possibles évolutions qui marquent une rupture par rapport aux tergiversations précédentes.

Que peuvent indiquer les évènements survenus en Bolivie et au Chili en octobre 2020 ? Est-ce la contingence pure qui prévaut ou y a-t-il des signes de situations qui vont perdurer ?

Je soutiendrai ici que ce qui s’est passé récemment dans ces deux pays est le signe que la force sociale des dominés a augmenté, grâce à leur capacité d’organiser des mobilisations massives, leur persistance, leur prise d’initiative, leur réorganisation rapide en dépit des coups infligés, tandis que la pression des secteurs dominants s’est affaiblie car leurs bases d’appui social se trouvent fragilisées par l’imbrication de la crise économique, de la pandémie, de l’absence de projets et de la perte de perspectives.

Ce qui s’est produit en Bolivie en 2019 et en 2020 nous met face à une situation paradoxale qui oblige à formuler la question : quel a été le sens du coup de force de 2019 à la lumière de ce qui vient de se produire en 2020 ?

Vu en perspective, ce coup de force n’avait pas de sens. Le moins qu’on aurait pu attendre était que l’oligarchie bolivienne et les corps armés opèrent sur un temps suffisamment long pour démanteler et désarticuler les forces populaires et, cet objectif une fois atteint, qu’elles envisagent la convocation d’élection.

Comment expliquer cette précipitation ? Une hypothèse possible est que n’ayant pas de projet, pas même à moyen terme, l’organisation sociale et politique insurrectionnelle dans laquelle il faut inclure la OEA et la droite internationale, a profité d’un moment d’hésitation et/ ou d’affaiblissement du camp populaire, pour lequel le thème de la réélection de Evo Morales et les soupçons de fraude, entre autres, ont joué un rôle. Tout cela a permis aux réactionnaires d’agir avec succès.

Mais la politique de cette conjonction de forces en faveur du coup d’État n’a pas connu le succès escompté, non seulement par manque de projets clairs, mais aussi en raison de l’opposition locale du mouvement populaire qu’elle a dû affronter, des tergiversations des réactions régionales et internationales, de ses échecs dans les attaques contre le Venezuela, et de l’attention croissante qu’ont exigé les problèmes dus à la pandémie et à la crise économique de l’Union européenne et des États-Unis.

Le large triomphe électoral de Luis Arce et du MAS a mis en évidence que les forces sociales et politiques frappées en octobre 2019 s’étaient réorganisées et, en dépit de l’opinion d’intellectuels et de dirigeants féministes, que le soutien au MAS et au gouvernement d’Evo Morales ne s’était pas affaibli, au contraire, qu’il jouissait d’une excellente santé.

Parmi les nombreux problèmes que devra affronter le nouveau gouvernement et le mouvement populaire dans les domaines politiques et économiques, s’ajoute aujourd’hui celui de la relation avec les forces armées, à court et moyen terme, tant que les hauts commandements militaires qui ont agi en 2019 sont toujours en place, mais aussi sur le long terme, celui d’un projet qui prétende transformer la société bolivienne, appuyé sur le respect de la loi, et pour lequel la bonne relation du président avec le haut commandement a déjà prouvé son insuffisance.

Au Chili, avec près de 80 pour cent de votes en faveur de la rédaction d’une nouvelle constitution, et avec le plus grand écart avec la proposition contraire que dans tout référendum antérieur, le peuple chilien a confirmé sa volonté de mettre fin à un système économique et politique qui fonctionne en leur tournant le dos. Cela n’a pas été le résultat d’un malaise conjoncturel, mais, au contraire le réveil de forces exprimées de longue date. Cela annonce des expectatives justifiées de ce qui va en découler.

La proposition que ce soit une convention constitutionnelle, c’est-à-dire des citoyens élus spécifiquement qui élaborent et rédigent la nouvelle constitution a été accueillie par un pourcentage également élevé et a été écartée l’option que ce soit des membres du parlement qui se chargent de cette tâche.

Reste un problème à résoudre qui n’est pas des moindres : comment des candidatures indépendantes des partis peuvent-elles recueillir de nombreuses signatures, comme le spécifient les accords. Les partis politiques marginaux qui ont voulu ce plébiscite peuvent dans cette configuration recouvrer une représentativité.

