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DIAL 3659

ARGENTINE - Le pain transgénique est déjà sur les tables

Darío Aranda

samedi 27 mai 2023, mis en ligne par Dial

L’Argentine est le premier pays du monde à manger du pain transgénique. Sans étiquetage spécifique d’aliment transgénique, il est déjà sur les tables de tout le pays et impossible à repérer – malgré les mises en garde de scientifiques et même de grands producteurs céréaliers. Article de Darío Aranda publié par Página 12 le 24 avril 2023.


La population argentine est la première à manger du pain contenant du blé génétiquement modifié. L’entreprise Bioceres-Indear l’a confirmé, déclarant que 25 minoteries mélangent déjà le blé génétiquement modifié au blé conventionnel. Ce blé transgénique, associé au dangereux glufosinate d’ammonium, a été critiqué par plus de mille scientifiques, des producteurs (agroécologistes comme participant de l’agrobusiness) et par des organisations de défense de l’environnement. Les études qui révèleraient l’« innocuité » supposée du blé transgénique sont confidentielles et ont été réalisées par l’entreprise même qui le vend. « C’est un fait d’une gravité inhabituelle du point de vue de la santé publique » a fait savoir dans une lettre ouverte l’Institut de santé environnementale (InSSA) de la faculté de sciences médicales de l’Université nationale de Rosario (UNR).

L’information a été révélée par une déclaration de Bioceres-Indear au début du mois de mars. Elle a une dimension planétaire : pour la première fois un blé génétiquement modifié (appelé « HB4 ») se retrouve dans des aliments de consommation de masse (pain, pizzas, empanadas, pâtes et tous les autres usages de la farine). Et, plus grave encore, la population n’a pas la possibilité de savoir si elle mange un produit contenant ou non un OGM : en Argentine l’étiquetage des Organismes génétiquement modifiés (OGM) n’existe pas.

L’Institut de santé environnementale (InSSA-UNR) a fait savoir qu’il n’ y a pas de preuves scientifiques indépendantes et publiées dans des revues académiques qui démontrent l’innocuité du blé HB4 lors de son ingestion par l’homme. Il rappelle qu’en Argentine, les transgéniques sont autorisés à partir d’« études » faites par les entreprises elles-mêmes et que ces rapports sont tenus secrets.

L’InSSA, qui a confirmé dans une publication scientifique le risque de cancer chez les populations victimes de fumigations, signale un autre facteur clé du blé transgénique : « Il est cultivé en utilisant l’herbicide glufosinate d’ammonium, dont la toxicité pour l’environnement et la santé a été prouvée par de nombreux travaux scientifiques. Il a été démontré aussi qu’il ne se dégrade pas avec le temps et qu’on en retrouve des résidus même dans des aliments ultra-transformés. »

Les chercheurs enjoignent « les décideurs des politiques publiques » à prendre en compte les preuves scientifiques qui attestent des dangers de ce mode de culture. Ils déclarent : « Nous estimons urgent que les autorités interdisent la commercialisation et l’incorporation du blé HB4 dans les farines destinées à la fabrication de produits comestibles et/ou de succédanés pour l’alimentation humaine ».

En 2020, dans une lettre ouverte, plus de mille scientifiques du Conicet [1] et de 30 universités publiques argentines ont critiqué les avancées du blé transgénique. « Cette autorisation relève d’un modèle d’agrobusiness qui s’est révélé nocif en termes environnementaux et sociaux et qui est la cause principale des pertes de biodiversité, ne résout pas les problèmes d’alimentation et menace en outre la santé de notre population, en affectant la sécurité et la souveraineté alimentaire ». Ils ont fourni des dizaines d’études qui rendent compte des dangers de ce nouveau transgénique. Rien de tout cela n’a été pris en compte par les autorités de l’État.

Bioceres-Indear est la compagnie qui a lancé ce blé transgénique. Elle se présente comme une « entreprise nationale » – avec des actionnaires tels que Gustavo Grobocopatel, surnommé « le roi du soja », et le multimillionaire Hugo Sigman – qui est cependant cotée depuis 2021 à la bourse de New York. Mais ce nouveau transgénique doit aussi beaucoup à l’apport de l’État, grâce aux ressources et aux politiques actives du Conicet et de l’Université nationale du littoral. Son référent est la scientifique Raquel Chan, associée de Bioceres et qui dénie les conséquences sociales, environnementales et sanitaires de l’agrobusiness.

Mauricio Macri, quand il était au pouvoir [2], a été sur le point d’approuver le blé transgénique mais sa décision a été freinée par les mises en garde des producteurs de l’agrobusiness, du Centre des exportateurs de céréales et de la Fédération des grossistes, sur le risque de perdre des marchés à l’exportation (principalement le Brésil). Les consommateurs ne veulent pas de transgéniques dans leurs assiettes. L’approbation finale a eu lieu en mai 2022, quand Julián Domínguez (alors ministre de l’agriculture) a donné son feu vert à la demande de Bioceres-Indear (la signature administrative est le fait de Luis Gustavo Contagiani).

« La responsabilité du gouvernement est totale : de l’autorisation accordée sans preuves d’innocuité et sans considération des effets négatifs dans le monde rural, aux politiques scientifiques conduites, dont Raquel Chan est le symbole, au service du secteur le plus concentré de l’agrobusiness », a déclaré Agustín Suárez, de l’Union des travailleurs et travailleuses de la terre (UTT). Il a insisté sur les risques graves que constitue ce blé : « Non seulement ce blé transgénique contaminera le blé conventionnel mais les herbicides toxiques iront directement dans nos corps, dans ceux de nos enfants. Les conséquences seront très graves et se feront sentir à moyen et long terme. C’est criminel. »

L’association multisectorielle Paren de fumigarnos » (« Cessez de nous fumiger ») de Santa Fe, qui depuis deux décennies dénonce les impacts de l’agrobusiness sur la santé et l’environnement, a précisé que l’herbicide glufosinate d’ammonium est « beaucoup plus toxique que le glyphosate et qu’ont été prouvés ses effets tératogénes, neurotoxiques, et génotoxiques. »

L’association, qui participe à la campagne, Con nuestro pan no [« Pas avec notre pain »], qui réunit des dizaines d’organisations de tout le pays) a alerté des effets pour les producteurs : « Les blés transgénique et non transgénique ne peuvent cohabiter du fait du processus de « contamination génétique » qui se produit au cours de la pollinisation et dont les résidus agrotoxiques resteront présents dans la farine obtenue. Dans des sociétés en voie de paupérisation et culturellement dépendantes de la consommation de blé et de farine, le danger est évident pour la santé publique ». Elle met en avant le fait que le mécanisme grâce auquel le transgénique a été autorisé, viole la Loi générale sur l’environnement et l’article 41 de la Constitution nationale, entre autres lois de protection de la santé et de l’environnement. Elle exige qu’on cesse de semer du blé transgénique, qu’on mette un frein au mélange avec le blé traditionnel et elle rappelle que « la santé n’a pas de prix ».


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3659.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Pagína 12, 24 avril 2023.

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[1Le Conseil national de la recherche scientifique et technique est l’équivalent argentin du CNRS français – note DIAL.

[2Il a été président de la Nation argentine de 2015 à 2019 – note DIAL.

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