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DIAL 3648 - Salaire ? Six dollars par mois

VENEZUELA - Manifestations de travailleurs

Humberto Márquez

mercredi 15 février 2023, mis en ligne par Dial

Le mois de janvier a été marqué au Venezuela par différentes mobilisations et grèves, des enseignants notamment, pour demander une augmentation des salaires ou leur indexation sur le coût de la vie dans un contexte de forte inflation. Article d’Humberto Márquez publié dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha le 27 janvier 2023 (numéro 1940).


« Nous sommes dans les rues pour un salaire digne », « Je ne peux même pas m’acheter de médicaments », « Le dollar monte, le salaire baisse, la faim progresse », « Nous sommes des enseignants, pas des délinquants », « Et toi, combien gagnes-tu, Maduro, président ouvrier ? », « Salaires de faim et retraites de mort »… Slogans criés, pancartes écrites à la main, appels sur les réseaux sociaux à des manifestations improvisées et peu coordonnées. La mobilisation a surpris le gouvernement, alors que les fêtes de fin d’année venaient de se terminer, comme aussi l’opposition atomisée, qui commence l’année 2023 avec son plus gros manque d’unité et de stratégie depuis 15 ans.

Les autorités ont appelé à la reprise des cours dans tous les établissements scolaires le 9 janvier, mais les réseaux et les syndicats d’enseignants ont annoncé qu’au lieu de se rendre dans les salles de classe, ils se rendraient aux sièges du ministère de l’éducation à Caracas et dans d’autres villes pour protester contre la dégradation de leurs salaires. « Le succès de la mobilisation nous a surpris nous-mêmes », a déclaré à Brecha Luisa González, membre du syndicat des enseignants du secondaire. « Lors de précédentes mobilisations, nous rassemblions au plus 50 ou 60 personnes, tandis que, cette fois, quelque 800 personnes se sont présentées pour commencer la manifestation, suivies ensuite par beaucoup d’autres », durant la première manifestation de rue à Caracas.

Six-cents kilomètres au sud-est, à Cuidad Guayana, située sur le bord de l’Orénoque et principal siège de l’industrie lourde – qui fonctionne bien en deçà de ses niveaux de la fin du XXe siècle – les ouvriers de la compagnie publique de sidérurgie Sidor, soutenus par des ouvriers des secteurs voisins du fer, de l’aluminium et de l’hydroélectricité, ont réalisé pendant plusieurs jours manifestations et occupations, réclamant de meilleurs salaires et le respect de leurs anciens acquis syndicaux. Neuf militants ont été arrêtés et des procès militaires ont été ordonnés à leur encontre (théoriquement tout le sud-est vénézuélien constitue une zone de sécurité), mais ils ont été libérés par la suite, avec l’ouverture de négociations.

Des groupes et des syndicats du secteur de la santé, des employés administratifs et des retraités se sont joints aux revendications des enseignants. La déception, les critiques et la volonté de mobilisation se sont renforcées lorsque, le 12 janvier, à l’inverse des rumeurs et attentes, Nicolas Maduro a adressé son message annuel au parlement et reconnu qu’il ne pouvait pas encore autoriser d’augmentations (du salaire minimum, des retraites, de la grille salariale de l’administration publique et des entreprises publiques, dont la principale est celle du pétrole) en raison des « effets du blocus et de la guerre économique réinitiée par certains secteurs depuis Miami » sur le taux de change. Mais « nous sommes conscients et nous agissons », a-t-il assuré.

Le « blocus » fait référence à la rupture des relations et à la politique de sanctions adoptées par Washington à l’encontre des autorités et des entreprises de l’État vénézuélien ou en lien avec ce dernier, à l’interdiction pour les entreprises états-uniennes de réaliser des opérations au Venezuela, à l’arrêt du commerce et des vols entre les deux pays, à la fermeture des canaux financiers et à la rétention de fonds de l’État vénézuélien, sauf exceptions précises décidées par les États-Unis.

Le 23 janvier, anniversaire de la chute de la dictature militaire de Marcos Pérez Jiménez (1948-1958), les travailleurs de divers secteurs et les retraités ont manifesté par milliers dans la capitale et dans les villes de 19 des 23 États du pays. Il y a eu des menaces de la part de groupes de la société civile partisans du gouvernement, des blocages de manifestations par les forces de l’ordre, des cris et de l’indignation, mais les manifestations se sont tenues de façon pacifique et sans morts, blessés ou autres détenus.