La force sociale qui s’est manifestée dans ce processus a obligé le président Sebastián Piñera et d’autres membres du parti de la droite chilienne à donner leur accord au plébiscite en vue de la rédaction d’une nouvelle Constitution, dans un effort désespéré pour empêcher que la consultation ne se transforme en un referendum sur son mandat, une condamnation des gouvernements post dictatoriaux antérieurs, et qui auraient révélé le rejet populaire.

Au de là du résultat, il faut souligner l’augmentation de la participation de la population de Santiago, celle des communes les plus populaires et d’autres du centre de la ville, là où se concentrent les ouvriers et les salariés pauvres. La forte participation des jeunes, qui ont maintenu la mobilisation dans la période préalable à la consultation, suscite aussi l’espoir. Bien que la consultation ait eu lieu en pleine pandémie non contrôlée et que son triomphe ait été prévisible, la participation de plus de 50 pour cent des inscrits sur le registre électoral révèle une volonté affirmée de se faire entendre.

Dans trois communes de Santiago seulement, Vitacura, La Barnechea et Las Condes, où se concentrent les demeures des chefs d’entreprise et des hommes politiques les plus riches, le rejet d’une nouvelle constitution l’a emporté avec, en revanche, une baisse de la participation de ces segments de la population.

En diverses autres zones du pays et dans les communes agricoles, beaucoup d’entre elles anciennes bases électorales des forces de droite, les résultats ont penché en faveur de Apruebo.

Les secteurs dominants chiliens n’ont pas pu empêcher que se révèle leur incapacité à changer le cours des événements politiques, ce qui représente un énorme capital symbolique. Cela alimentera la force des secteurs populaires qui feront en sorte que la nouvelle Carta Magna reflète leurs aspirations, en évitant les méandres et pièges légaux destinés à limiter les exigences majoritaires les plus fortes.

En Bolivie et au Chili est apparu clairement que la conjonction des forces s’est déplacée favorablement vers le secteur populaire et que l’initiative politique est entre ses mains. Les secteurs dominants ont perdu le pouvoir de décision et la force pour empêcher que les processus en marche contrecarrent leurs intérêts et leurs positions.

Les conditions dans lesquelles se produit ce changement d’orientation dans ces deux situations : la victoire sur l’inertie conservatrice qui a perduré au Chili – paralysant les forces politiques de l’ancienne gauche – grâce à des mobilisations massives durables, et la réorganisation politique rapide en Bolivie menant au renversement très rapide d’un coup de forces conservateur et oligarchique, les différencient d’autres retournements au niveau de la politique régionale. Ces changements s’apparentent à l’accession au pouvoir d’Hugo Chávez et d’Evo Morales, au Venezuela et en Bolivie, portée par le déploiement de mobilisations massives et persistantes.

Au Mexique, la une situation échappe à la simple lecture : la gestion de López Obrador ouvre un scenario nouveau et non moins significatif dans ce mouvement de corrélation de forces dans la région. Sans gesticulation et avec un discours qui insiste sur « les pauvres d’abord », une politique d’austérité républicaine et de lutte contre la corruption, López Obrador avance en démantelant de nombreux réseaux de pillage des ressources publiques, où coexistent des cartels du crime organisé, des politiciens hauts placés et des chefs d’entreprises. Il établit une nouvelle étique dans la gestion politique qui – dans un pays rongé par la corruption et les inégalités sociales – n’est pas une notion négligeable.

La pandémie aussi a contribué à l’affaiblissement du discours et des pratiques néolibérales dans la région et dans le monde. Les bouleversements dus au confinement et à la baisse substantielle des activités économiques ont imposé des changements de cap significatifs, soit dans la dépense publique en plus des réductions du déficit fiscal, soit à des retraits de fonds de pension pour pallier le manque ou la baisse des salaires.

La crise économique a été accentuée par la pandémie, a plongé les détenteurs de capitaux dans un dilemme difficile à résoudre et qui leur échappe. Tant que la pandémie ne sera pas contrôlée les conditions ne seront pas réunies pour lancer des projets économiques qui aient pour finalité de vaincre la crise actuelle.

Au milieu de cette situation qui entraine une absence de projets de la part du capital et des fragilités chez les décideurs, ce sont les forces populaires, bien qu’ayant été affectées par la crise économique et la pandémie, qui démontrent la plus grande capacité d’action et de réorganisation. Cela laisse présager que le discours répété de retour à la nouvelle normalité, exalté par des gouvernements et des associations patronales, sera source de graves conflits sociaux.


Jaime Osorio est enseignant à l’Université autonome métropolitaine, siège Xochimilco
Traduction française de Françoise Couëdel .
Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/209544.

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