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ARGENTINE - Première grève générale contre Milei et le démantèlement de l’État
Rubén Armendáriz
mercredi 31 janvier 2024, mis en ligne par
24 janvier 2024.
Javier Milei a fait face à sa première grève générale deux semaines seulement après son élection à la présidence avec son projet de gouvernement qui s’oriente vers une réduction a minima de l’État, en établissant un nouveau record de délai entre élection et grève générale, battant celui des trois mois de Fernando de la Rúa. La lune de miel de l’homme d’ultra droite, Javier Milei, avec la société argentine a fait place à des signes d’épuisement.
Faisant preuve d’une organisation et d’une mobilisation inédite, les centrales syndicales CGT et CTA, la Unidad piquetera, l’Union des travailleurs de l’économie populaire et autres organisations, se sont rassemblées sur la Place du Congrès national pour manifester contre le gouvernement de Milei, contre l’ajustement économique, le méga décret Nécessité et Urgence (DNU) et la loi omnibus [1]. À l’appel ont répondu des milliers de personnes dans les rues du centre de Buenos Aires, entre les avenues du 9 juillet et Callao. La première grève générale contre Milei a dit « non » au démantèlement de l’État avec le mot d’ordre « La patrie n’est pas à vendre »
La grève a commencé à midi par une impressionnante mobilisation devant le Congrès de Buenos Aires et a été suivie de manifestations et de marches dans tout le pays. Des milliers de personnes se sont rassemblées sur l’avenue de Mayo, une artère du centre de Buenos Aires qui va du Congrès à la Casa Rosada, siège de l’Exécutif, et ont occupé plusieurs rues adjacentes du siège du pouvoir législatif.
La manifestation a affronté un énorme déploiement de forces de sécurité qui avaient pour mission de tenir compte d’une des obsessions du gouvernement : que la circulation de la capitale ne soit pas coupée par les manifestations. Les agents peuvent aussi opérer des contrôles dans les transports à la recherche de manifestants et, ce matin-là, ils ont contrôlé les bus qui circulaient pour entrer dans la capitale et en ont interdit l’accès à ceux qui voulaient franchir à pied le pont Avellaneda, dans le sud de la ville.
La grève des transports publics – bus, métro et trains – a commencé à 19 h pour « permettre de concentrer ou de déconcentrer » les manifestants. Les aéroports ont continué à fonctionner mais quelques compagnies, comme Aerolíneas Argentinas, entreprise d’État que Milei veut privatiser, ont annoncé des annulations et des reports de vols : plus de 20 000 passagers sont restés à terre. En outre, sur des groupes de WhatsApp, a circulé la consigne de ne faire aucun achat dans « aucun commerce » qui serait resté ouvert.
La ministre pro-répression de la sécurité, Patricia Bulrrich, a déclaré sur son réseau social que « Des syndicalistes maffieux, des gestionnaires de la pauvreté, des juges complices et des politiciens corrompus, défendent tous leurs privilèges, en résistant au changement que la société a approuvé démocratiquement et que mène avec détermination le président @JMilei. Aucune grève ne nous arrêtera, aucune menace ne nous fera reculer. »
La patrie n’est pas en vente
La mise en application immédiate du programme féroce d’ajustement, a eu pour réponse une grève de 12 heures, ce mercredi, et des mobilisations de rue dans tout le pays destinées à freiner la tentative de ce président d’ultra droite de réduire l’État et d’appliquer des mesures économiques au détriment de toute la nation.
Milei a obtenu, lors des élections de novembre, un soutien écrasant. Les Argentins ont exprimé, à 55%, leur confiance dans les promesses de cet économiste excentrique ultralibéral d’en finir avec la crise économique qui dure depuis huit ans. Et, faisant fi de leurs critiques, il s’est entouré des anciens ministres de l’ex président néolibéral Mauricio Macri, et s’est acharné à renverser le pays.
La suppression des droits des travailleurs, du DNU (Décret de nécessité et urgence) rédigé par les représentants de l’Union industrielle d’Argentine, est ce qui a déclenché la grève générale. Également la perte de pouvoir d’achat des salariés suite à une inflation en hausse. Les cent jours de « lune de miel » qui sont généralement accordés aux nouveaux gouvernements, comme une période de grâce pour qu’ils entament leur gestion dans le calme, ont été drastiquement raccourcis.
Tout cela a contribué à la décision politique des centrales syndicales, des organisations sociales, des artistes, des scientifiques, à déclencher la mobilisation et la grève. La grève a eu lieu aussi dans divers pays du monde où des dizaines de manifestants se sont réunis devant les ambassades d’Argentine pour manifester contre les mesures prises récemment, relevant d’une gestion d’ultra droite.
Pour l’universitaire Victoria Victoria Basualdo, cette journée est une démonstration de force très significative. « La mobilisation a pour objectif d’être un frein à une transformation antidémocratique des relations de travail, économiques, sociales et politiques, en Argentine. Historiquement la manifestation de rue a des conséquences. « Ceux qui doivent voter au Congrès vont tenir compte d’une mobilisation comme celle de ce mercredi », a-t-elle déclaré.
Après avoir dévalué le peso de plus de 50%, il a présenté un méga décret et une loi, « la loi omnibus », qui enterrent des droits historiques des travailleurs et dérégulent divers secteurs stratégiques de l’économie au bénéfice des chefs d’entreprises nationaux et transnationaux. Comme toute mesure choc, le DNU et la Loi omnibus sont accompagnés d’une norme ultra-répressive« anti piquets [2] » qui oblige à manifester sur le trottoir et qui sanctionne ceux qui coupent les rues lors des manifestations.
Avec un fort message adressé gouvernement et contre la volonté du Ministère de la sécurité d’empêcher les mobilisations, le dirigent syndicaliste Pablo Moyano, a mis en garde les autorités « contre la criminalisation de la manifestation car cela va coûter cher à tout le monde. On ne construit rien à coups de matraque ; pour gouverner il faut être ouvert au débat, faire montre de modération et d’équilibre », a t-il dit.
La dévaluation a eu de graves conséquences sur le porte-monnaie des citoyens. Dans une économie à deux monnaies comme celle de l’Argentine, très dépendante du dollar, les variations brutales des taux de change ont un impact brutal sur les prix des produits et des services de première nécessité.
La démonstration de force a été massive en préambule au débat législatif sur la loi omnibus ; un message direct et puissant adressé au gouvernement mais aussi aux députés qui auront à délibérer de ce méga projet à l’assemblée. Le gouvernement a déclaré qu’il décompterait de la paie le jour de grève, qu’il présenterait devant la justice des accusations, considérant celle-ci comme « illégale » et qu’il ferait appliquer le « protocole anti-piquet ».
Rubén Armendáriz est journaliste et politologue, associé au Centre latino-américain d’Analyse stratégique (CLAE).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/01/24/el-primer-paro-general-contra-milei-y-el-desmantelamiento-del-estado/.
[1] La loi dite « omnibus », a pour objectif d’imposer une délégation des pouvoirs législatifs à l’exécutif dans l’ensemble des sphères (économique, financière, énergétique, sécuritaire, tarifs des services publics – NdlT.
[2] Les piquets sont des mouvements sociaux apparus en Argentine au cours des années 1990. Le terme « piquet » désigne le blocage physique d’axes de communication par des manifestations statiques. Généralement, les piqueteros bloquent les routes par leur présence physique mais aussi par l’emploi de pneus en flammes et d’autres objets servant de barricade – NdlT.