Salaires à la fosse

Quel est le montant des salaires au Venezuela ? Pendant 60 ans, les gouvernements successifs ont fixé un salaire minimum qui, en période de prospérité, dépassait les 200 dollars mensuels. Mais depuis 2013, date de début d’un long cycle de récession – bientôt accompagné d’hyperinflation – les salaires se sont écroulés. À cela vient s’ajouter, depuis 2018, une dollarisation de facto qui divise les Vénézuéliens entre une minorité qui perçoit des revenus en dollars – grâce à son travail ou aux envois de fonds des migrants – et une majorité qui ne dispose que de bolivars, monnaie dont la valeur a déjà perdu 14 zéros à cause des dévaluations successives.

Ainsi, le salaire minimum vénézuélien est désormais le plus bas du continent, puisque – selon l’agence Bloomberg, fin 2022 – il s’élevait à 603 dollars au Costa Rica, 540 en Uruguay, 450 en Équateur, 325 au Mexique, 250 au Brésil, 189 en Argentine, tandis qu’au Venezuela il était de 8 dollars en décembre et seulement 6 dollars fin janvier. Autre comparaison possible : depuis l’automne dernier, la Banque mondiale considère que les personnes des pays à faible revenu qui survivent avec moins de 2,15 dollars par jour sont en situation de pauvreté extrême, or le salaire minimum vénézuélien est de 6 dollars par mois pour qui peut avoir une famille à charge.

Pour aggraver le dossier, l’inflation n’est plus de l’ordre des 130 000% de 2018, mais atteint encore 234%, d’après la vice-présidente Delcy Rodríguez. Au supermarché, un litre de lait coûte 1,80 dollar, une conserve de thon de 170g, 2,4 dollars, un kilo de farine de maïs (ingrédient de base de l’arepa, le pain national), 1,50 dollar et un kilo de viande ou de fromage blanc entre 7 et 12 dollars. Avec ses 6 dollars mensuels, un retraité peut s’acheter une boîte de 30 aspirines et une autre avec 30 comprimés de losartan, médicament utilisé pour contrôler la tension, et c’est tout. La Fédération vénézuélienne des enseignants affirme qu’un panier alimentaire de 60 articles pour une famille coûte au moins 450 dollars par mois. Plus de la moitié des Vénézuéliens vit dans la pauvreté et d’après l’ONU, 7 millions, soit presque le quart de la population, aurait migré au cours de la dernière décennie.

Politique mise à part

Le gouvernement a répondu aux mobilisations du 23 janvier par des manifestations « de rébellion anti-impérialiste », à Caracas et dans d’autres villes, pour exiger la fin des sanctions états-uniennes, dénoncées comme la cause des privations qui pèsent sur le peuple. Répliquer aux manifestations de ses opposants par des contre-mobilisations est une tactique que le Parti socialiste uni du Venezuela au pouvoir a utilisée depuis des années. Il montre ses muscles en tant que premier parti du pays, mais cette fois, il se trompe peut-être de lecture sur les événements, car il n’est pas confronté à un concurrent politique concret, mais à un climat d’effervescence sociale.

Les partis de l’opposition, de leur côté, n’étaient pas associés à la nouvelle mobilisation sociale. Leurs dirigeants sont empêtrés dans la répartition des responsabilités pour les échecs de ces dernières années afin de renverser Maduro. Seul le petit Parti communiste du Venezuela fait exception : allié fidèle du chavisme pendant un quart de siècle, il s’est désolidarisé de Maduro ces dernières années « à cause d’une politique économique envers le monde du travail contraire aux intérêts des travailleurs, avec la répression des dirigeants, des salaires misérables et une politique qui profite au grand capital et non au peuple », d’après les déclarations faites par son secrétaire général, Oscar Figuera, durant la manifestation à Caracas.

Le climat de mécontentement demeure, même si, au moment où nous publions cet article, les travailleurs ont regagné leurs postes. Les groupes qui appellent à la manifestation ont fixé un nouveau délai, le lundi 30 janvier, pour annoncer une grève nationale si aucun remède n’est trouvé pour sortir les salaires du gouffre [1].


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3648.
 Traduction d’Ellie Douska pour Dial.
 Source (espagnol) : Brecha, n°1940, 27 janvier 2023.

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[1Les enseignants ont à nouveau manifesté à Caracas lundi 30 janvier 2023 pour demander l’indexation des salaires et des retraites sur le coût du panier alimentaire de base – note DIAL.

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